« Nous avons fait ce que nous avons pu. Souvenez-vous de nous. » Propos écrits sur le tableau de service par le docteur Mahmoud Abu Nujaila de l’hôpital Al-Awda, au nord de l’enclave, tué par une frappe israélienne le 21 novembre 2023.


 

D’octobre 2023 à octobre 2024, les personnels soignants de Médecins sans frontières et des photographes palestiniens ont documenté la réalité de l’horreur vécue par la population gazaouie. Malgré les incessants déplacements, les conditions de vie précaires, la perte de proches, la faim, les soignant.e.s font tout leur possible pour sauver des vies. L’exposition photographique rend un formidable hommage à ces hommes et ces femmes debout face au génocide.

Il y a ceux et celles qui regardent ailleurs, il y a les gens qui n’entendent pas et qui se taisent et il y a toutes les autres personnes qui se sentent concernées, c’est le cas de la présidente nationale de Médecins sans frontières, Isabelle Defourny, venue à Toulouse le 10 juillet pour le vernissage de l’exposition photographique : Gaza « Whe did what we could » à la gare Matabiau1.

Les Toulousain.e.s auraient dû voir cette exposition l’hiver dernier, à l’espace Diversités Laïcité, mais le maire Jean-Luc Moudenc l’a censurée sous l’éternel prétexte de « trouble à l’ordre public ». Or, ces images de destruction de tout un territoire s’inscrivaient dans le cadre du Festival Cinéma et Droits de l’Homme2, « la municipalité (de droite-NDLR) a menacé de couper les vivres aux festivaliers », selon une source bien informée. L’Histoire retiendra les humain.e.s qui ont agi.

 

« Des milliers d’enfants brûlé.e.s, tué.e.s »

Trois cent personnes écoutent attentivement la médecin généraliste belge qui s’est rendue dans la bande de Gaza en octobre dernier. « Je veux vous parler des enfants sans enfance. L’enfance détruite, c’est certainement le témoignage qui est le plus poignant. Le désarroi des parents, les milliers d’enfants brûlés, tués. Nous avons été contraints dix-sept fois de changer de lieu de soins. » L’organisation non gouvernementale Médecins sans frontières est présente à Gaza depuis l’an 2000 et dans les territoires occupés depuis la fin des années 80.

« Ces photos ont été prises par des photographes palestiniens ou par les personnels soignants de MSF, les textes qui les accompagnent sont puissants et bouleversants. Car à travers leurs expériences, nous tenions à témoigner de l’horreur en cours. L’expo’ s’arrête à octobre 2024. Depuis vingt et un mois, la situation s’est largement aggravée. Maintenant, la population gazaouie expérimente la famine. Gaza est quasiment détruite, aucun hôpital n’a été épargné ni les humanitaires ni les journalistes ciblés en tant que tels par les forces israéliennes. Depuis fin mai, plus de 600 palestiniens ont été tués et plus de 4 000 blessés3 en allant se nourrir par le système ignoble mis en place par les États-Unis et Israël. » L’organisation a perdu douze collègues qui aspiraient à ne pas se coucher — pas plus eux que leur famille — le ventre vide.

 

« Gaza annonce son imprescriptible droit à la vie »

Isabelle Defourny a des mots forts : « Malgré le fait qu’Amnesty international, des groupes politiques reconnaissent un génocide rien ne change. Nous nous sentons tous impuissants et pour aider aussi nos collègues à sortir de cet enfer, il faut continuer à s’indigner, il ne faut pas les abandonner et continuer à lutter ensemble. »

À son tour, Magyd Cherfi, chanteur et écrivain, évoque des souvenirs familiaux : « Nous naissions palestiniens parce qu’à chaque naissance, nos parents disaient : “un de plus pour la cause palestinienne”. Je suis donc plus palestinien qu’algérien. Mes enfants ont aussi le cœur palestinien ». Et finit par la lecture du poème Silence pour Gaza de Mahmoud Darwich4. « À Gaza, voyez-vous, le temps n’est pas à la détente, mais à l’affrontement. En plein midi, on y brûle. Car, à Gaza, les valeurs sont tout autres, tout autres, tout à fait autres que les nôtres. Au fait, la seule valeur de l’homme, réduit par une conquête, n’est-elle pas sa force de résistance à l’occupation ? Or, c’est à cela que l’on s’exerce là-bas à Gaza ! (…) Le temps là-bas ne transporte pas les enfants de l’enfance à la vieillesse, mais d’un bond, dès leur premier choc avec l’ennemi, il en fait des hommes. (…) Jamais, elle ne se gargarisera de mensonges. Ni ne dira aux conquérants : Oui ! Ni ne cessera d’exploser. Va-t-elle mourir ? S’est-elle suicidée ? Non, non. C’est la manière de Gaza d’annoncer son imprescriptible droit à la vie… »

 

« Je ne veux pas mourir, emmène-moi à l’hôpital »

Après le langage politique, humaniste et culturel, place aux images parlantes et criantes de l’exposition. Impactante la vue de ce gilet blanc (tenue du personnel de MSF) appartenant à Abu Abed Moughaisib, référent médical MSF à Gaza, qui a reçu une balle dans une jambe qui aurait pu lui être fatale. Déchirantes ces photos d’enfants, au milieu de leur maison aux murs effondrés, recherchant qui une grosse peluche rose qui un objet précieux de la vie d’avant, rescapé.e.s de la cruauté d’une armée aux ordres d’un pouvoir inhumain et génocidaire. Ou encore ces mômes tendant leur gamelle devant les barreaux de la fenêtre d’une école. Une scène retient l’attention : on y voit des gamin.e.s et de jeunes gazaoui.e.s respirer, un instant, l’air marin face à la mer et à un horizon libre de toute barbarie, le texte est glaçant : l’occupant considère que son armée n’est pas allée assez loin.

Deux photos se superposent : l’alignement de tentes, abris de fortune, d’aujourd’hui, aux longues maisons construites à cause de la Nakba (la catastrophe). Le réveil traumatique de 1948 continue pour le peuple palestinien. Poignante la lecture de ce témoignage anonyme d’un homme, témoin du « massacre de la farine », à l’aube alors que les gazaouis sont allés chercher une aide alimentaire. « Un garçon m’a dit : “je ne veux pas mourir, emmène-moi à l’hôpital.” J’ai voulu le porter et demandé à quelqu’un de m’aider ; il a rendu l’âme dans mes bras. Il m’avait demandé de ne pas le laisser mourir là. Il avait 13 ou 14 ans, je pense. »

 

« Des êtres qui ne renoncent pas à leur humanité »

Certains membres de Médecins sans frontières racontent avoir été obligés de manger de la nourriture pour animaux. Léo Cans, chef de mission MSF, affirmait le 14 mars 2024 sur France Info : « Il y a une grande hypocrisie à parler des voies maritimes et des largages aériens. Il ne s’agit pas du tout d’un problème logistique, le vrai problème est politique. Le gouvernement israélien refuse d’autoriser l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza. »

Sur le livre d’or qu’a posé une main bénévole sur la table d’entrée, une personne a écrit : « Merci de faire parler des êtres qui ne renoncent pas à leur humanité. » Trop émue, Marion laisse Odile, sa maman, exprimer son ressenti : « On essaie d’éviter de regarder tellement c’est horrible, et d’écouter, car c’est insupportable. Mais, c’est important de continuer à en parler et à sensibiliser comme on l’a fait mardi avec la ligne rouge5. Je me demande comment on vit en Israël quand on est un citoyen qui refuse ces actes de barbarie. »

Dommage que l’exposition : Gaza. « Nous avons fait ce que nous avons pu. Souvenez-vous de nous » ne soit pas visible dans d’autres villes de France et du monde.

Piedad Belmonte

 

Depuis le 7 février 2024, MSF travaille dans : l’hôpital Al-Awda au nord de Gaza, l’hôpital Al-Shifa ville de Gaza, l’hôpital européen de Gaza à Khan Younis, l’hôpital Nasser de Khan Younis, l’hôpital Al-Aqsa de Khan Younis, l’hôpital de campagne indonésien de Rafah, l’hôpital An-Najar, la maternité El Emirati à Rafah, la clinique Al-Shaboura de Rafah.

 

 

 

 

Notes:

  1. Cette exposition a été coproduite avec le Prix Bayeux Calvados des correspondants de guerre et réalisée avec le soutien de l’AFP. Elle était visible du 10 au 13 juillet au Hall M, salon 1903 et 1er étage de la gare Matabiau.
  2. Du 6 au 26 janvier 2025, le Festival Cinéma et Droits de l’Homme (FCDH), qui a eu lieu à Toulouse et dans la région Occitanie, a été organisé par : L’ACAT, Amnesty International, Le CCFD Terre Solidaire, L’École des Droits Humains et de la Terre, Les Amis du Monde diplomatique, Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières. C’était sa 18e édition.
  3. Ils sont à l’heure actuelle plus de 900 à avoir perdu la vie pour nourrir leur famille et manger à leur faim.
  4. Le poète palestinien Mahmoud Darwich parle dans ce poème de la résistance de la population de Gaza dans les premières années de l’occupation (1967-1974).
  5. C’est parce que toutes les lignes rouges ont été franchies à Gaza que partout en France, le 8 juillet, des citoyen.ne.s ont formé une ligne rouge pour stopper le génocide. À Toulouse, elle a été dessinée sur les Ramblas de Jean-Jaurès. Les Néerlandais de la Haye et les Belges de Bruxelles l’avaient déjà tracé en mai et juin 2025 en s’habillant de rouge.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin