Fais ce que tu veux en théorie, mais pas en pratique. De nombreux biais, plus ou moins conscients, peuvent entraver l’orientation des jeunes. En avoir conscience contribue à reprendre les rênes de sa trajectoire, explique la pédopsychiatre Marie Rose Moro.
Professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris-Descartes et psychanalyste, Marie Rose Moro dirige la Maison de Solenn, spécialisée pour les adolescents. Fondatrice et présidente de l’Association internationale d’ethnopsychanalyse, elle est aussi coauteure de nombreux ouvrages dont Pour le bien-être et la santé des jeunes, avec Jean-Louis Brison (Odile Jacob, 2019), et Et si nous aimions nos ados… Alerte ! Adolescents en souffrance (Bayard, 2017).
Vous échangez au quotidien avec de nombreux jeunes : dans quelle mesure savent-ils ce qu’ils veulent faire plus tard ?
Beaucoup de jeunes gens que je rencontre trouvent complexes les questions d’orientation, de trajectoire scolaire et universitaire. Ils ont le sentiment que devoir effectuer des choix irréversibles dès 15 ans est un exercice difficile. A cet âge-là, il n’est pas évident de bien sélectionner ses options ou d’opter avec certitude pour la voie générale ou professionnelle. A 15 ans, on est un adolescent. Par essence, on doute, on se pose des questions, on peut avoir envie d’expérimenter, de s’opposer, de dire : « C’est moi qui sais. »
L’orientation peut-elle être source de troubles pour certains jeunes ?
A leur âge, on peut croire qu’ils savent verbaliser leur malaise. Ce n’est pas toujours le cas. Nombre de garçons, en particulier, ont des difficultés à mettre des mots sur leurs ressentis. Cependant, si on les prend au sérieux, si l’on s’assoit avec eux et que l’on discute, on peut finir par savoir. En consultation, ils peuvent être très explicites : « Je ne tiens à rien, je n’ai pas envie de devenir adulte, cette vie ne m’attire pas, mais, si je dis ça, ma mère explose et mon père se met en colère, donc je ne dis rien. »
En conséquence, ils n’ont pas envie de choisir, deviennent tristes et passifs. C’est un cercle vicieux. Sur les 3 000 jeunes que mon équipe et moi-même recevons chaque année, beaucoup disent regretter que leurs parents tiennent un double discours. Derrière le théorique « Fais ce qu’il te plaît », ils se rendent bien compte que leurs géniteurs font une hiérarchie entre les filières, les options et les cursus. Cela pousse souvent les enfants à renoncer à leur rêve profond.
Quelles autres raisons à leur malaise évoquent-ils ?
Ils avancent rarement des causes rationnelles et objectives comme le chômage ou le fait que l’on ne connaît pas encore les métiers de demain. En revanche, ils mettent souvent en avant l’absence de valeur et de sens dans leur vie. Bien sûr, il y en a toujours qui affirment : « Je veux être médecin ou je veux réussir sur le plan financier. » Mais, pour quelques-uns de ceux-là, combien d’autres se questionnent : « Pourquoi aurais-je envie d’être productif, de gagner de l’argent, de prendre des responsabilités dans une société sans avenir, sur laquelle pèsent des menaces écologiques ? » Heureusement, face à la question environnementale, tous ne sont pas négatifs, loin s’en faut. Ils sont même de plus en plus nombreux à vouloir agir pour la planète. Les études deviennent alors un moyen positif de donner du sens à leurs valeurs.
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Source Le Monde 12/01/2020