« Le véritable problème ne réside pas dans la formulation de propositions, mais dans leur mise en œuvre sur le terrain. Comment les pays arabes peuvent-ils convaincre Israël ou les États-Unis d’abandonner leur vision pour Gaza ? »


 

Le 1er mars commence le rituel deuxième mois du Ramadan dans une bande de Gaza ravagée. Le 1er mars devait commencer la deuxième phase de l’accord de Cessez-le-feu. Le 2 mars le gouvernement israélien décide de bloquer l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza…

Depuis le 19 Janvier la population de gaza connaît d’autres formes de souffrance que la mort par bombardements : la mort lente et silencieuse, des conditions inhumaines. Cet état de fait nous est confirmé chaque jour par notre correspondant Abu Amir, extrait d’un texte du 25 Février.

 

« Ils meurent en silence »

 

« Même après la fin officielle de la guerre, les massacres n’ont pas cessé, seule la méthode a changé. Aujourd’hui, ils se font par le siège, la famine, les températures glaciales et la négligence internationale. Le monde reste complice, regardant ces massacres se dérouler sans lever le petit doigt, comme si la vie de personnes innocentes ne signifiait rien dans le grand calcul des intérêts politiques. Des mères bercent leurs enfants gelés, des pères creusent de leurs mains nues de minuscules tombes pour des nourrissons qui n’ont pas pu supporter le froid et les privations. Ils meurent en silence, comme si le monde avait décidé de les enterrer vivants sous des couches d’indifférence et d’hypocrisie. Les nuits à Gaza apportent désormais un nouveau type de terreur, non seulement à cause du bruit familier des avions de guerre qui fauchent des vies, mais aussi à cause du froid mordant qui s’insinue dans les corps mal nourris, transperçant leurs os et coupant le souffle des enfants avant même qu’ils n’aient la force de pleurer. »

« Gaza n’est plus seulement un champ de bataille marqué par les bombardements et la destruction, mais elle est devenue une scène quotidienne d’une tragédie interminable. Ses habitants n’ont pas besoin de missiles et de bombes pour sentir la mort rôder autour d’eux, car la soif les ronge, la faim les affaiblit et le froid glacial emporte leurs enfants, tandis que l’attente de l’aide humanitaire se transforme en humiliation quotidienne. Les hommes et les femmes patientent de longues heures dans des files interminables pour obtenir de la nourriture et de l’eau, certains s’évanouissent d’épuisement, d’autres rentrent les mains vides. Le désespoir et la frustration s’accumulent, érigeant un mur invisible qui les sépare de tout espoir d’un avenir meilleur. »

extrait du 1er Mars

 

Au milieu de cet enfer quotidien, l’accord d’échange qui devait apporter un soulagement s’est avéré être une illusion décevante. Alors que les habitant.e.s de Gaza espéraient que cet accord changerait leur réalité, il n’a fait qu’aggraver leur frustration. Son opacité et le non-respect de la plupart de ses clauses en font une manœuvre politique qui n’a apporté aux Gazaoui.e.s que davantage d’attente et d’humiliation. Ce 2 Mars Israël annonce le blocage de l’entrée de l’aide humanitaire !

Dans un de ses derniers textes Abu Amir s’interroge sur le soutien des pays arabes envers la Palestine, dont Gaza, qui, on pourrait le penser sans aller jusqu’à l’espérer, serait un des éléments de résolution dans cette guerre, et surtout un avenir pour la bande de Gaza. Il le fait à partir d’une analyse de la presse arabe.

 

« L’ampleur de la complicité arabe dans l’agression »

 

« Bien que la reconstruction de Gaza sans déplacement de sa population semble être une position arabe positive, la réalité est que la plupart des pays arabes ne sont pas en mesure d’imposer cette vision à la communauté internationale. Le véritable problème ne réside pas dans la formulation de propositions, mais dans leur mise en œuvre sur le terrain. Comment les pays arabes peuvent-ils convaincre Israël ou les États-Unis d’abandonner leur vision pour Gaza ? Quels moyens de pression sont disponibles ? Malheureusement, ce que nous observons jusqu’à présent se limite à des réunions et des déclarations sans actions concrètes…

Tout plan qui ne repose pas sur des mécanismes d’exécution clairs et des positions décisives restera de simples mots sur du papier. De plus, la réalité politique montre que les États-Unis et Israël n’accepteront aucun plan qui ne sert pas les intérêts israéliens. Cela signifie que toute initiative arabe dépourvue d’influence politique ou économique réelle ne sera qu’une manœuvre sans impact tangible. Si ces propositions favorisent Israël, elles ne profitent certainement pas aux Palestiniens et risquent même d’affaiblir leur cause et d’aggraver leur situation politique et économique. De plus, les pays arabes ne possèdent pas la force nécessaire pour imposer un plan en faveur des Palestiniens, ce qui réduit leurs efforts diplomatiques à de simples réactions qui n’ont aucun effet concret sur le terrain.

Les événements du 7 octobre ont révélé au grand jour l’ampleur de la complicité arabe dans l’agression contre Gaza. Tout se passe désormais au grand jour : certains États arabes ne se sont pas contentés de rester silencieux face aux massacres israéliens, mais ont également soutenu Israël de manière directe ou indirecte, en facilitant la logistique, en ouvrant leur espace aérien pour le transfert d’armes, voire en lui fournissant un soutien financier. Le plan arabe présenté aujourd’hui n’est rien d’autre qu’une version remaniée des projets américains et israéliens visant à remodeler l’avenir de Gaza, sous couvert de solutions diplomatiques. Mais si les États arabes ont la capacité d’intervenir dans le dossier palestinien, pourquoi cette force n’a-t-elle pas été mobilisée pour stopper la guerre dès son déclenchement ? Pourquoi les régimes arabes n’ont-ils pas agi pour protéger les civils palestiniens ? Ces questions révèlent les contradictions flagrantes des politiques arabes et confirment que les décisions des pays arabes sont dictées par les États-Unis et Israël. Toute idée d’indépendance politique arabe dans ce dossier n’est qu’une illusion. »

Où est la conscience mondiale dans tout cela ? Où sont les organisations de défense des droits de l’homme qui défendent la justice et l’égalité ? Comment le monde peut-il justifier une telle inaction ? Comment peut-il tourner le dos à un peuple qui est systématiquement tué de différentes manières chaque jour ?

Chaque jour où la population de Gaza est exposée au grand jour est une nouvelle tache sur la conscience du monde. Combien de temps encore le peuple palestinien sera-t-il laissé seul face à la mort pendant que le monde ferme les yeux ?

Brigitte Challande

« S’il est écrit que je dois mourir
Il vous appartiendra alors de vivre
Pour raconter mon histoire
Pour vendre ces choses qui m’appartiennent

Et acheter une toile et des ficelles
Faites en sorte qu’elle soit bien blanche
Avec une longue traîne
Afin qu’un enfant quelque part à Gaza
Fixant le paradis dans les yeux
Dans l’attente de son père
Parti subitement
Sans avoir fait d’adieux
À personne
Pas même à sa chair
Pas même à son âme
Pour qu’un enfant quelque part à Gaza
Puisse voir ce cerf-volant
Mon cerf-volant à moi
Que vous aurez façonné
Qui volera là-haut
Bien haut
Et que l’enfant puisse un instant penser
Qu’il s’agit là d’un ange
Revenu lui apporter de l’amour

S’il était écrit que je dois mourir
Alors que ma mort apporte l’espoir
Que ma mort devienne une histoire »

Refaat Alareer, Si je dois mourir, 1er novembre 2023, traduction de l’anglais par Nada Yafi.

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.