La catastrophe de la rue d’Aubagne qui a coûté la vie à huit habitant.e.s le 5 novembre 2018, a été probablement la goutte de trop, le déclencheur… Lors d’un rassemblement vibrant en hommage à toutes les victimes de cette rue le 5 mai 2019, un large collectif(1) d’associations, de syndicats et autres structures locales manifestait au centre ville et lançait d’emblée un appel citoyen pour l’organisation des États Généraux(2) de Marseille.
Un appel rassembleur pour une ville « vivante, accueillante et populaire » où tou.te.s dénoncent une gestion municipale clientéliste qui sévit en toute impunité depuis des décennies et demeure dominée par le « népotisme et les intérêts de lobbys économiques ».
C‘est donc dans la continuité de cet appel qui a entraîné déjà un important travail de défrichage lors de réunions citoyennes en amont, que les mêmes associations de défenses citoyennes, organisations humanitaires et syndicats, proposent un week-end consacré aux débats, échanges et réflexions à l’université Saint-Charles, les 22 et 23 juin avec la tenue de ces Etats généraux de Marseille. Trois axes ponctueront ces journées : Le droit à la ville : comment faire une ville pour ses habitant.e.s ? Marseille en Méditerranée : ouvrir la ville à tous et toutes. Les citoyen-nes au coeur de la ville : action, veille et contrôle des politiques.
ÉTAT DES LIEUX
Logement : une ville insalubre, en péril
A l’heure où le logement insalubre demeure d’actualité à Marseille et, malgré le drame du 5 novembre 2018 qui n’a fait que déclencher une vague d’évacuations d’urgence (plus de 2 400 résidents dans plus de 300 immeubles), force est de constater comme le stipule Leilani Farha juriste canadienne, dans son rapport (3) à l’ONU remis en avril 2019, que : « Cinq mois après la catastrophe, la majorité des ménages évacués vivent encore dans des chambres d’hôtel. Il est particulièrement préoccupant de noter que les autorités locales n’ont pas tenu compte des appels des habitants de Noailles qui, pendant de nombreuses années, ont essayé de les alerter sur le risque de catastrophe que représentait l’état de délabrement de leurs maisons ».
Un rapport qui corrobore avec le travail du collectif initiateur des Etats Généraux. En effet, ce dernier fustige une gestion municipale « aux conséquences désastreuses dans presque tous les secteurs et les domaines de la vie quotidienne des Marseillais-es », illustrant : « Quelques exemples sont révélateurs comme la politique du logement et de l’urbanisme qui fracture la ville en deux, en opposant ses habitant-es et en abandonnant les quartiers populaires aux marchands de sommeil et aux promoteurs immobiliers sans scrupules. Le résultat, c’est une ville en péril, où la vétusté, l’insalubrité et l’insécurité dans les bâtiments règnent dans presque tous les quartiers et détruit la mixité sociale en excluant les plus pauvres des quartiers qu’ils requalifient ».
Dans ce seul domaine, on estime à 40 000, le nombre de logements potentiellement inhabitables à Marseille. La situation périlleuse est illégale, selon Leilani Farha : « En vertu de la législation nationale, les autorités locales ont l’obligation d’inspecter les logements pour s’assurer des conditions de sécurité et pour protéger les locataires des risques sanitaires causés par la vétusté des logements. Les autorités ont également l’obligation de veiller à ce que les propriétaires privés maintiennent des conditions de propreté conformes au droit international des droits de l’homme. J’ai appris que pendant de nombreuses années, la Ville de Marseille ne comptait pas parmi ses employés quiconque ayant la formation nécessaire pour effectuer de telles vérifications et que même aujourd’hui cette responsabilité est assumée par un personnel insuffisant (…) A Marseille, j’ai également parlé à des résidents concernés qui estiment qu’on leur demande prématurément de retourner chez eux et de recommencer à payer leur loyer, malgré les mauvaises conditions et les risques permanents (…) ».
Dernièrement et plutôt contraints lors du conseil municipal du 17 juin 2019, les élus de la majorité Les Républicains (LR) ont fini par évoquer la charte des délogés négociée depuis plusieurs semaines par les collectifs, associations, Etat et ville. Un flot de verbiage qui a animé un débat sans répondre pour autant aux attentes citoyennes.
Éducation : une ville dénuée de réelle politique publique
Côté éducation, le constat est également sans appel à Marseille et nécessite un bref retour en arrière.
Lors du conseil municipal d’octobre 2017, l’équipe de Jean-Claude Gaudin votait un financement Partenariat Public Privé (PPP) pour la rénovation de ses 446 écoles avec un marché estimé à plus d’un milliard d’euros, qui a semé aussitôt le tollé général dans la ville. Aussitôt, le collectif « Marseille contre les PPP » (syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône, Unsa, MAV Paca, Cinov, Capeb 13, syndicat national du second œuvre, de nombreux syndicats d’enseignants (FSU, Sud Education, SNU, etc.), de parents d’élèves, et de citoyens), portait l’affaire au tribunal administratif (TA), pétition à l’appui (15 000 signataires aujourd’hui).
Le 12 février 2019 le TA annulait la saugrenue délibération, entraînant une première victoire chez les opposants. Selon les conclusions du TA, cette opération municipale aurait entraîné « nécessairement des dépenses supplémentaires à la charge de la commune de Marseille » et « la modification des conditions d’exercice de la fonction de maître d’œuvre qu’implique la passation d’un marché de partenariat ».
L’équipe de Jean-Claude Gaudin qui a fait appel, soutient pourtant toujours son projet, arguant des économies de 65 millions d’euros, malgré la décision de justice qui la fragilise grandement. De son côté, « Marseille contre PPP » qui a soumis un contre-projet, estime plutôt à 313 millions d’euros, le surcoût du financement en PPP, comparé à la mise en place d’une Maîtrise d’ouvrage Publique (MOP). Rappelant que « l’école publique n’est pas à vendre », ces opposants exigent un audit sur les besoins de l’ensemble des écoles marseillaises, un plan pluriannuel d’investissement dans les écoles, une reconstruction-rénovation avec une MOP conformément à la loi, une gestion publique du projet et de la maintenance des écoles, la sollicitation d’un prêt auprès de la banque européenne avec des taux très bas dans ce cadre, et l’obtention d’un prêt spécial de l’état face à la situation catastrophique.
Et, le paysage scolaire à Marseille, ne fait que décliner, encore. Bâtiments vétustes, mal équipés, non adaptés aux pics de températures, établissements amiantés, présence de rats, de punaises de lits, de puces, la liste des doléances est longue dans une ville où le délabrement touche bien plus les quartiers nord plus abandonnés, que ceux plus chics du sud.
Mettant cette question de l’éducation, également au cœur des débats prévus le week-end prochain, le collectif organisateurs des Etats Généraux, précise : « Les conditions d’accueil quotidien des enfants de Marseille sont déplorables, avec un manque de moyens techniques et de personnel (encadrement du temps de cantine). Avec le dédoublement des CP et CE1 en réseau d’éducation prioritaire, il est préféré des aménagements temporaires. C’est (encore) aux grands groupes du BTP que la ville veut offrir la rénovation des écoles en leur confiant la reconstruction de 34 établissements dont tous les administré-es deviendraient indirectement locataires, contrat qui engloutirait le budget d’entretien des 412 écoles restantes pendant 25 ans ». Et d’ajouter : « La politique de la petite enfance Marseille reste également très en retard. Ce sont encore plus de 3 000 places en crèche qui manquent sur le territoire, avec des critères d’attribution des places pour le moins opaques, ce qui accentue les inégalités sociales et précarise d’autant plus les femmes, encore majoritairement en charge des tâches domestiques et éducatives ».
En face, la municipalité ne démords pas avec son appel pour asseoir son PPP. Le 17 juin dernier, la séance du conseil ayant été aussi l’occasion pour l’équipe Gaudin, d’informer sur le lancement d’une consultation pour une assistance à maîtrise d’ouvrage pour le plan écoles. Un point était également fait sur un nouvel audit des écoles qui serait « bien engagé », selon l’équipe Gaudin.
Transports en commun : une ville dépourvue de liaisons et de cohésion
Cruciale, cette question sera également à l’ordre du jour des Etats généraux ce week-end.
Pour le collectif organisateur : « La politique des transports se résume au tout voiture, en assignant à résidence les plus pauvres et les plus jeunes dans les cités périphériques. Le cynisme va jusqu’à interrompre les services de bus urbain à 20h30 ou superposer les lignes de tram et de métro en laissant de côté les quartiers Nord. Pour embouteiller le tout, l’agglomération marseillaise, comme l’ensemble de la région, dispose d’une desserte ferroviaire locale et régionale des plus aléatoires. La circulation des vélos reste dangereuse ».
En effet, alors que la cité phocéenne compte 1129 kilomètres de lignes, loin derrière Brive-la-gaillarde (11197) ou encore Lyon (3886), la fameuse ligne 2 du métro marseillais fait partie des projets-mirages, cinq ans après la date prévue de son inauguration (2014). La présidente LR du Conseil Départemental des Bouches du Rhône, Martine Vassal, le déplorait elle même, il y a quelques semaines : « Nous avons 40 ans de retard à Marseille ».
Annoncé il y a 19 ans par l’ex-maire socialiste, l’allongement (900mètres) de cette ligne censée relier les quartiers Nord après Bougainville, devait être effectué en 2014. Depuis, il a été reporté par la majorité Gaudin, successivement à 2014, 2016, 2017, 2018 puis à septembre 2019… Avec, en prime, toutes sortes de justifications pour tenter d’en découdre, des fouilles archéologiques aux raisons techniques, aux graves défaillances dans la signalisation, ou encore à la vérification des 400.000 points de connexion, etc. Un jeu politique qui consiste à noyer le poisson, créant comme le dénoncent ses habitants, un véritable apartheid social côté quartiers nord, là où pourtant dans les quartiers sud 4,4 km de nouvelles voies et 9 stations sont prévues d’ici 2023!
Politique de la voirie
Parmi les autres thèmes qui seront abordés durant ces états généraux, les politiques de voirie, propreté et gestion des déchets, qui font « la réputation scabreuse de la ville » dans tout le pays, selon le collectif qui poursuit : « Les élus n’ont de cesse de mettre en accusation les Marseillais-es pour leur incivilité et ainsi passer sous silence leur incurie et cacher de hasardeux marchés publics passés dans le département ».
Politique des Sports
De même pour la politique des Sports qui « privilégie le spectacle, dans le cadre d’accord avec les grands groupes financiers et/ou marchands quand les piscines ferment les unes après les autres ».
Politique culturelle
Concernant la politique culturelle, le collectif fait état de « la disparition ou fragilisation d’initiatives et de talent de nombreux artistes ou structures indépendantes, par un jeu de concentration des lieux de création et des financements qui privilégie les « évènements-vitrines » au nom du rayonnement de la Ville et favorise l’expansion de salles appartenant à des groupes bancaires ou immobiliers ». Une absence de gestion culturelle publique qui entraîne : « une incapacité à rattraper un retard énorme en matière de lecture publique, un plan de développement des bibliothèques qui n’arrive pas à se mettre en place et commence par la fermeture de 2 bibliothèques de quartier », selon le collectif marseillais qui évoque par ailleurs : « La politique d’accueil est en réalité une politique économique destinée aux touristes, croisiéristes et aux classes moyennes supérieures, faisant fi des réfugié-es et des migrant-es, enfants comme adultes qui meurent en Méditerranée ou qui dorment à la rue, dans des bidonvilles ou en squat. Les étranger-ères qui vivent dans notre ville, y paient leurs impôts, n’ont pas le droit de vote et ne sont donc pas des citoyen-nes à part entière aux yeux des élus. Ces politiques publiques discriminantes ont pour conséquence l’aggravation des inégalités socio-économiques et de genre. La ville est au bord de la rupture. La lente disqualification des quartiers populaires et la relégation de ces populations rendent Marseille invivable ! Les femmes subissent davantage la précarité (la moitié des mères célibataires à Marseille se situent en dessous du seuil de pauvreté) ».
Un néant environnemental
Le bilan marseillais est d’autant plus préoccupant que la ville ne se soucie ni de son empreinte carbone ni des défis écologiques qu’elle se doit de relever. Le collectif dresse une longue liste : « Les espaces verts sont rares et non entretenus, la transformation d’une partie du parc Longchamp en parking, le peu d’engouement pour l’agriculture urbaine qui pourrait nourrir les Marseillaises en local, une indifférence manifeste à la sauvegarde des richesses naturelles de Marseille et une ville qui étouffe sous les déchets, les gaz de voitures et la chaleur, la pollution occasionnée par les bateaux de tourisme ».
C’est dans ce climat général, plutôt délétère que les Etats Généraux de Marseille entendent éclairer et susciter une importante implication citoyenne.
Parce que, selon le collectif : « La participation des habitant-es à la vie démocratique se réduit à des mascarades là où elle est imposée par la loi, sinon elle se résume à une discussion de salon avec des conseils d’intérêts de quartiers, laissés pour la très grande majorité aux mains de personnes peu représentatives », ce dernier proposent d’en découdre lors de ce week-end ouvert à tou.te.s à l’université Saint-Charles.
A cette occasion plusieurs médias indépendants* (dont le Ravi, Marsactu, Radio Galère, radio Zinzine, etc.), dits « pas pareil » s’associent à ces états généraux pour soutenir l’initiative et ouvrir des espaces de paroles citoyennes, notamment avec l’organisation de l’atelier « Médias et citoyens » qui se déroulera sur un plateau extérieur samedi à 13 heures. L’inscription est obligatoire (voir ci-dessous).
H.B.
Premiers signataires du collectif citoyen :
(1) Collectif du 5 novembre – Noailles en Colère, Le collectif des bourelly, L’association Leveque Familly Projet, Quartiers Nord Quartiers Forts, Collectif Maison Blanche, Salariés Mc DO St Barthélemy, Collectif Air Bel, Collectif des Habitants du Petit Séminaire, Collectif La Viste, Collectif du Plan d’Aou, CNCV Campagne Picon, ALCV Saint-Barthélémy 3, Un centre-ville pour tous, Collectif habitants des micocouliers, Collectif « Brouettes et compagnie », Collectif « Citoyens du 3 », Collectif des écoles publiques du 3ème, Collectif « J’Y Vis G mon Avis », Syndicat des quartiers populaires de Marseille, Marseille féministe, Le Collectif des écoles de Marseille, RESF 13, LDH, Emmaüs, Osez le féminisme 13, L’Art de Vivre, Le Grand Comptoir, L’association des usagers des bibliothèques, Didac’ressources, Solidaires, Sud Education, CGT 13 Busserine et environs, soutenu par des militants de la FSU.
Référence / Lien:
(2) Etats Généraux de Marseille : Samedi 22 juin 11h00 à19h00 et dimanche 23 juin 09h00 à13h00 à la faculté St Charles.
Inscription obligatoire : https://les-etats-generaux-de-marseille.fr/linscription/
Soutien financier : https://les-etats-generaux-de-marseille.fr/dons-pour-lorganisation/
Notes:
(3) – Rapport de Leilani Ferha à l’ONU sur le logement en France: https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=24475&LangID=F
*https://mediascitoyenspaca.wordpress.com/2019/06/20/avec-les-medias-citoyens-paca-participez-aux-etats-generaux-de-marseille/
https://www.facebook.com/mediascitoyenspaca/posts/1245601248951893
https://youtu.be/4ESZpJAlCQM