« Au nom de la démocratie votez bien »
Dans son livre Au nom de la démocratie votez bien à partir d’un retour très documenté sur le traitement médiatique des élections présidentielles de 2002 et 2017, l’économiste Mathias Reymond qui co-anime le site Acrimed, fait le constat que les médias cherchent à imposer avec plus ou moins de résultat, le choix des maîtres.
« Ne pas voter, c’est voter le Pen. Voter nul, c’est voter Le Pen, Voter blanc, c’est voter Le Pen. » Cette injonction en creux à voter pour qui l’on sait, publiée sous la plume de Delteil dans l’Obs, en mai 2002, trouve bien des équivalents dans l’agitation médiatico-politique de ce mois de mai 2019.
Imposer le choix des maîtres
Ce n’est pas vraiment nouveau, par temps d’élection, les journalistes le savent, il n’est pas bon de faire valoir son statut d’auteur pour élargir le spectre de l’orientation politique décidée par les éditeurs de presse. C’est toujours dans les contextes électoraux que cette position politique est la plus perceptible, offrant un moment privilégié aux citoyens qui s’intéressent à la liberté d’expression, pour mesurer la résistance des grands principes d’indépendance dont tous les médias se réclament, qu’ils s’affichent de droite, de gauche ou apolitique.
Ce sont précisément ces moments que fait ressurgir Mathias Reymond dans son livre Au nom de la démocratie votez bien. À partir d’un retour très documenté sur le traitement médiatique des élections présidentielles de 2002 et 2017, l’économiste, enseignant à l’université de Montpellier qui co-anime le site Acrimed, fait le constat que les médias cherchent à imposer avec plus ou moins de résultat, le choix des maîtres. L’ouvrage ne vise pas à affirmer que les médias ne servent à rien d’autre mais que la fonction de la propagande politique est une de leurs caractéristiques centrales.
Le choc
Après avoir tracé le périmètre du débat légitime en qualifiant eux-mêmes les deux candidats, Chirac ou Jospin, les médias (1) se réveillent le 22 avril 2002 au matin avec la gueule de bois. « Séisme », « onde de choc », « tremblement de terre », « big bang », le vocabulaire employé dans la presse ce matin là en témoigne. L’anomalie ne peut qu’être dû aux forces indomptables de la nature. Les instituts de sondage et les éditorialistes éclairés n’ont rien vu venir, mais « Les coupables ce sont d’abord eux : les électeurs et les abstentionnistes ». On ne trouvera personne pour analyser le choix des citoyens, pourtant, rappelle l’auteur, cette anomalie va se répéter. Lors des élections européennes de 2014 où le FN devance l’UMP, puis en 2017 où le candidat hybride d’ En Marche affronte l’héritière du F.N. au second tour des présidentielles. Dans l’entre-deux tours, c’est sans doute la « une » de l’ Express qui sera le plus éloquente. Occultant le résultat du vote, l’hebdomadaire titre en lettres capitales « Il a gagné » ajoutant en plus petit « son pari ».
La rengaine du vote utile
Après le « choc » de 2002, il ne fallait plus que pareil drame se reproduise. Par conséquent, on rabâche à chaque élection ce slogan, qui exempte tout candidat de défendre un programme ou des idées, puisqu’il y a un (seul) « vote utile » et des « votes inutiles ». Force est de constater que depuis la défaite de Jospin, cette assommante rengaine du vote utile qui nivelle le débat politique au ras des pâquerettes est entrée au cœur de la stratégie politique pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir. Dès lors, la modélisation de la propagande médiatique qui sert à communiquer des messages à la population va user de la manipulation symbolique (2) pour s’articuler à la panoplie des dispositifs de communication du pouvoir politique. Pour les « grands » médias, crédibiliser cette stratégie du binaire peut comporter des aspects paradoxaux comme mettre quotidiennement en scène l’insécurité.
Par ailleurs comme le souligne justement Henri Maler (3), « La focalisation sur les questions qui préoccupent le microcosme médiatico-politique et non sur les problèmes dont les élus sont censés s’occuper accrédite une version politicienne de la politique, qui en détourne de large fraction de la population (en particulier dans les classes populaires) et contribue à légitimer le discours « anti-système » du Front-National». L’entrée en jeu d’Emmanuel Macron s’est faite sur la même partition, celle de la fin d’un monde et du dégagisme. « Aussi imprévisible qu’insolite, son parcours n’a pas connu beaucoup de contestation de la part des journalistes qui s’empressent de le porter au pinacle », souligne Mathias Reymond qui étaye son observation d’exemples significatifs. Parmi eux, ce sont les plus inattendus qui retiennent l’attention, comme les positions du Canard enchaîné, de Médiapart, ou de Politis, justement parce qu’ils démontrent que le principe de propagande électorale fait système.
Et maintenant
Il n’échappe pas aux citoyens qu’en période d’élections la propagande médiatique s’intensifie mais dans une démocratie d’opinion, comment pourraient-ils s’immuniser contre les valeurs grossières que lui assène le rouleau compresseur médiatique ? Les idées préfabriquées les éloignent de leur propre réalité. Aujourd’hui encore, agiter l’épouvantail de l’extrême droite est un moyen efficace pour faire oublier que les forces de l’ordre défigurent en toute impunité des manifestants qui exprime une exigence d’égalité.
À quelques encablures du choix d’y aller ou pas, l’essai de Mathias Reymond souligne à quel point nous nous trouvons sous influence d’une propagande systématique en période électorale. Sans jeter le bébé avec l’eau du bain, il démontre la contribution des médias au pouvoir des puissants. Cette étude du traitement médiatique des élections présidentielles dresse le constat d’une perte de sens du politique et d’un parti pris des médias qui recourent à un même processus « information-mobilisation-culpabilisation », appliqué à chaque échéance électorale en s’ajustant à la nature de ce qu’il faut combattre ou qu’il faut soutenir. Cette pression pèse sur les indécis qui sont de plus en plus nombreux.
Qu’en sera-t-il dimanche ? À ce moment particulièrement difficile, sensible, fragile, du choix du citoyen, qui s’est pour ainsi dire toujours fait trahir après avoir glissé son bulletin dans l’urne mais qui reste convaincu que voter, ce petit rien, représente malgré tout quelque chose, ou qui a décidé qu’il ne cautionnera pas une nouvelle fois ce jeu de dupe.
Bienvenue dans le monde orwellien ou chacun peut encore voter mais n’en a plus envie. Le résultat du vote au Pays Bas démontre en tout cas que ce serait une erreur que de supposer aux citoyens une homogénéité, corollaire de celle des médias unanimes.
Jean-Marie Dinh
Notes:
- Les médias partagent généralement la vision binaire que sous-tend le vote utile avec le gouvernement. Les Français ont pu le constater cette semaine en recevant les professions des deux listes LREM et RN dans la même enveloppe.
- Voir le titre de « une » du Canard enchaîné de cette semaine « Ça devient un brun inquiétant ! » titre de l’article d’Erik Emptaz « Dernière ligne (extrême) droite ».
- Henri Maler est Maître de conférences à l’Université de Paris 8. Fondateur d’Acrimed et son principal animateur jusqu’en janvier 2015.
Sources:
Mathias Reymond « Au nom de la démocratie votez bien » Éd Acrimed Agone 12€