Les mesures les plus controversées ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour des motifs de procédure. Les associations, ONG, syndicats d’étudiants et la gauche saluent le jugement mais considèrent néanmoins qu’il s’agit d’une « victoire en demi-teinte. »


 

Le Conseil constitutionnel censure 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration qui comptait 86 articles. Il censure en outre au fond, partiellement ou totalement, 3 articles et assortit de réserves d’interprétation 2 autres articles.

Durcissement des critères du regroupement familial soumis à la maîtrise de la langue française ou à une vérification de ressources par les maires, limitations du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France et déchéance de nationalité, durée de résidence minimale pour bénéficier de prestations sociales pour les non-européens (préférence nationale), instauration d’une caution pour les étudiants étrangers, majoration des droits d’inscription et contrôle du « caractère réel et sérieux » de leurs études, délit de « séjour irrégulier » pour les étrangers… les mesures les plus controversées ont été censurées par les sages pour des motifs de procédure et non pour inconstitutionnalité.
Ces dispositions pourraient donc être intégrées dans un autre projet de loi : « La subtilité est que l’essentiel des articles qui ont été censurés le sont pour un motif d’ordre procédural. (…) Rien n’interdirait de réinscrire un certain nombre de dispositions dans un nouveau véhicule législatif, un projet ou une proposition de loi », a déclaré Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’Université Paris-Nanterre.

En revanche, le Conseil constitutionnel a censuré trois articles jugés inconstitutionnels, dont l’article 1er qui autorisait la fixation de quotas migratoires par le Parlement. Également, les juges opposent leur refus à la prise de photos et d’empreintes digitales d’un étranger sans son consentement, sans « garanties légales » (autorisation d’un juge ou présence d’un avocat).

 

Les principales mesures qui restent dans la loi

 

La loi permettra l’expulsion des étrangers en situation régulière condamnés notamment pour des crimes ou délits passibles d’au moins 3 ou 5 ans de prison ou impliqués dans des violences contre des élus ou des agents publics. Le juge pourra prononcer une interdiction du territoire français (ITF).

Les juges valident les dispositions de l’article 37 qui facilitent les expulsions et les obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Le texte réduit la protection de certaines catégories d’étrangers. Sont notamment concernées les personnes arrivées en France avant l’âge de 13 ans ou résidant en France depuis plus de 20 ans ou mariées à une personne française ou parent d’un enfant français. Les juges ont considéré que les garanties actuelles étaient suffisantes, l’administration devant tenir compte du lien avec la France, du temps passé sur le territoire et des considérations humanitaires. Les mineurs étrangers sont protégés des OQTF.

Les étrangers âgés de 18 à 21 ans visés par une OQTF ne pourront plus bénéficier du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) délivré par les départements.

Pour faciliter les mesures d’éloignement l’attribution de visas sera conditionnée à la « bonne délivrance des laissez-passer consulaires par les États étrangers ».

Les mineurs de moins de 18 ans ne devront plus être placés dans des centres de rétention.

L’article 39 de la loi sur l’immigration prévoit la création d’un fichier des mineurs non accompagnés délinquants. Le recueil des empreintes digitales et une photographie des mineurs étrangers non accompagnés suspectés d’avoir commis des délits, sans que leur consentement soit nécessaire a été validé.

L’article 42 du texte prévoit un allongement de six mois à un an de l’assignation à résidence de « l’étranger qui justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans aucun autre pays ».

L’obtention d’un titre de séjour sera conditionné aux principes du respect de la République tels que le respect de la liberté d’expression, de conscience ou de l’égalité entre les femmes et les hommes… L’article 46 précise : «  Aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger (…) dont le comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations ».

Les étrangers demandeurs d’une première carte de séjour devront justifier d’un niveau de connaissance « minimale » de la langue française (niveau A2). Le niveau pour l’octroi d’une carte de résident est relevé (B1 B2).

Une nouvelle carte de séjour de 4 ans est instituée pour les professionnels de santé diplômés hors Union européenne (médecins, dentistes, pharmaciens praticiens, sages-femmes).

L’article 3 sur les régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, qui avait fait de grands remous, n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel.
La version première gouvernementale prévoyait une carte de séjour « de plein droit ». Mais les concertations de l’exécutif avec la droite ont durci les conditions d’attribution de ce document qui dépend désormais du pouvoir discrétionnaire de régularisation des travailleurs sans-papiers des préfets. Cette disposition est « expérimentée » jusque fin 2026. Un titre de séjour pourra être délivré au cas par cas à condition d’avoir résidé en France pendant au moins trois ans et exercé une activité salariée durant au moins 12 mois sur les 24 derniers mois. Les travailleurs pourront demander un titre de séjour sans passer par leur employeur.

L’article 62 de la loi prévoit le déploiement dans toute la France de pôles « France asile » pour traiter les demandes des arrivants en soutien aux services de la préfecture et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Le texte réforme également l’organisation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).  De nouvelles chambres territoriales seront créées et l’audience à juge unique généralisée sauf procédure compliquée.

Les demandeurs d’asile qui présentent un risque de fuite ou une menace à l’ordre public pourront être assignés à résidence ou placés en rétention sous conditions.

Les mesures de répression sont accrues contre les passeurs et les marchands de sommeil.

 

« Une atteinte aux droits des citoyens étrangers vivant en France »

 

Suite aux décisions des Sages, le gouvernement se félicite de son projet initial approuvé dans sa « quasi intégralité ».
26 articles de la version gouvernementale sur 27 figurent dans la loi qui comporte en tout 51 articles. La droite sénatoriale a donc largement contribué au contenu du texte.

Rappelons qu’Emmanuel Macron avait saisi le Conseil constitutionnel après le vote définitif de cette loi adoptée avec les voix du RN pour qu’il tranche sur les mesures faisant polémique. Le Président avait parallèlement défendu le texte final — « ce bouclier qui nous manquait » — longuement négocié avec la droite.

Les Républicains et le Rassemblement national fustigent en cœur la décision des juges et réclament une révision de la Constitution ainsi qu’une nouvelle loi. Le RN insiste au sujet de la tenue d’un référendum sur la question migratoire.

Les associations, ONG, syndicats d’étudiants et la gauche reconnaissent que le jugement du Conseil a écarté les points les plus durs, mais considèrent néanmoins qu’il s’agit d’une « victoire en demi-teinte ». Nombre de mesures maintenues « portent atteintes aux droits des citoyens étrangers vivants sur le sol français, vont durcir les conditions du droit d’asile et fragiliser les parcours d’intégration ».
Inquiets de la montée de l’idéologie identitaire, xénophobe et raciste, tous restent vigilants et mobilisés afin que les dispositions contraires au droit humain «
ne reviennent pas par la fenêtre ». 

Ils appellent à résister à la banalisation des idées d’extrême droite, à la stigmatisation de l’étranger, des exilés et réclament le retrait total de la loi immigration promulguée par Emmanuel Macron le 26 janvier et publiée au Journal officiel le lendemain.

Mise à jour 27 janvier 2024

 

Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.