François Mariani, ex-vice-président du Medef de Vaucluse, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Vaucluse de 2000 à 2016, est une personnalité du département. Une personnalité qui défend les intérêts du patronat, comme il l’avait montré en 2003 lors de la grève des intermittents qui fut suivie d’une annulation du festival, en s’en prenant brutalement aux professionnels du spectacle qu’il accusait d’être la chienlit, les traitant aussi volontiers de fainéants. Connu pour des interventions publiques largement relayées par une presse locale qui a fini par lui être redevable — les locaux de la CCI ont hébergé pendant de nombreuses années le club de la presse de Vaucluse — sa route rencontre en décembre 2010 celle de Philippe Pascal, inspecteur de l’URSSAF et inspecteur du CODAF, lors d’un contrôle de l’hôtel des Agassins d’une part, une des entreprises de M. Mariani qui officie aussi dans le BTP, et de l’école hôtelière, de l’aéroport et du CFA d’autre part, ce dernier étant président de la CCI de Vaucluse et de ses émanations.
Les contrôles exercés par M. Pascal ont provoqué la colère de M. Mariani qui a intenté trois procédures judiciaires au contrôleur de l’URSSAF (toutes perdues). C’est désormais Philippe Pascal qui poursuit le patron pour harcèlement et procédure abusive. Cette affaire, prévue pour le 25 mai dernier, sera finalement jugée le 25 octobre de cette année. Rencontre avec un inspecteur qui ne renonce jamais.
Comment êtes-vous devenu agent de l’URSSAF ?
J’ai commencé à la Caisse d’allocations familiales, et dans les années 90 j’ai voulu devenir cadre au sein de la Sécurité sociale. J’ai donc passé le concours d’inspecteur de l’URSSAF en 1992 et j’ai été reçu. Je suis devenu le secrétaire des CODAF (Comité opérationnel départemental anti-fraude) dès leur création en 1998 ; ces structures dont la mission est d’améliorer la connaissance réciproque entre les services et mutualiser leurs moyens, d’organiser des opérations conjointes et des échanges de renseignements et de partager les expériences afin d’améliorer l’efficacité de la lutte contre toutes les fraudes. Ils se réunissent sous la co-présidence du préfet de département et du procureur de la République du chef-lieu du département, les services de l’État (police, gendarmerie, administrations préfectorale, fiscale, douanière et du travail) et les organismes locaux de protection sociale (Pôle emploi, URSSAF, Caisses d’allocations familiales, d’assurance maladie et de retraite, Régime social des indépendants (RSI), Mutualité sociale agricole (MSA)) afin d’apporter une réponse globale et concertée aux phénomènes de fraude, qu’ils concernent les prélèvements obligatoires ou les prestations sociales. Cela me permettait d’être plus libre que les autres inspecteurs et surtout autonome dans mon travail. En effet, je considérais plus le procureur de la République que le Directeur de l’URSSAF comme mon supérieur hiérarchique. D’ailleurs cette habitude d’agir en électron libre sans prévenir des opérations que je comptais mener m’a souvent été reprochée.
Comment a commencé l’affaire Mariani ?
Tout commence par un contrôle le 9 décembre 2010 d’après des informations parvenues aux impôts. Un contrôleur de ce service m’a appelé au sujet de malversations présumées à l’hôtel des Agassins au Pontet. Avec l’accord du procureur, nous avons fait un contrôle CODAF avec les services fiscaux, la DIRECCTE et la Gendarmerie. Nos informations portaient sur l’existence d’une double comptabilité, avec un logiciel permissif qui rendait possible l’effacement de certaines transactions. Il s’agissait clairement d’une dissimulation de chiffre d’affaire dans le but de « payer au noir » une partie des salaires. C’est tout de même un restaurant quatre étoiles dans lequel la plupart des salariés étaient rémunérés en partie au « black« . Le notable, très apprécié des administrations avignonnaises, pensait échapper à tout contrôle, il tenait même une double comptabilité écrite ! De plus, il faisait des reçus à ses salariés pour la partie dissimulée de leurs salaires. Il pensait tout gérer et vivait avec la certitude d’une totale impunité. J’ai transmis quelques mois plus tard un redressement de près de 800 000 euros pour dissimulation de chiffre d’affaire, dissimulation d’emplois salariés ; curieusement, pour les mêmes motifs, l’inspecteur chargé du dossier aux impôts n’a régularisé que 18 000 euros. Être président de la CCI et vice-président du Medef permet des amitiés bien placées comme la présidente de l’URSSAF, le directeur des impôts et bien d’autres…
Un enchaînement d’évènements s’est alors produit : 15 jours après le redressement, un véhicule 4×4 m’a foncé dessus alors que j’étais sur la route. J’ai essayé de l’éviter mais il a arraché ma portière. Malgré cela je n’avais pas encore fait le lien avec l’affaire. Quelques temps après, je suis parti en voyage au Brésil avec mes enfants et j’ai proposé à un ami de s’installer chez moi le temps de notre absence. À mon retour, j’ai demandé à cet ami d’aller chercher dans ma voiture un cadeau que je lui avais ramené ; il a, à ce moment-là, été interpellé par mon nom « M. Pascal ! » et aussitôt tabassé à coups de batte de baseball. Encore deux mois plus tard, je suis sorti de chez moi et ai constaté que ma voiture n’était plus là. C’est en appelant l’URSSAF que j’ai appris que ma voiture était sur le parking, contre la grille, avec une pancarte affichant « tire-toi vite ! ».
Mes plaintes ont toutes été classées sans suite et je ne peux affirmer quoi que ce soit. C’est donc une coïncidence, la malchance ou la loi des séries. J’ai continué les contrôles malgré ces intimidations et ces menaces présumées parce que ma direction parlait aussi de contrôler l’entreprise de BTP de M. Mariani, ainsi que l’école hôtelière, dont il est responsable en tant que président de la CCI, où il utilisait les stagiaires comme des salariés. Nous avons eu, là encore, près de 800 000 euros de redressement.
N’avez-vous plus été soutenu par votre hiérarchie par la suite ?..
Un nouveau procureur a été nommé en 2013, et l’URSSAF a été régionalisée au 1er janvier 2014. Cette période correspond à la fin des menaces et intimidations et au début des procédures judiciaires.
Pour l’hôtel des Agassins, en 2010 j’avais convoqué tous les salariés licenciés pour essayer de démontrer que la fraude n’était pas ponctuelle mais une politique d’entreprise. Plusieurs sont venus et l’un d’entre eux m’a révélé qu’il détenait un enregistrement sur lequel M. Mariani reconnaissait le travail dissimulé et proférait des menaces contre ledit salarié. J’ai appelé M. Villardo, l’excellent procureur de l’époque, pour lui dire que je détenais un tel enregistrement. Il m’a demandé de le lui faire parvenir en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale, ce que j’ai fait. M. Mariani a déposé plainte en 2013 contre l’URSSAF, le tribunal, son salarié, et moi-même pour recel d’enregistrement privé ! Curieusement, n’ont subsisté que les plaintes contre le salarié et moi-même… Il faut reconnaître que le notable n’a plus eu à se plaindre du tribunal d’Avignon après le départ de M. Villardo, ni de la direction de l’URSSAF après le départ de Mme Couderc dont la présidence venait d’échoir à Mme Sylvie Bres, l’épouse du successeur annoncé de M. Mariani à la CCI 84.
Y a-t-il eu plusieurs attaques de M. Mariani contre vous ?
Il a diligenté en tout trois procédures contre moi. La première pour corruption ; il m’accusait de me montrer clément avec les employeurs en échange de financement en faveur de l’association humanitaire que je dirige. Notre comptabilité et les comptes bancaires ont été épluchés pendant 2 mois par la police et aucun donateur de l’association ne figure dans les entreprises que j’ai contrôlées. Cette citation directe faite par le Procureur Marchal sans le moindre élément de preuve a été classé sans suite. Il y a ensuite celle concernant la cassette qui, elle, a fait l’objet d’une relaxe, le procureur successeur de M. Marchal qui m’avait poursuivi par citation directe disant en ouverture des débats, après 5 reports et 4 ans où j’ai été traîné dans la boue : « Je ne retiens rien contre M. Pascal, il n’a fait que son travail ». Tout ça… pour ça ! La troisième en 2016 après un article dans La Provence, alors qu’il vient de quitter la présidence de la CCI. Là, c’est pour atteinte à la présomption d’innocence. Le journal et moi-même avons été relaxés et avons perçu le remboursement de nos frais de justice par le dénonciateur, au titre de l’article 700.
Ces plaintes ont traîné des années, le procès de la cassette a été jugé le dernier en février 2018. M. Mariani a perdu tous ces procès bien sûr, mais les plaintes « bâillons » sont surtout destinées à faire taire l’empêcheur de tourner en rond et à reporter l’attention sur lui. En effet, M. Mariani a fait l’objet de 3 procédures pénales de la Gendarmerie, de la DIRECCTE et de la Police ; aucune n’a été jugée. Elles seraient, 7 ans après, toujours en instruction !
Avez-vous vécu d’autres contrôles étonnants ?
Il y a eu par exemple le redressement de l’URSSAF pour l’affaire de Mariani BTP que la direction marseillaise de l’Urssaf m’avait recommandé de ne pas faire. Ce sont des collègues de Marseille qui ont repris mes affaires, et n’ont régularisé que… 15 000 euros de redressement chez Mariani BTP alors que les cotisations potentiellement régularisables, eu égard aux infractions que j’avais constatées, représentaient cinquante fois ce montant ! Mais mes collègues marseillais m’ont dit : « On ne met pas le nez dans le « black » pour Mariani BTP, l’Urssaf est assez « emmerdée » comme ça ! ».
D’autres affaires ont émergé, comme celle des bateaux géants sur le Rhône, des bateaux qui transportent chaque jour des milliers de touristes, battant pavillon allemand ou suisse. Là, travaillent des centaines de salariés étrangers, disponibles et corvéables à merci. Nous avons entamé une procédure puisque malgré le fait que les salariés soient en permanence sur le sol français, ils ne cotisent pas en France. J’ai fait un redressement de 2,7 millions d’euros. Nous avons gagné en première instance, appel et cassation, et malgré cela, comme ça créait de la jurisprudence et pouvait nuire à Ryanair par exemple, sous la présidence Hollande, le redressement a été invalidé par la cour de justice européenne. Ces bateaux qui encombrent le paysage fluvial avignonnais ne profitent en rien à l’économie et au tourisme de la ville, en revanche il polluent au moins visuellement le paysage rhodanien. Il y en a eu d’autres que j’évoquerai si j’arrive à terminer le livre que je souhaite écrire sur mon expérience.
Quel bilan tirez-vous de cette longue affaire et de votre curieuse fin de carrière ?
Aujourd’hui, M. Mariani est retiré des affaires et les procédures pénales pour travail illégal le concernant n’ont pas été jugées. C’est certes dur à vivre pour moi car je sens bien qu’il y a une justice à deux vitesses, mais c’est surtout un très mauvais signal donné à notre démocratie. On est capable de juger Fillon en 2 mois mais pas Mariani en 7 ans.
On est également capable de me juger pour trois affaires inventées de toutes pièces pour me faire taire mais on n’est pas capable d’instruire un dossier où l’on parle de travail illégal, d’abus de biens sociaux, de prise illégale d’intérêts, de faux bilans, de faux et usage de faux ou d’intimidation !
À l’heure actuelle, j’attends surtout que ma plainte contre M.Mariani soit prise en compte. Une audience est prévue le 25 octobre.
J’ai du cesser le travail suite à un burn-out et je travaille essentiellement pour mon association humanitaire qui intervient au Niger et pour laquelle je me dévoue corps et âme. Cette association, je veux en faire un exemple de sincérité ; vous voyez, je suis allé une trentaine de fois au Niger et je me suis toujours payé le voyage. Et là-bas, je roule en taxi pas cher, en pleine chaleur, on y est « esquichés »1 comme des sardines pour que 90 % de nos recettes soient consacrées aux enfants du Niger. Et là-bas, je vois toutes les grandes organisations (Croix-Rouge, UNICEF, Action Contre la Faim, Médecins du Monde, etc.) rouler en somptueux véhicules 4X4 et ne consacrer que 20 à 40 % de leur budget aux actions ; tout part en fonctionnement ou en publicité. Aussi, je me désespère quand les gens me font comprendre qu’ils ne peuvent nous aider car ils donnent à ces organisations ou au Téléthon ou Amnesty. Alors je me dis que décidément l’injustice me poursuit toujours ! Mais je me ressource auprès de ces nigériens… Pas de brûlures d’estomac au Niger !
Je suis content d’avoir survécu même si je suis un peu cabossé. J’ai gardé le principal, l’estime de soi, et je n’ai jamais cédé à la facilité. Combattre est devenu une seconde nature. J’ai fait miens les mots de celui dont j’essaie de m’inspirer modestement, Albert Camus qui disait que « la révolte est l’une des dimensions essentielles de l’homme ».
Recueilli par Christophe Coffinier