En soutien à notre confrère et à la liberté d’informer, nous publions le communiqué du SNJ-CGT, publié le 2 septembre, relatif à l’interpellation du journaliste du Figaro, Georges Malbrunot, par le président de la République le 1er septembre à Beyrouth.
Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) compterait-il un nouveau membre en la personne du président de la République lui-même ? Toujours est-il qu’Emmanuel Macron s’est permis de prendre violemment à partie notre confrère Georges Malbrunot, journaliste au service « international » du Figaro, pour lui reprocher une entorse « déontologique » et « non professionnel[le] ».
La scène, filmée par une caméra de LCI (voir ici) se déroule mardi 1er septembre dans un salon de Beyrouth, après la conférence de presse qui a clos la visite du président français au Liban. Hors de lui, Emmanuel Macron, devant une foule de témoins et de journalistes, tance ainsi Georges Malbrunot : « Ce que vous avez fait là, compte tenu de la sensibilité du sujet, compte tenu de ce que vous savez de l’histoire de ce pays est irresponsable. Irresponsable pour la France, irresponsable pour les intéressés ici et grave d’un point de vue déontologique. »
Selon plusieurs médias, Emmanuel Macron aurait mal pris un article publié le 31 août par Le Figaro et titré : « Macron revient au Liban, face aux chefs de clan ». Georges Malbrunot y écrivait notamment que le président français — qui lui en aurait lui-même fait la confidence — avait menacé de sanctions des représentants politiques libanais si ceux-ci refusaient des réformes. Certains évoquent également un autre article, rapportant une entrevue avec un responsable du Hezbollah.
D’après l’Élysée, « ce que le président lui a reproché, c’est de ne pas avoir donné à l’Élysée la possibilité de réagir à des informations qui le mettaient en cause ». Du côté du journaliste du Figaro, s’il estime que « l’incident est clos » après s’en être « expliqué avec l’Élysée », il a cependant confié à l’AFP avoir été « très surpris de la virulence de cette attaque, qui est inacceptable et à laquelle [il a] répondu ».
Le SNJ-CGT apporte son soutien à Georges Malbrunot, professionnel reconnu, et juge scandaleuse la diatribe du président de la République, qui plus est prononcée à l’étranger, en public et devant une caméra. Emmanuel Macron estime-t-il devoir être consulté sur ce que les journalistes peuvent ou non écrire ?
Ce dernier est coutumier de ce genre de « recadrage » des journalistes. Et ce n’est pas la première fois depuis son élection que le pouvoir s’emporte face à la diffusion d’informations gênantes. Ainsi, en juin 2017, le ministère du Travail porte plainte contre Le Parisien, Libération et Mediapart qui viennent de publier des documents confidentiels révélant les plans gouvernementaux de dynamitage du Code du travail (lire notre communiqué du 20 juin 2017 « Liberté d’information : Macron se démasque »).
Rebelote cinq mois plus tard : le ministère de la Culture, avant de se raviser, annonce son intention de porter plainte après la publication par Le Monde et l’Humanité de documents internes sur l’avenir de l’audiovisuel public (lire le communiqué commun du 16 novembre 2017 « Madame Nyssen, au nom de la transparence, garantissez le secret des sources et renoncez aux poursuites »). Il y était notamment question de la création d’une holding regroupant les différentes composantes de l’audiovisuel public, de suppressions de postes, de la disparition de France 4 et de France Ô de la TNT… Autant de « pistes » que le ministère a lui-même confirmées dans les mois suivants.
On peut également rappeler la plainte, classée sans suite, qu’Emmanuel Macron, alors en vacances à Marseille, avait déposée contre un photojournaliste pour « harcèlement et tentative d’atteinte à la vie privée », alors que ce dernier assurait n’être jamais entré dans la propriété (lire notre communiqué du 16 août 2017 « Plainte de Macron contre un photographe : le SNJ-CGT demande son retrait »).
Mais également la « loi fake news » de 2018, qui donne le pouvoir au juge des référés de décider ce qu’est une « vraie » ou une « fausse » information (lire notre communiqué du 27 juillet 2018 « Fakenews : le Sénat rejette la loi liberticide, les députés doivent faire de même »). Ou encore la loi sur le « secret des affaires », votée la même année, qui fait passer le business avant la liberté d’enquêter de la presse (lire notre communiqué du 29 novembre 2018 « Implant files : quand la directive Secret des affaires nuit gravement à l’information »).
Le SNJ-CGT garde également en mémoire les nombreuses convocations de journalistes à la DGSI pour leur demander de dévoiler leurs sources dans des enquêtes sur des livraisons d’armes par la France à l’Arabie saoudite et sur l’affaire Benalla (lire notre communiqué du 29 mai 2019 : « Les journalistes n’ont rien à faire à la DGSI, leurs sources doivent être protégées »).
Malgré cette longue liste de méfaits contre la liberté de la presse, Emmanuel Macron a cru bon de conclure par ces mots son envolée face à Georges Malbrunot : « Vous m’avez entendu défendre les journalistes, je le ferai toujours. Mais je vous parle avec franchise, ce que vous avez fait est grave, non professionnel et mesquin. »
Sans commentaire.
Montreuil, le 2 septembre 2020.
Voir aussi : La France réduite à sa portion congrue au Liban