C’est un plaisir de retrouver des répertoires connus, classiques ou pas, certains à découvrir ou à redécouvrir. Et des créations étonnantes, des partages de musiques imprévus, des artistes audacieux. On est souvent très étonné !
Je te veux, Julie Fuchs, soprano, Sony Classical

Julie Fuchs n’hésite pas. Son nouvel album commence par « Je te veux » car elle rend hommage à Erik Satie, mort en 1925, qui a composé ce titre provocant. La soprano internationale précise : « J’ai conçu ce programme comme un hommage à la liberté ».
Une liberté qui s’affirme dans « La diva de l’empire » ou dans les diverses « Descriptions automatiques », ou bien au fil de mélodies de 1916. L’ambiance est parisienne, Belle Epoque et cabaret, mais avec des subtilités. Satie propose « Allons-y, Chochotte », Aristide Bruant débarque avec « Tu ne manieras pas mes tétons », et s’ensuit un curieux impressionnisme. Après « Le chat noir », « Le temps des cerises », la soirée parisienne dévoile « Les chemins de l’amour » de Poulenc, la belle « Vocalise » de Germaine Tailleferre, et s’achève « Sur le pavé de Paris » de Georges Auric.
La voix superbe, impressionnante et sensible, de Julie Fuchs dialogue avec le ténor Levy Sexgapane et l’incroyable Florent Baffi, et aussi avec quatre musiciens, Alphonse Cemen, Alexis Cardenas, Davide Vittone, et l’indispensable accordéoniste Félicien Brut. C’est émouvant et drôle. On en veut encore !
Olivier Korber, « Gargantua » and Chamber Music, Arion

« J’ai plein de musique en moi et je vais l’écrire » annonce le compositeur Olivier Korber, qui vit ses rencontres en solo et en orchestre, en IA et chez Rabelais. Il crée avec l’Orchestre Colonne Soloists et Rémi Durupt « La journée de Gargantua – En six substantifiques chroniques », et cette « histoire » est un régal, depuis la grasse matinée du géant jusqu’à la volée de cloches dans un contexte guerrier. Les épisodes sont très inventifs, souvent comiques : étonnant cheval de bois, Sorbonne et cathédrale, Holopherne et Ponocrates. Gargantua est un trombone idéal et expressif. Rencontre surprenante, entraînante…
Mais d’autres moments sont tout aussi étonnants, une magnifique « Sonate pour violon seul » où le soliste Emmanuel Coppey imagine de fortes expressions, et un somptueux « Quatuor à cordes » interprété par le Quatuor Magenta. Olivier Korber, qui est aussi un pianiste à la touche multiple, conclut avec « Yehides », une évocation en solitude de son père mourant. Auparavant, dans « Crépitements » il libère sa fulgurante virtuosité, et « L’air du sommet, pour la main gauche » est une enivrante escalade qui grimpe sur le clavier et nous fait découvrir des horizons inconnus. Une invention à suivre.
Vincent Peirani, Living Being IV – Time Reflections, ACT (avec Emile Parisien, saxophone, Julien Herne, basse, Tony Paeleman, claviers, Yoabb Serra, batterie)

L’accordéoniste Vincent Peirani retrouve ses quatre complices, toujours prêts à partager enthousiasme et invention dans les sonorités et les rythmes. S’ils explorent le temps, c’est sans chronologie, leur album III a été « foutu en l’air » par le Covid, on passe du II au IV.
Le quintette a parfois une intimité de musique de chambre, mais dès le début « Le cabinet des énigmes » ouvre des voies mystérieuses, poétique avec le saxo, sentimentale avec l’accordéon. De suite en suite et en trois titres, un climat s’installe librement, d’abord dans les contrastes de « L. L », hommage au guitariste du Bénin Lionel Loueke. On enchaîne côté pop jusqu’à la « Bremain Suit » qui réunit un peu de Queen, puis David Bowie, Portishead, et enfin les Beatles où le saxophoniste Emile Parisien se lâche en toute virtuosité.
Ce n’est pas seulement un exploit sonore, mais d’étranges partages. « Physical Attraction » visite dub et danse urbaine, et l’on voyage avec « Nach E Vlado » vers l’Europe Centrale et les Balkans dans une rencontre des styles où l’accordéon mêle ses identités. « Phantom Resonanz » ajoute une étrangeté inclassable, presque mystique quand le baroque pénètre le contemporain, vers une éternité et un ailleurs.
Quatuor Arod Haydn Op.76, Erato

On le sait, le Quatuor Arod a pour figure emblématique le cheval du « Seigneur des anneaux » de Tolkien, monture sans selle ni rênes. Avec toujours la même fougue les jeunes musiciens, Jordan, Alexandre, Tanguy et Jérémy (Voir « Ménage à Quatre » de Bruno Monsaingeon), abordent les six quatuors de l’opus 76 de Haydn « Erdödy Quartets », déjà parcourus, mais à réinventer.
Pour gravir de nouveaux sommets ils ont eu l’idée de faire appel aux célèbres frères Tourte, qui leur ont fabriqué des archets à partir de « classiques » de 1770. Cela libère beaucoup leur interprétation, au niveau du son, du phrasé, des attaques.
Écoutez-les. Ils recréent ce « sourire en coin » que Haydn composa vers la fin de sa vie, dont le n°2 « Fifths » et ses quintes descendantes, son élégance, plus une émotion à fleur de peau. Suivent le n°3 « Emperor », ses variations intenses ou légères, et le n°4 « Sunrise » qui se fait lumineux, joyeux et même plein d’humour. Son « Menuet », comme celui des autres quatuors, remet les marques en place : des moments vifs jusqu’à l’ivresse, des sonorités étonnantes, évoquant parfois celles des vents (!). Entre symbiose et défis, les échanges sont constants, sensibles mais serrés jusqu’au comique. Ces heureux complices donnent à ce répertoire toute sa/leur vie.
Cantem Nadal sus l’autbòi, Philippe Carcassés, Bandcamp (téléchargement gratuit, libre participation)

Le hautbois languedocien ne joue pas que pour les joutes, il chante Noël, et dans l’album diffusé sur le net, Philippe Carcassés, musicien occitan, a recueilli un magnifique répertoire traditionnel. Parmi ces morceaux baroques, la plupart sont tirés du recueil pour musettes ou vielles d’Esprit Chèdeville, auxquels s’ajoutent des titres provençaux de Nicolas Saboly et un extrait des Noëls populaires de Notre-Dame des Doms.
C’est un trésor à redécouvrir, quand chantent les « aucèls », qu’arrivent les « gais bergers » et les « pastres de la campanha », bien sûr « Pour l’amour de Marie ». On connaît « Minuit chrétiens », mais bien moins « Adam e sa companha ». L’autbòi est dansant et festif, mais aussi sentimental ou amusant, virtuose jusqu’à l’exploit. « Je veux servir ce hautbois, explique le musicien. Il paraît parfois limité mais a une personnalité, des sonorités, pas toujours mises en valeur. Je veux montrer ce qu’il peut faire, le redynamiser ».
Le précédent enregistrement « Escapadas » faisait voyager le hautbois à travers le monde, mais dans son nouvel album Philippe Carcassés met l’instrument en vedette, et il a beaucoup travaillé les enregistrements, doublant le hautbois, installant chant et piano numérique. « Je suis resté un grand enfant !, ajoute-t-il. Le hautbois vit toujours plein d’histoires d’anches… Il faut soigner la qualité du son. On est des héros ! ». En diffusant de si jolis airs, l’autbòi est bien le « héraut » de Noël.
Michèle Fizaine







