Les Mardis d’Ô reçoivent l’historien et démographe Emmanuel Todd, à l’occasion de la sortie de son nouvel essai, Les luttes de classes en France au XXIe siècle (Editions du Seuil).
Mise en bouche
Les analyses d’Emmanuel Todd sont toujours intéressantes, peut-être parce qu’il se soucie peu du conformisme qui tue la France à petit feu. Dans la lutte des classes en France, Todd relève notamment que problème central, nié par l’INSEE à travers ses indices de prix qui ne tiennent pas assez compte du coût du logement, c’est que la France est engagée dans une période de baisse du niveau de vie et du pouvoir d’achat, depuis 2007 au moins mais probablement depuis 2000. Ce que les gens ressentent et expriment à travers le rejet de la réforme de la retraite. Les gens craignent l’organisation de leur appauvrissement futur. Il n’y a pas que des données économiques pour mesurer ce phénomène. Todd pointe dans son livre les premiers mini-mouvements de hausse de la mortalité infantile, le ralentissement de la mobilité géographique, la chute de la fécondité qui finit par toucher toutes les catégories sociales.
L’intellectuel définit une nouvelle théorie du ruissellement, celle, chère à Godard, du mépris où « l’aristocratie stato-financière », ces gens qui ne viennent pas du néo-capitalisme, mais de l’ENA, méprisent la petite bourgeoisie CPIS (cadres et professions intellectuelles supérieures), soi-disant la « France ouverte » de Macron. Ensuite, celle-ci méprise les prolos français (ouvriers et employés non qualifiés).
A propos des professions intermédiaires, groupe atomisé qui représente 50% de la population, Tood n’emploie pas le terme de classe moyenne mais il souligne que ces personnes ont une trajectoire électorale aléatoire, dépourvue de sens politique. « Le symptôme d’une non-conscience d’être. » A l’inverse, les ouvriers ont, à part le vote sarkozyste en 2007, un vote modal pour le Front national. La petite bourgeoisie CPIS (pour cadres et professions intellectuelles supérieures) hésite entre droite classique et PS, elle a choisi le macronisme.
Pour l’historien et démographe, elle a une conscience d’être qui est une fausse conscience puisqu’elle se raconte qu’elle est privilégiée, alors que ses enfants galèrent déjà. Parmi eux, les enseignants qui ont voté Macron à un taux très élevé – 50% chez les agrégés –, et qui sont en train de se retourner actuellement avec la retraite à points universelle. Le livre parle d’ailleurs de la précarisation des enseignants.
Rendez-vous à 20h, dans l’amphithéâtre de la Médiathèque pierresvives.
Une soirée en partenariat avec la librairie La Cavale. Information au 04 67 67 30 00 – Parking surveillé et petite restauration sur place.https://pierresvives.herault.fr/ Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles
Les Luttes de classes en France au XXIe siècle
Emmanuel Todd
Macron et les Gilets jaunes ont ouvert une page nouvelle de l’histoire de France, qui mêle retour des luttes sociales et apathie politique, sursaut révolutionnaire et résignation devant les dégâts de l’euro, regain démocratique et menace autoritaire.
Pour la comprendre, Emmanuel Todd examine, scrupuleusement et sans a priori, l’évolution rapide de notre société depuis le début des années 1990 : démographie, inégalités, niveau de vie, structure de classe, performance éducative, place des femmes, immigration, religion, suicide, consommation d’antidépresseurs, etc.
Les faits surprendront. Les interprétations que propose l’auteur doivent, quant à elles, beaucoup à Marx, mais à un Marx mis « sous surveillance statistique ». À gauche, comme à droite, elles paraîtront à beaucoup étonnantes, amusantes, contrariantes, ou angoissantes. Cet empirisme sans concession conduit même Emmanuel Todd à réviser radicalement certaines de ses analyses antérieures.
À la lecture de ce livre riche, stimulant, provocateur, la vie politique des années 1992-2019 prend tout son sens : une longue comédie politique où s’invitent les classes sociales.
Bienvenue donc dans cette France du xxie siècle, paralysée mais vivante, où se côtoient et s’affrontent des dominés qui se croient dominants, des étatistes qui se croient libéraux, des individus égarés qui célèbrent encore l’individu-roi, avant l’inéluctable retour de la lutte des classes.
Emmanuel Todd est l’auteur d’une œuvre originale d’anthropologie historique. Il a notamment publié L’Invention de l’Europe (Seuil, 1990), L’Origine des systèmes familiaux (Gallimard, 2011) et Où en sommes-nous ? (Seuil, 2017).
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