Dans une tribune publiée ce dimanche par « Le Monde », Ibrahim Thiaw, le secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, écrit : « Très peu se sont penchées sur les causes profondes de naissance et de propagation de la pandémie. (…) La pandémie actuelle posera la question du contrat social entre nous autres humains. Elle demandera aussi que nous (re)définissions un contrat naturel et social entre l’homme et la nature. »
La pandémie demande que nous (re)définissions un contrat naturel et social entre l’homme et la nature.
Tribune.
La pandémie du Covid-19 a créé une situation inédite. Le monde moderne et puissant est soudainement grippé, s’accrochant à l’espoir qu’un vaccin sera découvert dans les prochains mois. Viendra ensuite le temps des leçons. Il y a eu le jour d’avant. Il y aura le jour d’après. Passé le traumatisme, pourra-t-on revenir au « business as usual » ?
Nul doute que de nombreuses leçons vont être tirées. Va-t-on enfin commencer à écouter les scientifiques ? En ces temps de crise, les leaders mondiaux, même les plus sceptiques à l’égard de la science, réunissent leurs meilleurs experts et fondent la plupart de leurs politiques sur des bases scientifiques. Tant mieux. C’est peut-être la première leçon.
Il reste que les décisions du jour ne concernent littéralement que le traitement des symptômes. Très peu se sont penchées sur les causes profondes de naissance et de propagation de la pandémie. Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment éviter que de telles crises sanitaires se répètent ?
L’animal à l’origine du Covid-19, ainsi que le patient 0, ne sont toujours pas officiellement confirmés. Cependant, les conclusions des scientifiques (santé humaine, santé animale, environnement) sont unanimes sur une transmission de l’animal à l’homme.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 60 % des nouvelles maladies infectieuses humaines sont d’origine zoonotique, c’est-à-dire qu’elles sont transmises par des animaux. Ces maladies portent des noms acronymiques difficiles à répéter, dont la plupart ont fait frémir le monde : fièvre de la vallée du Rift, SARS, H1N1, fièvre jaune, grippe aviaire H5N1 et H7N9, MERS-CoV. La liste est longue.
Le commerce illégal de la faune est considéré comme un facteur aggravant car les contacts entre l’animal et l’humain sont, par définition, faits sans contrôle vétérinaire. Lorsqu’on pratique un trafic et un recel illégal d’animaux, lorsqu’on pratique la chasse sans contrôle, lorsqu’on détruit les écosystèmes et pénètre dans des endroits infestés, on prend des risques.
La transmission d’Ebola en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest s’est faite entre les animaux sauvages et les humains, généralement à travers la chasse illégale. En d’autres termes, les animaux qui nous ont infectés ne sont pas venus dans nos villages ; nous sommes allés les chercher.
Il est clair que l’évolution des comportements humains influence fortement la transmission des agents zoonotiques à l’homme. Quid de nos modes de consommation qui conditionnent l’émergence de toutes ces maladies qui se développent ? La pandémie actuelle posera la question du contrat social entre nous autres humains. Elle demandera aussi que nous (re)définissions un contrat naturel et social entre l’homme et la nature.
Nos modes de vie, nos modes de consommation, nos systèmes de production très intensifs dans la sollicitation de l’eau, de la terre, de l’air et de l’énergie conduisent à une mutation des sociétés. L’accumulation et la répétition (quotidienne) de nos petites habitudes, parfois anodines, portées à l’échelle de la population mondiale ont un impact non négligeable sur la planète et sur l’utilisation des ressources.
N’oublions pas que la dégradation des terres a aussi ses conséquences sur la santé humaine : pollution de l’eau, prolifération de maladies hydriques, vents de sable (pollution de l’air) et sécheresses (méningites).
A l’échelle mondiale, seulement 25 % de la surface terrestre est proche de son état naturel. D’ici à 2050, cette proportion sera de l’ordre de 10 % si nous ne changeons pas notre approche. Les régions qui seront principalement affectées seront les forêts et les prairies d’Afrique, futures frontières de production agricole.
Certains spécialistes, accusés par d’autres d’avoir des opinions radicales, estiment que la nature « réagit » et se « protège ». La nature est en effet résiliente. Certes. Elle peut résister à nos assauts jusqu’à un certain point. Finira-t-elle par céder ou saura-t-elle réagir ? Lequel de ces deux scénarios préfère-t-on ?
Ibrahim Thiaw*
* Secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification.