Face au coronavirus et à « l’urgence économique », l’Assemblée nationale a voté dans la nuit de vendredi à samedi un nouveau budget aux dépenses, considérablement alourdies, entre soutien aux entreprises, aide aux plus modestes et prime aux soignants. Pour 2020, ce plan anticipe une croissance en berne de 8%, un déficit public d’environ 9% du PIB et une dette à 115%.

Ce second projet de loi de finances rectificative, après celui adopté en mars, est attendu au Sénat mardi. Il tient compte du plan de 110 milliards d’euros annoncé par le gouvernement pour tenir bon. Dans l’opposition, malgré des réserves, LR et le PS ont voté le texte, contrairement aux communistes et aux insoumis.

Qui paiera ces nouvelles dépenses ? La gauche et l’extrême droite ont d’ores et déjà lancé le débat en réclamant le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour faire contribuer les plus riches, alors que le gouvernement refuse toute hausse d’impôts à ce stade.

Le gouvernement a rajouté 2 milliards de dépenses vendredi soir en élargissant le dispositif de chômage partiel à certaines catégories, en finançant des masques non sanitaires, ou en soutenant les parcs animaliers en difficulté, ce qui fait passer le déficit prévu de 9 à 9,1% du PIB. Ce nouveau budget porte notamment à quelque 24 milliards d’euros les crédits destinés au chômage partiel, dont un tiers pris en charge par l’Unedic. « Près de 9 millions de salariés aujourd’hui sont au chômage partiel, ce qui doit éviter des licenciements de masse », a estimé Bruno Le Maire.

Le texte hisse aussi à 7 milliards d’euros le fonds de solidarité en faveur des très petites entreprises et des indépendants. Ce projet de loi comprend en outre une « avance remboursable » pour les PME qui n’obtiennent pas de prêt, ainsi qu’un fonds de soutien aux entreprises de taille intermédiaire d’un milliard d’euros. À droite, Eric Woerth (LR) a réclamé des annulations de charges pour hôtels, restaurants ou commerces. Gérald Darmanin a indiqué étudier « une exonération de charges (patronales) à la reprise ».

Face à une crise d’une ampleur inédite, ce nouveau budget repose sur de sombres prévisions macro-économiques avec un recul de 8% du PIB en 2020, un déficit public d’environ 9,1% du PIB et une dette à 115%. La baisse de 8% du PIB est « un chiffre sévère » mais « pas définitif », a d’ailleurs prévenu Bruno Le Maire pendant que son collègue des Comptes publics, Gérald Darmanin, relevait que « nous avons pris 20 points de dette en trois mois ».

880 millions aux ménages très modestes

Enfin, ce texte de loi finance la prime exceptionnelle de 500 à 1.500 euros destinée aux soignants. Et intègre l’aide aux ménages les plus modestes (allocataires des minimas sociaux) de 150 euros, plus 100 euros par enfant, annoncée par l’exécutif mercredi. Évaluée à 880 millions d’euros au total, cette aide est jugée insuffisante par la gauche : « Elle touche les familles en grande précarité mais il reste toute une catégorie de travailleurs pauvres avec un sentiment d’injustice, peut-être même de colère », selon Jean-Louis Bricout (PS).

En fin d’après-midi, les députés avaient par ailleurs adopté une baisse de la TVA, de 20 à 5,5%, sur les masques et le gel hydroalcoolique pour les rendre « plus accessibles » pendant cette crise.

20 milliards d’euros aux grands pollueurs

Autre pomme de discorde, les 20 milliards d’euros prévus pour recapitaliser des entreprises stratégiques en difficulté, notamment dans l’aéronautique et l’automobile. Les oppositions ont demandé des éclaircissements. « Ce ne sera pas un chèque en blanc », a rétorqué le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, dans l’hémicycle, conditionnant les montées au capital ou éventuelles nationalisations temporaires à « un effort de redressement et de compétitivité  ainsi qu’à une politique environnementale ambitieuse ».

Vendredi 17 avril, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi de finances rectificative pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de COVID19. 528 députés ont voté pour, 19 contre et 27 se sont abstenus. Photo AN archive

Un amendement LREM a ainsi été voté dans la nuit pour que ces entreprises soient « exemplaires » en termes de responsabilité sociale et environnementale, « en particulier en matière de lutte contre le changement climatique ». Du « pipeau » selon la non inscrite et ancienne ministre de l’Écologie, Delphine Batho. Et du simple « greenwashing », considère le député ex-LREM et proche de Nicolas Hulot, Matthieu Orphelin, auteur d’un amendement rejeté.

Certains députés et plusieurs ONG s’inquiètent qu’aucune condition de réduction de l’empreinte écologique (gaz à effet de serre, utilisation des ressources naturelles) ne soit concrètement posée au versement éventuel de ces aides publiques : « Alors qu’il est en position d’imposer des transformations fortes des secteurs qu’il renfloue, le gouvernement choisit la voie du « business as usual », comme si l’urgence climatique n’existait pas », s’alarmaient ainsi Les Amis de la Terre, Greenpeace et Oxfam dans un communiqué commun.

 » Il s’agit d’aider des fleurons tricolores »

Les organisations de défense de l’environnement pointent ainsi la mise à disposition des 20 milliards d’euros pour le sauvetage de grandes entreprises dites « stratégiques » comme Air France, Renault ou Vallourec comme un chèque en blanc aux gros pollueurs. Ces 20 milliards viennent compléter 4 milliards déjà prévus pour entrer, monter au capital ou nationaliser temporairement ces entreprises.

Il s’agit, a précisé devant les députés le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, d’aider « des entreprises cotées, privées, indispensables à notre indépendance ou bien qui représentent des enjeux technologiques importants et qui, en période de crise, pourraient être des proies faciles ». Enfin, il s’agit d’aider des fleurons tricolores dont la faillite entraînerait d’énormes dégâts en termes d’emploi. Mais Bercy se refuse toujours à livrer la liste des entreprises concernées.

Un discours bien trop vague pour certains députés : « Le gouvernement ne veut pas exiger de contreparties, c’est aussi simple que ça, se désole Matthieu Orphelin (ex-LREM), il ne demande rien de concret aux entreprises, assume de dire « aujourd’hui on sauve, demain on transforme », alors qu’il faut évidemment les sauver aujourd’hui mais assortir ce sauvetage d’engagements à moyen terme. Sinon, on ne pourra pas revenir en arrière ».

Les socialistes s’interrogent mais votent pour

 Associé à une quarantaine de collègues d’autres groupes (Libertés et Territoires, socialistes mais aussi quelques LREM), il propose, lui, dans deux amendements, de « conditionner ces aides à la mise en place, dans les 12 mois […] d’une stratégie interne de réduction de leur empreinte écologique. Nous voulons que les entreprises qui vont être aidées à coups de milliards d’euros publics s’engagent à un certain nombre de choses basiques : respect de la réglementation existante, trajectoire climat de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur la base des objectifs de l’Accord de Paris, mais aussi aspects sociaux, par exemple réduction des écarts de salaires », revendique-t-il.

« Air France, PSA et Renault sont déjà en train de négocier en coulisses des révisions à la baisse des objectifs d’émissions de CO2… Et l’État veut leur donner 20 milliards sans contreparties ? C’est énorme : la plus grosse somme qu’on nous a demandé de voter en trois ans de mandat, c’est les 15 milliards d’euros suite à la crise des gilets jaunes ! »

« Vous voulez que l’Assemblée nationale vote pour 20 milliards d’euros et vous ne nous dites rien », a aussi critiqué ce vendredi matin la présidente du groupe PS à l’Assemblée, Valérie Rabault. Eric Alauzet, le dernier député élu sous l’étiquette EELV en 2017, qui a rejoint depuis LREM, a voté pour.

« Apparemment, les lobbys sont déconfinés »

Les ONG n’hésitent pas à parler, elles, de « scandale, de passage en force au Parlement, pour permettre aux entreprises polluantes de continuer à détruire tranquillement la planète. Apparemment, les lobbys sont déconfinés avant tout le monde, ironise Clément Sénéchal, de Greenpeace. Et de viser l’Association française des entreprises privées (AFEP) ou Business Europe, qui ont déjà obtenu de la Commission européenne le report de plusieurs piliers du Green Deal et seraient en train de gagner. Pour lui, les industries climaticides sont en train de faire une démonstration de pouvoir, en faisant passer le message que leurs intérêts particuliers sont toujours les plus forts et dominent ceux de l’humanité et du vivant ».

Selon LIbération, hier en fin de journée, la situation semblait toutefois évoluer. Pour preuve, les propos du député européen LREM, Pascal Canfin, publiés dans l’après-midi sur le site du JDD, selon lequel l’État français doit prendre des garanties environnementales avant de fournir une aide financière aux grands groupes en difficultés, notamment Air France. « Le groupe En marche soutient l’idée que les entreprises dans lesquelles l’État va intervenir devront présenter dans les douze mois un plan qui démontre comment leurs activités sont alignées avec l’Accord de Paris », a déclaré celui qui préside la commission Environnement du Parlement européen. Des propos repris par Bérangère Abba sur Twitter dans la foulée… « Si rien dans le PLFR ne contraint les entreprises dans lesquelles l’État prend des parts à aligner leurs objectifs sur l’Accord de Paris, je n’ai aucune raison de croire qu’elles le feront », a aussi admis Canfin.

Mais toujours selon Libération, ni Bercy ni le rapporteur général du budget, Laurent Saint-Martin, ne comptaient vendredi en fin d’après-midi aller au-delà du « compromis » trouvé au sein de la majorité.

 

 

Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2020 (n°2820) , n° 2822

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