Une odeur Proche-orientale se répand. Comme un bruit que l’on entend dans une pièce lointaine, le livre Le Parfum d’Irak de Feurat Alani frappe à votre porte. La flamme d’une bougie pleurnicharde s’incline. On n’entend pas le bruit des roquettes, ni des slogans. Les personnages dessinées de Léonard Cohen s’invitent. Ils apparaissent calmes dans des échappées de lumières contrastées. On salue l’approche singulière du roman graphique de Feurat Alani autant que son travail de journaliste. En octobre dernier, il a été récompensé par le prix Albert-Londres du livre 2019.
Avant d’être un livre, Parfum d’Irak s’est constitué des 1000 tweets que Feurat Alani a postés sur Twitter durant l’été 2016, poussé par la nécessité de raconter « son Irak ». Une communauté de follower se constitue pour suivre le récit. Si la démarche d’écrire une telle histoire sur un réseau social paraît originale, elle est surtout créative. En imposant un temps long sur un réseau social, où tout va trop vite, Feurat Alani développe une contre-narration qui ouvre un nouvel espace.
Le style clair et concis imposé par les 140 caractères que permet le médium n’empêche nullement l’auteur de nous livrer ses souvenirs avec émotion depuis son premier séjour en Irak à l’âge de 9 ans. Ayant grandi à Paris, Feurat passe plusieurs étés de son enfance dans un Irak qu’il voit s’effondrer sous la dictature de Saddam Hussein. Le regard intime et perspicace d’un enfant puis d’un jeune adulte sur un pays meurtri, porté à l’écran grâce au superbe travail d’animation de Léonard Cohen où images et son forment une union harmonieuse et puissante. Plus tard, Feurat décide de renouer avec le pays d’origine de ses parents et décide de devenir journaliste pour couvrir la guerre sur place.
Envoyé en Irak alors sous l’occupation américaine, il s’intéresse davantage aux silences de la guerre qu’à sa mise en scène. Avant l’intervention américaine en Irak, pour un journaliste, il y avait plusieurs manières de couvrir la dure réalité d’un conflit armé. Depuis cette guerre de communication où les médias ont couvert le déficit de légitimité entourant l’aventure états-unienne, la tendance du journaliste embarqué par les services de communication des armées s’est généralisée. Feurat Alani a couvert la guerre d’Irak dans la zone rouge au sein de la famille alors que la plupart des journalistes résidaient dans la zone verte dite sécurisée. Son originalité est de relire l’histoire du point de vue de la population.
Le prix Albert Londres du livre 2019 récompense cette remarquable odyssée autant qu’un concept du journalisme qui tente d’être au plus près de la population, de raconter des histoires à hauteur d’homme en s’immergeant au sein d’une population. Son livre fait appel à nos sens et nous révèle un autre Irak, celui d’un pays vu par un enfant. Feurat dévoile l’Irak durant l’embargo financier, commercial et militaire dont personne n’a parlé*, puis l’Irak sous occupation, celui qui se résume dans les médias meanstream à des chiffres et des faits spectaculaires qui aveuglent le vécu. À cette violence froide, l’auteur oppose l’Irak des parfums et des joies car « un pays ne se résume pas à la mort », dit-il, « c’est aussi la vie ».
En mars 2003, l’intervention armée américano-britannique contre l’Irak a provoqué la chute du régime de Saddam Hussein et avec elle, celle des structures de l’État. Le délitement de la société qui suit plonge la pays dans la guerre civile et fait resurgir les conflits ethniques et religieux. Les manifestations anti-gouvernementales qui animent le pays depuis le 1er octobre 2019 se poursuivent en dépit d’une répression sanguinaire (plus de 500 morts). Elles sont portées par la jeunesse irakienne qui veut se débarrasser du pouvoir corrompu. Après 40 ans de guerre, rien ne semble entamer la détermination du peuple irakien. Aujourd’hui, la jeunesse ne se revendique pas en fonction de son appartenance religieuse, elle se revendique comme irakienne. La stratégie de la peur ne fonctionne plus. C’est une force qui veut changer de monde. Feurat Alani suit cela de près, et se prépare à repartir sur place.
Jean-Marie Dinh
*Les sanctions de l’ONU visaient le régime mais c’est tout le pays qui s’est retrouvé coupé du monde.
La guerre (extrait)
J’ai dix ans ma tante Soumeilla et mes cousins irakiens nous rendent visite chez nous à Argenteuil en banlieue parisienne.
Une joie de courte durée. Jusqu’au 2 août exactement. À peine un an de paix et voici une nouvelle guerre.
Ma tante et ses enfants rentrent plus tôt que prévu. Ils craignent que le pays ne ferme ses frontières.
Durant sept mois l’Irak occupe le Koweit. En janvier 1991, la communauté internationale riposte.
Mon père exilé politique est un adversaire de Sadam mais ce soir il soutien l’armée irakienne. Il pense certainement à sa famille sous les bombes.
C’est la première fois que je le vois ivre. Allez mes frères.
Très vite les premières images de soldats irakiens apparaissent. Ma mère croit reconnaître l’un de mes cousins.
Le lendemain dans la cours de récréation, tout le monde parle des feux d’artifices à la télé.
Je suis le seul irakien de l’école. Naïvement, je m’attendais à être soutenu par mes frères arabes.
Les américains vous ont niqué. Je suis en classe de sixième.
C’est la première fois que je me bagarre pour une raison politique.