En France, la représentation nationale est appelée à débattre aujourd’hui de l’immigration. Tandis que le chef de l’État a repris à son compte la notion d’« insécurité culturelle », l’orientation du débat fait une nouvelle fois abstraction des enjeux. La mort le 29 septembre de deux migrants sur l’île de Lesbos, en Grèce, met en évidence l’absence tragique de politique migratoire des Européens. Pour les États membres, seule compte la baisse des arrivées sur leur territoire.
En novembre 2017, je me suis rendu dans le camp de réfugiés de Moria – complètement saturé – sur l’île de Lesbos. Il y régnait un froid glacial, il pleuvait des trombes d’eau, des hommes et des femmes étaient étendus sur des matelas détrempés sous des tentes non étanches. Un jeune Irakien se réchauffait les mains auprès d’un feu. Ses vêtements étaient humides, il avait les pieds nus. Ils étaient près de 7 000 réfugiés comme lui à Moria.
J’ai écrit un long reportage sur la situation dans ce camp, convaincu que les choses changeraient bientôt, que l’Union européenne (UE) ne resterait pas indifférente aux souffrances de ces gens, qu’elle n’abandonnerait pas la Grèce avec ce problème. Même si les pays européens durcissaient leur politique d’immigration, les valeurs dites occidentales et l’exigence d’humanité pousseraient l’UE à intervenir.
Deux ans plus tard, un constat s’impose : les dirigeants européens continuent d’ignorer la situation sur l’île de Lesbos et dans les îles voisines de la mer Égée ; le sort des migrants ne s’améliore pas, il s’aggrave. Avec une capacité d’accueil de 3 000 personnes, le camp de Moria était déjà saturé à la fin de l’année 2017, aujourd’hui on estime qu’ils sont près de 12 000 à vivre dans son enceinte et dans les environs. Et le nombre de nouveaux arrivés, débarquant de bateaux en provenance de Turquie, est reparti à la hausse.
Dimanche [29 septembre], la situation a viré à la tragédie. Un incendie s’est déclaré, coûtant la vie à une femme et à son enfant, d’après les premières déclarations des réfugiés. La police est ensuite intervenue et a lancé des gaz lacrymogènes contre les migrants en colère. Manos Logothetis, responsable du gouvernement grec pour l’accueil des migrants, a parlé d’un “terrible et malheureux incident ».
Sauf que cette tragédie ne devait rien au hasard. Quand des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants de cultures différentes vivent parqués dans des conditions aussi indignes et inhumaines, comment s’étonner qu’une catastrophe arrive ? Il est honteux que l’UE n’ait rien fait pour éviter cette tragédie.
Améliorer la situation des réfugiés en mer Égée et assumer une responsabilité collective en tant qu’Européens n’a rien d’une tâche impossible. Sauf qu’il n’y a pas de volonté politique. Seule compte la diminution du nombre de réfugiés. Le reste peut bien passer à la trappe.
Tim Röhn
Source Die Welt (Berlin) 30/09/2019