S’il est une réalité politique difficile à appréhender, encore plus que celle des Etats-nations qui la composent, c’est bien celle de « l’Europe », comme ils disent.
Comme ils disent parce qu’il faudrait déjà passer des heures à dissiper la confusion médiatique (savamment entretenue ?) entre l’Europe (« De L’Atlantique à l’Oural » comme disait un personnage célèbre) et l’Union européenne, construction relativement récente, élargie à 28 pays depuis 2013. Dans cette entreprise de démystification, la dernière nécessité en date serait de déjouer le piège de l’opposition fallacieuse entre « progressistes » (Macron-Nathalie Loiseau, défense de rire) et nationalistes. D’autres s’y emploient dans certaines formations politiques. On ne s’y attardera donc pas ici.
Jusqu’ici, force est de constater que le beau rêve européen (après tout, Victor Hugo appelait déjà de ses vœux la réalisation des « Etats Unis d’Europe ») s’est plutôt transformé en cauchemar. Et que la désillusion n’est pas pour rien dans la désaffection que subit ce scrutin électoral, même si la proportionnelle offre à davantage de courants la possibilité d’être représentés à l’assemblée de Strasbourg. Et ceux qui « à gauche » ont choisi, dès les années 1980, « l’Europe d’abord » plutôt que le social, de Maastricht (1992) au référendum sur le Traité constitutionnel européen (2005), ont sacrifié à la fois l’idée européenne (tout au moins celle susceptible de dépasser les nationalismes) et les avancées sociales. L’Europe sociale sans cesse renvoyée aux calendes grecques (une pensée émue pour les citoyens et citoyennes de Grèce sacrifiés sur l’autel de l’austérité), cela nous a donné Salvini, Orban, la percée de « Vox » en Espagne et même celle de formations nationalistes dans des pays que l’on croyait presque immunisés contre un tel fléau (Suède, Finlande, Danemark…). Preuve de la faillite de la social-démocratie scandinave. Qui leur a ouvert la voie, si ce n’est tous les fanatiques du libéralisme économique décomplexé, insensibles aux souffrances et aux détresses qui se disent dans toutes les langues européennes ?
L’aveu de Juncker
Et il faudrait laisser le champ libre à ces apprentis sorciers, à un Jean-Claude Juncker qui a osé dire que les traités étaient plus importants que les votes démocratiques ?(1) Loin de la légende rose sur l’Union européenne, les mots de Juncker ont valeur d’aveu. Dans leurs mains, « l’Europe » est un outil de mise au pas des peuples et l’avant-garde de l’inscription dans le marché capitaliste planétaire. La perversité du travail détaché (des salariés venus de Pologne et d’ailleurs pour participer à des chantiers en France sans les garanties sociales du « pays d’accueil ») est telle que tout est fait pour provoquer des réactions de rejet plus que des réflexes de solidarité envers les moins bien lotis des salariés. Dans un contexte de concurrence exacerbée, ceux qui plaident pour l’égalité des droits sociaux ont peu de chances de se faire entendre.
Alors, tout serait à jeter dans la « construction européenne » ? « Et la paix entre les pays membres de l’U.E », s’indignent les belles âmes ? Certes, qui pourrait regretter l’absence de conflit armé avec nos voisins, après des siècles d’histoire européenne meurtrière ? Pourtant, de François Hollande à Emmanuel Macron, est martelée l’idée d’une « défense européenne commune ». Pour se défendre de quels ennemis ? En guise de grand dessein pour l’Europe, on peut rêver mieux.
Qui pourrait regretter le fait que certaines dispositions de l’U.E. en matière d’environnement soient plus avancées que les lois nationales ? Qui jetterait à bas le programme « Erasmus » qui permet à des étudiant-e-s de poursuivre leur cursus dans d’autres universités européennes ? Pour ceux qui ont la chance de partir en vacances à l’étranger, qui regrette le casse-tête du change d’antan avec la Lire, la Peseta ou le Deutschmark ?
La question est de savoir ce que pèsent ces dispositions face à une logique générale qui a tout du pousse-au-crime. Où sont les harmonisations sociales et fiscales ? Où est la lutte contre le dérèglement climatique qui n’a que faire des frontières ? Au fond, il n’y a peut-être que sur le dos des migrants que « l’Europe » est capable de faire cause commune. Macron et Salvini réunis. Pour que chacun se sente pleinement « européen », il faudrait commencer par en finir avec l’arrogance des premiers de cordée.
Morgan G.
sources:
1 : https://www.liberation.fr/checknews/2018/06/14/juncker-a-t-il-vraiment-declare-un-jour-qu-il-ne-pouvait-y-avoir-de-choix-democratique-face-aux-trai_1659020