La revendication d’un référendum d’initiative citoyenne a donné lieu à beaucoup d’arguments pour ou contre. Certains – surtout venus de nos représentants – s’appuient sur de fausses affirmations. Ce billet décrypte dix d’entre elles.


De manière générale, les connaissances disponibles confortent les argument en faveur de la revendication phare des Gilets jaunes.


 

Le référendum d’initiative citoyenne a donné lieu, ces dernières semaines, à toutes sortes de spéculations souvent très éloignées de la réalité. S’agissant d’une institution très bien connue car très étudiée, il est utile de revenir sur dix informations erronées véhiculées tant par ses supporters que par ses opposants. De manière générale, les connaissances disponibles sont favorables aux arguments qui appuient la revendication phare des Gilets Jaunes et contredisent les craintes exprimées par les élus de La République en marche.

 

1. Le RIC est un saut dans l’inconnu

Le RIC est utilisé dans une dizaine d’États, des centaines de régions et des milliers de communes. De nombreuses variantes sont utilisées et observées, qui vont des modèles plus anciens – en Suisse et aux États-Unis où le RIC date du dix-neuvième siècle – aux plus récents, en Europe de l’Est. Les RIC plus anciens sont aussi les plus faciles d’accès : faibles seuils de signatures, aucune restriction sur les sujets concernés, pas de quorums (nombre minimal de participants) sur le résultat du référendum, aucune intervention des représentants dans le processus, utilisation à tous les niveaux de gouvernement. Ces différents aspects ont été restreints dans les dispositifs plus récents. En Uruguay, par exemple, le seuil des signatures est très élevé, mais aucun quorum n’est nécessaire. À l’inverse, en Italie, le seuil est faible mais le quorum exigeant. De nombreuses autres variantes, existantes depuis des années, ont permis d’obtenir des connaissances solides sur ce dispositif qui est donc loin d’être inconnu.

 

2. Le RIC exprime la volonté du peuple

La « volonté du peuple » ne s’exprime ni par le RIC, ni par les élections. Le RIC permet aux lois d’être impulsées par une minorité d’électeurs et validées par une majorité d’entre eux. Cela signifie que la majorité valide ou non les propositions faites par des minorités capables de réunir un certain nombre de signatures. L’intérêt principal du RIC n’est donc pas d’identifier une volonté du peuple, mais de fournir à chacun un moyen de contrôle sur les représentants, associé à des droits politiques renforcés. Chaque citoyen a alors le droit d’impulser les lois, de voter directement pour des projets législatifs, de censurer une loi de son gouvernement, voire de décider d’avancer la date des élections. En ceci, on peut dire que le RIC accroît les droits des citoyens, mais pas qu’il exprime la volonté du peuple.

 

3. Le RIC ne doit pas porter sur des questions budgétaires ni autres sujets techniques

Cette limite est paradoxale car l’un des effets le plus régulièrement observé du RIC est la réduction de la dette publique. Autrement dit, lorsque les citoyens se mêlent d’équilibre budgétaire, ils le mettent plus en ordre. Certains pays, comme l’Italie, ont interdit qu’un RIC puisse porter sur des questions budgétaires. L’absence de cette restriction lui aurait été pourtant utile car l’Italie se retrouve parmi les États les plus endettés au monde. À l’inverse, la Suisse ou la Californie, qui utilisent le RIC sur tous les sujets incluant les plus techniques, ont une économie qui fonctionne très bien. En fait, le RIC empêche la technicisation abusive des sujets et favorise la transparence des enjeux. Au contraire, sans le RIC, les représentants sont incités à rendre inutilement complexes les enjeux budgétaires, limitant ainsi les éventuelles contestations. Cette même logique rend plus généralement le RIC particulièrement bienvenu sur les sujets techniques.

 

4. Le RIC n’a de sens qu’au niveau local

Nous sommes revenus sur les effets du RIC sur les comptes publics : cet effet n’est observé que lorsque le RIC est mis en place au même niveau de gouvernement que celui qui collecte l’impôt. Supposons, par exemple, que les citoyens d’une ville doivent voter pour ou contre la construction d’un pont financé par l’État français. Dans ce cas, ils diront « oui », car ils gagnent un pont sans le payer. C’est ce qu’il se passe dans les municipalités aux Etats-Unis, où – contrairement aux États – les déficits ont tendance à augmenter. En revanche, lorsque le RIC porte sur le niveau où l’impôt est collecté, les effets vertueux cités plus haut sont visibles : les citoyens font des choix plus responsables que leurs élus. Par conséquent, en l’état actuel de l’organisation des pouvoirs en France, le RIC est intéressant surtout au niveau national. Si la France était amenée à donner à ses régions ou communes une plus forte capacité à lever l’impôt, alors introduire un RIC local aurait un sens.

 

5. Le RIC doit être limité car il entraîne un risque de mise en cause des droits et libertés fondamentales

Rien ne justifie une telle affirmation. La Suisse n’a jamais eu de tournant autoritaire, ni aucun mouvement d’ampleur défendant des mesures d’oppression, contrairement aux pays voisins. L’Uruguay, qui dispose également d’un RIC, est désormais toujours mieux classé que la France dans les index internationaux qui mesurent le respect des droits civiques. Aux États-Unis, la peine de mort est certes largement pratiquée, mais ce sont les États qui n’ont pas le RIC qui la pratiquent le plus : le Texas en tête, suivi par l’Alabama ou la Géorgie. D’un point de vue statistique, aucun lien significatif entre usage du RIC et atteinte aux droits fondamentaux n’a été observé. Si l’on se base sur les cas d’usage du RIC au niveau national, on devrait plutôt extrapoler un lien dans l’autre sens : le RIC et la protection des droits fondamentaux ont tendance à aller de pair, simplement parce que les citoyens ont peu d’intérêt à supprimer leurs propres droits.

 

6. Le RIC doit exiger des seuils de signatures très élevés pour ne pas être un instrument dans les mains de groupes d’intérêt.

Plus le seuil de signatures est élevé, plus le nombre de groupes capables de lancer une initiative est restreint. Cela vaut aussi pour les groupes d’intérêt : avec un seuil élevé, seuls les groupes puissants et riches pourront lancer une initiative, alors qu’avec un seuil faible, les lobbies de moindre importance pourront également tenter leur chance. Les groupes d’intérêt jouent donc toujours un rôle d’impulsion avec le RIC, quel que soit le seuil de signatures. Il faut néanmoins garder en tête que, puisqu’un referendum suit automatiquement une proposition, il faut que l’initiative plaise à la majorité des votants pour être adoptée. Le poids des lobbies est donc moins fort que dans un système sans RIC, parce qu’il est toujours plus difficile de convaincre une majorité d’électeurs plutôt qu’une équipe restreinte d’élus au pouvoir.

 

7. Le RIC peut annuler des décisions qui ont exigé beaucoup de travail et d’engagement de la part des décideurs.

Lorsque le RIC existe, les pratiques politiques changent. Avant de faire une loi, les gouvernants ont intérêt à explorer si la loi qu’ils envisagent est suffisamment consensuelle, autrement ils risquent en effet de travailler pour rien. Une habitude à prendre, donc, surtout dans les pays, comme la France, où le consensus n’est absolument pas nécessaire pour prendre une décision politique et où le gouvernement est habitué à consulter relativement peu les autres partis, les corps intermédiaires ou la société civile avant de lancer des projets de lois.

 

8. Avec le RIC, les gens voteront moins.

Il est vrai que lorsque les occasions de voter sont nombreuses, les gens ont moins besoin de saisir chaque occasion. On peut donc penser que la participation électorale à chaque élection baissera. Cependant, cela ne signifie pas que les gens votent moins. Au contraire, chaque citoyen, même en votant une fois sur quatre, votera plus qu’aujourd’hui parce qu’il se verra offrir beaucoup plus d’occasions (les référendums). Ainsi, actuellement, chaque Suisse vote beaucoup plus que chaque Français, en dépit d’un petit 40% de participation moyenne dans les votations suisses.

 

9. Le RIC exige un quorum, pour garantir un minimum de participation des citoyens.

Dans beaucoup de pays, un quorum de 50 % de participation au moins est exigé pour que le résultat d’un référendum soit validé. Cette contrainte a un effet pervers bien connu : ceux qui sont contre la proposition soumise à référendum ont intérêt à ne pas aller voter, et à en parler le moins possible pour que les autres votants se désintéressent de la question. Le quorum est un excellent moyen de tuer le débat public et nuire à la participation électorale. Les quorums qui portent non pas sur la participation, mais sur le pourcentage de voix majoritaires – pratiqués en Allemagne – réduisent, mais n’annulent pas, cet effet pernicieux des quorums.

 

10. Le RIC bouleversera radicalement les décisions politiques de demain.

Même le RIC le plus intransigeant, à la suisse ou californienne, ne produit pas de changement majeur de normes dans une société. Certainement, en renforçant les droits politiques et la division des pouvoirs, il a des conséquences sur la façon de faire de la politique. Mais sur les grands enjeux économiques et sociaux, l’impact du RIC est mineur. L’introduire n’entrainera ni le paradis ni l’enfer. Pour cette raison, il mériterait d’être introduit, avec un débat bien plus pacifié et fondé sur les faits autour de ses modalités d’applications.

Raul Magni Berton

 


source ; Le blog de Raul Magni Berton 05/01/2019

Professeur de science politique
Grenoble – France


 

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