Musique ancienne, traditionnelle, classique ou contemporaine, il y a toujours du nouveau. Les artistes ont beaucoup à dire, à inventer, à partager. Depuis Bach jusqu’au rap !


 

 

Dégustation inattendue : Rose Naggar-Tremblay se délecte de Haendel et nous invite !

Haendel gourmand, Rose Naggar-Tremblay, contralto, Orchestre de Chambre de Toulouse, Arion
L’imaginaire compte beaucoup dans l’univers opératique, et toutes les sensations sont invitées au festin musical. La contralto québécoise Rose Naggar-Tremblay, autrice et compositrice, fait appel à la « gourmandise » pour déguster les airs de Haendel, comme des chocolats ou du champagne. C’est la richesse de son timbre et ses possibilités vocales qui lui ont donné l’idée qu’on pouvait savourer encore davantage la musique baroque.
« Dans ce répertoire, on en veut toujours plus : plus de contrastes, plus de vitesse, plus de hauteurs, plus de profondeur… », explique-t-elle. Et c’est vrai qu’elle assure cette « bravoure épatante » à travers les airs de « Semele » ou « Hercules ». L’enregistrement partagé avec l’Orchestre de Chambre de Toulouse permet de découvrir un « Concerto n° 3 » du britannique baroque Charles Avison, qui préférait Scarlatti à Haendel…
On retrouve ensuite la contralto, toujours dans l’exploit, dans « Alcina », puis dans « Giulio Cesare » qui rappelle sa venue récente au Capitole de Toulouse, et elle termine magnifiquement avec un air d’« Ariodante » et l’emblématique « Ombra mai fu » de « Serse ». Défis, couleurs : Rose Naggar-Tremlblay, qui vient de partager avec ses musiciens un programme ajoutant ABBA, Sting, Queen et les Beatles, prépare des saveurs inattendues.

 

 

Demi Portion n’a rien oublié de sa vie de jeune rappeur et de tous ceux qui l’ont partagée.

Demi Portion On n’oublie pas Part I & II, Mehsah, vinyle
Le rappeur sétois Demi Portion vit une étape importante. Avec un million d’écoutes et dix millions de stream. Pareil pour le nouveau titre. La première partie d’« On n’oublie pas », en avril, a passé les 450 000 visites, et la deuxième du mois d’août n’en est pas loin.
Rachid « Demi Portion » y évoque son histoire et celle du rap en disant merci à tous ceux qu’il connaît, son univers sétois, Brassens, les ateliers de La Passerelle : « On est gravé dans la roche ». Il adresse un gros « big up » à tous : « trop d’noms à citer », dit-il, mais « On n’oublie pas ». Ce qui rappelle par hasard « On oublie R » dans le CD « Huit Syllabes » (2018) d’Apéro-Jazz et Petitcopek, autres figures du rap de Sète, nés à La Passerelle…
L’« artisan du bic » qu’il était jadis a fondé son Demi Festival en 2016, a fait une première tournée internationale l’an dernier, et rebelote en ce moment au Japon, en Thaïlande, au Cambodge et au Vietnam, avec son complice Dj Rolxx. Il est aussi le héros du court métrage tourné à Sète par le réalisateur Hector Humblot « Tout ce que j’sais faire ». Et il sera en concert à l’Elysée Montmartre le 13 février, donc il se retrouve « entre la panique et la fierté ». Voilà pourquoi son nouveau vinyle, où sont « gravées » les deux parties d’« On n’oublie pas », ainsi que instru et acapella en harmonie, est un vrai symbole, plus que des souvenirs.

 

 

Deux guitares unies pour Thibaut et Antoine, pour chanter Bach à travers « bois ».

Bach, Variations Goldberg, Thibaut Garcia et Antoine Morinière guitares, Erato
Les « Variations Goldberg » de Jean-Sébastien Bach sont toujours nouvelles. Le clavecin a eu le piano pour rival quand Glenn Gould a imposé une éloquence jamais entendue, puis Scott Ross a surpassé toutes les interprétations, dans l’univers du château d’Assas. Récemment c’est Jean Rondeau et Pierre Hantaï qui portent aux nues le remède composé par Bach contre l’insomnie d’un noble ambassadeur…
Mais variation suppose invention : Thibaut Garcia et Antoine Morinière créent une version inédite, et les claviers sont devenus un duo de guitare. Les jeunes musiciens ont revu les partitions, y ont travaillé des mois, et cette approche est enthousiasmante.
Leur luthier de la Drôme leur a fabriqué deux guitares identiques, comme un seul et même instrument, et entre fusion et échange il se crée un nouveau monde, un rêve un peu fou, de l’Aria initiale à la reprise finale. Comme l’indique l’écrivain Pierre-Emmanuel Schmidt qui commente « L’arbre qui chante », l’expression est autre, dans l’attaque, le vibrato, la dynamique : « L’instrument chante davantage qu’il ne discourt ». Dès le début il y a une intimité et une poésie différente. C’est toujours complexe à partir de la fameuse sarabande, et très étonnant à travers canons, fugue, virtuosité et attente. Pas d’emphase, et tant de grandeur sous tant de discrétion.

 

 

André Vermerie, Del temps que la cabreta rondinava

En place pour une bourrée, c’était le choix du cabretaïre André Vermerie.

(Au temps où la cabreta bourdonnait), Cordae La Talvera
La Talvera, au fil de ses archives et collectages, ressuscite les musiques de jadis, et la cabreta* mérite bien de se faire entendre, avec un de ses plus brillants interprètes, André Vermerie, décédé en 1990. L’extraordinaire cabretaïre aimait aussi faire le pitre ! On le retrouve tel quel dans ce « mescladis » (mélange), et c’est une sacrée soirée de 43 titres, un florilège « trad », abordable par ceux qui ne parlent pas occitan, contes et commentaires étant bien révélés dans le livret.
Son style, caractérisé comme jeu de pays, est personnel, éloigné de celui des Auvergnats de Paris. Car il restait fidèle à l’utilisation de la chanterelle, aux doigtés permettant un travail du son. L’album réunit nombre de valses, polkas, mazurkas et scottishs, mais il était un ardent défenseur des bourrées du Cantal ou de l’Aveyron, et c’est un plaisir rare d’écouter celles de Carlat, d’Arpajon, de Saint-Flour, de Montsalvy. Les histoires ne sont pas tristes, un peu chaudes, entre la vieille qui pète et celle qui chie dans son froc… On retrouve des airs connus, le Merle, la Giga et le Brisa Pé, et l’album s’achève sur « La Crosada », qui est selon Vermerie « la plus belle des bourrées ». Des trésors que La Talvera se fait un devoir de collecter et de partager, et ce n’est pas fini.
*instrument à vent traditionnel de la famille des cornemuses, comportant deux tuyaux dont un à anche double, et un sac en peau de chèvre, d’où son nom.

 

 

De la Terre et du Ciel, Êkhô Chœur de chambre

Voix splendides et inspirées du chœur Êkhô dans un nouveau répertoire contemporain.

direction Caroline Semont-Gaulon, Anima Nostra
Pour son premier enregistrement, le chœur de chambre Êkhô, implanté à Montpellier depuis 2018, crée une œuvre à double-chœur. Sa fondatrice et cheffe, Caroline Semont-Gaulon s’est adressé au jeune compositeur Christopher Gibert, et son « Exsultet » termine l’album intitulé « De la Terre et du Ciel ». Tout un programme.
Les voix splendides de cet ensemble visitent la poésie fleurie de Florence Delay, mise en chant par Graciane Finzi, suivie d’une composition d’Isabelle Aboulker, gracieuse et touchante. Suivent trois pièces de Debussy, moment contemporain et baroque, et « L’hiver vient aux fenêtres » d’André Ducret apporte délicatesse et émouvants solos. L’évocation terrestre s’achève sur un « Nocturne de Tagore » de Thierry Machuel où l’amour atteint une plénitude mystique.
S’ouvre l’infini céleste, avec des chœurs d’une grande variété, composés par Jean Langlais, Dimitri Tchesnokov, et porteurs de solos splendides, puis un « Mater Dolorosa » de Jacques Berthier véritablement grandiose, avec ses belles vocalises, sa violence, ses dissonances. Mort et résurrection convoquent une sereine et lumineuse « Jérusalem » d’Isabelle Chauvalon, et « Exsultet » est le final de joie intense très attendu, double-chœur dynamique, plein de contraste et de caractère. Un voyage intérieur du profane au sacré.

Michèle Fizaine

 

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J’ai enseigné pendant 44 ans, agrégée de Lettres Classiques, privilégiant la pédagogie du projet et l’évaluation formative. Je poursuis toujours ma démarche dans des ateliers d’alphabétisation (FLE). C’est mon sujet de thèse « Victor Hugo et L’Evénement : journalisme et littérature » (1994) qui m’a conduite à écrire dans La Marseillaise dès 1985 (tous sujets), puis à Midi Libre de 1993 à 2023 (Culture). J’ai aussi publié dans des actes de colloques, participé à l’édition des œuvres complètes de Victor Hugo en 1985 pour le tome « Politique » (Bouquins, Robert Laffont), ensuite dans des revues régionales, et pour une série de France 2 en 2017. Après des études classiques de piano et de chant, j’ai fait partie d’ensembles de musique baroque et médiévale, formée aux musiques trad occitanes et catalanes, au hautbois languedocien, au répertoire de joutes, au rap sétois. Mes passions et convictions me dirigent donc vers le domaine culturel et les questions sociales.