Le paysage paraît sinistre mais l’ambiance n’est pas à la déprime. C’est l’action qui prend le dessus. Les Cévenols n’aiment pas s’apitoyer sur leur sort même si beaucoup ne roulent pas sur l’or et redoutent la facture à payer.
Au coeur du parc national des Cévennes, non loin du lieu où l’Hérault prend sa source, les habitants de Valleraugue (Gard) se sont réveillés sous le choc devant les dégâts causés par le dernier épisode cévenol dans la nuit de samedi à dimanche. À l’intersection de l’Hérault et du Clarou, le village s’est trouvé au carrefour des flux d’eau qui se sont rejoints avant de sortir de leur lit emportant tout sur leur passage. « Cela fait 75 ans que je suis ici, je n’avais jamais vu ça », témoigne un membre de la nouvelle équipe municipale perché sur un amoncellement de gravats. « La dernière crue de cette importance remonte à la grande inondation de 1900. On saura bientôt si celle-ci a été plus importante, mais nul doute qu’elle figurera dans les tablettes de l’histoire locale poursuit-il en observant le ballet des pelles mécaniques. Ici il y a un petit ruisseau, explique-t-il en désignant un champ de boue autour d’une maison isolée, ils sont en train de dégager le lit du ruisseau pour que l’eau retrouve son chemin naturel ».
700 ml d’eau en 12 heures
Annoncé par Météo France, le premier épisode cévenol est arrivé tôt cette année. Habituellement la période des fortes pluies se concentre à partir de mi-octobre. Il a très peu plu cette année, ce qui a pu favoriser le ruissellement. Une femme âgée parle de ce gros nuage qui est resté bloqué 12 heures au-dessus de Valleraugue comme une malédiction. Toutes les habitations en bordure des cours d’eau ont subi d’importantes dégradations. « D’un coup, j’ai vu arriver une vague qui s’est engouffrée dans la maison », signale un quinquagénaire à qui veut l’entendre . Les gens qui habitent au rez-de-chaussée sortent leurs meubles et s’affairent à sauver les quelques effets personnels auxquels ils sont attachés en les entassant dehors dans la boue. Le paysage paraît sinistre mais l’ambiance n’est pas à la déprime. C’est l’action qui prend le dessus. Les Cévenols n’aiment pas s’apitoyer sur leur sort même si beaucoup ne roulent pas sur l’or et redoutent la facture à payer.
La majeure partie des habitants n’arborent pas l’austère figure qu’ils portent parfois sur les estivants un peu trop « bling bling ». La plupart des habitants à l’année se sont organisés en groupes de bénévoles pour prêter main forte à ceux qui en ont besoin. On s’active notamment autour de la boucherie et de l’épicerie mitoyenne, particulièrement endommagées. Dans cette partie de l’arrière pays, naguère capitale locale de la soie, les commerces sont devenus aussi rares que fragiles.
Dimanche matin, le village était toujours coupé en deux. Impossible de rejoindre Pont-d’Hérault dans le bas de la vallée où s’est installé le QG des pompiers. Pour l’heure, on déplore deux disparitions. Une infirmière sur la route, emportée avec sa voiture par le flot dévalant de la montagne. L’automobiliste de 64 ans portée disparue est toujours recherchée. « Les reconnaissances se poursuivent », y compris par hélicoptère, a déclaré le responsable communication des sapeurs-pompiers du Gard, Éric Agrinier. Dans la matinée de dimanche, on apprenait également qu’un homme, pratiquant le trail, manquait à l’appel. Il se trouvait dans le secteur de Pont-d’Hérault.
Au total, une quarantaine de sauvetages ont été réalisés dont six par hélicoptère. 200 personnes ont été mises en sécurité à Valleraugue. Plusieurs hameaux de la commune de Val d’Aigoual (née de la fusion entre Valleraugue et Notre-Dame-de-la-Rouvière) et de la vallée n’ont plus d’eau potable, ni d’électricité. Certains sont isolés en raison de la fermeture des ponts qui doivent être contrôlés. La sous-préfète du Vigan, Mme Gros, s’est rendue sur les lieux. On évoque même la descente d’un ministre. Le territoire devrait être déclaré en état de catastrophe naturelle. Mais on mesure bien ici ce que les paroles officielles ont de rhétorique.
Au-delà des discours convenus
Il faudra attendre le sonnant et le trébuchant pour mesurer l’ampleur des dégâts matériels. Pour l’heure, l’important est de se mettre au travail pour sauver ce qu’on peut et reconstruire. Cette attitude typiquement cévenole fait ressortir que la politique menée dans le domaine préventif à l’échelle individuelle apparaît non seulement comme la meilleure garantie de se prémunir contre les risques naturels mais qu’elle constitue également un moyen essentiel de maîtrise des coûts et de prétention de vivre, c’est-à-dire de vivre une existence authentique dans la plénitude de sa personnalité.
En Cévennes, l’autonomie de l’individu et le travail fondent un mode de vie. Assez éloigné d’un certain modèle de consommation et des images politico-économiques de la modernité engluées dans d’inextricables contradictions. Les rêves publicitaires du monde capitaliste ont assez peu de prise en Cévennes, peut-être parce que les transformations qu’ils ont générées ont fini par destituer les modèles qui faisaient sens ici. Et que s’il importe de les réinventer, il faudrait aussi les adapter à la vraie vie des gens d’ici.
Avec sobriété et un sens classique de la retenue, les habitants de la vallée font face à la colère de la nature par le travail et la solidarité. Cela paraît plus simple que de se débattre dans le filet des contraintes d’un système en oubliant qui l’on est. Ou au sein d’une époque qui déracine et ravage avec plus de force qu’une rivière en crue. Ici, le désastre naturel donne lieu à une réconciliation des hommes et des femmes pour repartir, ou plus simplement à un peu de lucidité.
Jean-Marie Dinh