L’indéboulonnable directeur du festival d’art chorégraphique montpelliérain a présenté sa 39e édition. Grand teint. Forcément grand teint.
De l’humour. Rien qu’un trait d’humour. Jean-Paul Montanari évoque quelques soucis de santé pour suggérer qu’au train où va sa carrière, l’hypothèse n’est plus à exclure qu’elle vienne à se conclure en scène. Au cours de la conférence de presse présentant le programme de sa trente-neuvième édition, le directeur septuagénaire du Festival Montpellier danse commentait ainsi les perspectives exposées par Philippe Saurel, président de la Métropole de Montpellier, principal financeur de cette manifestation, au côté de l’État.
A son arrivée aux affaires, l’édile montpelliérain avait enjoint l’homme de l’art de libérer son siège au plus vite. L’idée restait étriquée, ne visant qu’à solder quelque cuisine intestine du frêchisme décomposé. Une fois évalué le poids financier de pareille rupture, on obtempéra. Si bien qu’en 2019, Philippe Saurel brosse l’avenir de Montpellier Danse sur le mode « de l’intelligence et de la stabilité, dans l’attente de l’issue des urnes ». En une matière artistique, on aurait pu rêver plus excitant à l’esprit.
Jean-Paul Montanari signant la trentre-neuvième édition d’un festival qu’il cofonda au début de l’ère frêchienne, autant lui confier la confection de la quarantième pour 2020 (« quasiment bouclée », assure-t-il). Mais alors, une fois passées les élections municipales, il sera temps d’envisager une succession. Un appel à projet sera alors lancé. Cela prendra le temps que cela prendra. « Et je commence à me pencher sur la quarante-et-unième » sourit le directeur.
Nul ne mettant en doute l’envergure du brillant programmateur montpelliérain, on pourrait s’en tenir à l’humour. A moins de s’inquiéter, sur le fond, de ce que tout cela signifie de refus du renouvellement, reconduction des héritages, empêchement opposé aux nouvelles générations. Pour présenter sa trente-neuvième programmation (22 juin – 6 juillet 2019), l’indéboulonnable directeur commence par remarqer « qu’elle s’est élaborée très facilement, presque toute seule ». Est-ce tellement bon signe, à estimer que le front de l’art est tout de même celui des risques, de l’expérimentation, de l’insoupçonné, du bouleversant ?
En lieu de quoi, difficile d’imaginer panorama plus montanarien que celui qui s’annonce pour cet été. Grand teint. Forcément grand teint. Voire somptueux. On indique au passage « que les artistes reviennent à de grandes formes, avec beaucoup de danseurs sur scène. Et qu’est-ce que c’est beau ! Ça fait vraiment du bien ». Nouvel élan ? Ou retour de nostalgie ?
Ainsi les seize danseurs au service d’Anne-Teresa De Keersmaeker et ses Six concertos brandebourgeois en clôture du festival salle Berlioz du Corum. Grand teint. Très, très grand teint. Ainsi – même salle, même box-office – les douze danseurs de Preljocaj sur Les voyages d’hiver, de Franz Schubert. Et encore les effectifs géants du Ballet de l’Opéra de Lyon – salle Berlioz bien évidemment – pour un programme Cunningham.
Le célèbre chorégraphe new-yorkais aurait eu cent ans cette année. Avec lui s’introduit la saga des avant-gardes comprises depuis Montpellier, c’est-à-dire selon une visée historique, forcément historique, et américaine. Les dix danseurs de la Stephen Petronio Company – l’une des dernières grandes formations new-yorkaises que le libéralisme économique n’ait pas démantelé – donne un programme de hits de l’underground, mais des années 60 à 80 (Yvone Rainer, Steve Paxton). Il est jusqu’à William Forsythe pour être retourné vivre et travailler en l’Amérique de ses origines. Il réveillera les mannes des heures glorieuses du festival montpelliérain, en montrant ses formes aujourd’hui assagies devant le public de l’Opéra Comédie. C’est-à-dire là où il posait les pieds pour la première fois en 1988 – ce qui ne nous rajeunit toujours pas.
Depuis New-York encore, Miguel Gutierrez, un peu seul, sonne la charge de folies plus contemporaines, imprévisibles, nourries d’art-performance, surgies du fin fond de Brooklyn. Jefta Van Dinther, Eszter Salamon (ex égérié de Mathilde Monnier) et Anne Collod brillent aussi dans un paysage actuel. Cela, même si ces deux dernières travaillent sur des figures de la première moitié du vingtième siècle, en exhumant les personnalités et travaux célèbres sur le papier, jamais vues sur les scènes, de la performeuse anti-nazi Valeska Gert et des pionniers américains (re) Ruth Saint-Denis et Ted Shawn.
Amala Dianor et son hip hop en broderie, les déchirures post-coloniales de Dana Michel, la faille exilée du Syrien Mithkal Alzghair, les expérimentations vertigineuses de Camille Boitel ouvrent les pistes les moins rebattues. A Guetter. C’est ce qu’on aurait écrit, voici vingt ans, de Boris Charmatz et Christian Rizzo ; aujourd’hui digérés par l’Institution, ils déprimaient plutôt le Montanari des années 90. Ils figurent tous deux au programme 2019. C’est d’ailleurs Christian Rizzo, le propre directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier, qui ouvrira le festival. On se rassure : pas moins de quatorze danseurs dépotent sa Maison.
Avec lui, le festival Montpellier Danse se déplacera pour la première fois au Théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine d’O, en programmation conjointe avec le Printemps des Comédiens. Cette même semaine était dévoilée la programmation de celui-ci, en conférence de presse. Où on a pu vérifier les assauts croisés de marques d’estime professionnelle très appuyées, entre les deux directeurs. En fait, ces deux-là paraissent guère éloignés dans leurs options esthétiques cardinales : soit les formes de haut niveau, irréprochables, d’un art scénique qu’ils pratiquent depuis plusieurs décennies. Cela au point qu’il faille tout de même beaucoup fouiller pour y déceler les signes de l’audace.
Mais cessons d’exposer nos soucis de riches.
Gérard Mayen
Photo : Cunningham performing in 1948 Photograph: dr Philippe Halsman / Magnum
Voir aussi : Angelin Preljocaj « La Fresque »