Peut-on parler d’une nouvelle vie pour les Gazaoui.e.s depuis la signature de l’accord de cessez-le-feu du 19 Janvier ? C’est au fil de trois récits de vie, dans le Nord avec Marsel, à Gaza-ville avec Madleen et dans la région agricole de Kuzaa’a avec Abu Amir que nous tisserons un aperçu nécessaire, vivant et résistant, à connaître, à transmettre.


 

Le 12 Février est sorti en salle de cinéma — toujours à l’affiche à l’Utopia de Montpellier jusqu’au 25 mars — le film From Ground Zéro tournée cette année de guerre passée dans la bande de Gaza par des artistes et monté en France par le réalisateur palestinien Raschid Masharawi. Ce sont 22 petits courts métrages autour du quotidien de vie et surtout de survie tournés pendant cette guerre avec essentiellement des téléphones portables. Une nécessité impérieuse dans un propos artistique, tous les arts et toutes les formes cinématographiques y sont déclinés : ces 22 petits films témoignent de la force de vie du peuple gazaoui contre la mort qui se répand jour après jour. Du récit personnel à la réflexion politique et philosophique en passant par la forme artistique, ces récits dépassent l’horreur pour donner un visage à chaque histoire. Des rituels comme des remèdes contre l’oubli et une résistance dans l’espoir, ce film représentera la Palestine aux oscars bientôt.

À la vision de ce film, à l’animation du débat qui s’en est suivi, ce sont les trois nouvelles récentes de nos ami.e.s gazaoui.e.s qui seront lues ici dans un souci de persister à donner un visage à Gaza.

 

Récit de Marsel qui est remonté dans le Nord de la bande de Gaza, sa région.

« Sur le chemin du retour vers le nord, Z.S, un ami d’enfance, nourrissait un faible espoir de retrouver sa famille après une longue absence et une séparation. Mais ce qu’il trouva fut horrible : sa sœur, ses enfants et son mari étaient ensevelis sous les décombres de leur maison, autrefois remplie d’amour et de vie… Alors qu’il commençait à essayer d’extraire leurs corps, il se retrouva confronté à une réalité dure et impitoyable. Les décombres étaient extrêmement lourds, comme si le monde entier s’était effondré sur lui. Chaque fois qu’il tentait de soulever une pierre, il sentait son cœur se déchirer encore plus, car les corps étaient sur le point d’être écrasés sous le poids des débris. À ce moment-là, il réalisa son impuissance et commença à se demander : comment un être humain peut-il accepter une telle perte ? Comment un monde peut-il rester sourd à la souffrance des autres ? Avec son sentiment d’impuissance, il décida de faire au moins quelque chose. Il a placé des pierres sur leurs corps pour les protéger des chiens errants qui auraient pu ronger leurs os.

À côté de ces corps, il a installé sa tente avec sa famille, comme si le chagrin faisait partie de leur quotidien. Ils étaient entourés de ruines et de vestiges d’une vie autrefois remplie de rires et d’espoir….

Mon ami était l’un des milliers de personnes qui avaient perdu des êtres chers, mais son histoire souligne l’importance de l’humanité et nous rappelle que derrière chaque chiffre et chaque statistique, il y a une vie et une histoire qui méritent d’être racontées. J’ai essayé de demander à mon ami une photo pour documenter son histoire et celle du génocide, mais sa réponse dure m’a fait taire. Il a dit : “Marcel, un million d’articles et un million de vidéos ne ramèneront pas ma sœur et ma famille. Un million d’articles et un million de vidéos ne permettront pas à ce monde de se lever contre cette occupation et de surmonter son silence et sa lâcheté. Alors, publie sans photos ni noms, et préservons ceux qui sont tombés sur l’autel de la liberté dans une époque qui manque d’humanité.” »

Marsel

Récit de Madleen qui est partie de son petit camp de pêcheurs à Gaza, sa ville.

« Je suis ici à Gaza depuis le premier jour où ils nous ont permis de rentrer, à pied et pour les enfants avec une poussette d’enfant que j’ai acheté grâce à un don de l’un de mes amis au Canada. J’ai beaucoup souffert. La route était très longue, mais nous avons fini par arriver à Gaza où nous avons trouvé des tas de décombres. Ils ont tout détruit : les rues, les maisons, les hôtels, les hôpitaux, les écoles, les universités, le port et tout le reste. Nous sommes enfin arrivés dans le quartier où nous vivions. Le bâtiment n’a pas été complètement détruit et la maison est debout, mais partiellement abîmée. Il n’y a ni fenêtres ni portes. Les personnes qui vivaient dans notre maison, déplacés du nord, ont tout pris, même les meubles. Nous n’avons rien trouvé, pas de couvertures, pas de vêtements, pas d’ustensiles de cuisine, rien… Avant la guerre, mon mari et moi essayions de travailler pour construire une petite maison. Nous travaillions dans la pêche et préparions des filets pour économiser de l’argent, mais la guerre a été plus rapide. Tout a disparu, y compris les bateaux, les filets et tout ce que j’avais économisé pendant les longues années où je travaillais avec mon père. La guerre a été la pire chose qui me soit arrivée depuis ma naissance. J’ai perdu la maison de mon père et celle de mon frère. J’ai perdu mon père. Nous avons perdu nos sources de revenus, moi, ma famille et la famille de mon mari. Ma mère et mon frère avaient l’habitude de tirer leur nourriture de la mer. Mon frère travaillait sur le bateau de mon père, moi sur le mien et mon mari sur le sien. Nous essayions simplement de nourrir nos enfants et de mener une vie décente. Aujourd’hui, nous avons tout perdu… Les femmes ont rencontré de grandes difficultés en essayant de se relever face à ces difficultés… Et la peur de l’insécurité dans la région de retour, et le fait qu’elle soit truffée de mines et d’explosifs, ont rendu les choses encore bien plus difficiles. Les femmes ont été confrontées à d’énormes problèmes psychologiques en raison des traumatismes qu’elles ont subis pendant la période de déplacement, comme la perte d’êtres chers. Les infrastructures de base telles que l’eau et l’électricité font également défaut. Les femmes reviennent dans des endroits dépourvus de vie. Les possibilités d’emploi sont également rares, ce qui les a confrontées à la pauvreté et à la faim. Les écoles et les hôpitaux sont souvent détruits et incapables de répondre aux besoins de la société. Cela a un impact majeur sur les soins, l’éducation et la santé. Tout ce qui est indispensable à la vie a complètement disparu. Ces conditions ont fait de la survie quotidienne un défi stressant et nécessitent une énorme aide humanitaire pour soulager la souffrance et rétablir la vie. Ne nous abandonnez pas. Nous avons besoin de vous. »

 

Récit d’Abu Amir, le correspondant de l’UJFP à Gaza qui, jour après jour, œuvre à la mise en place de projets et d’actions collectives de résistance et de reconstruction solidaire à Gaza.

« Notre rencontre avec le maire de Khuza’a : un aperçu de la catastrophe humanitaire à laquelle sont confrontés les agriculteurs. Au cours de notre visite dans la région de Khuza’a, nous avons rencontré le maire, M. Shehda Abu Rok, qui nous a donné un aperçu complet de la situation humanitaire catastrophique à laquelle sont confrontés les résidents et les agriculteurs de l’est de Khan Younis dans le contexte de l’agression israélienne en cours. Nous avons discuté avec lui de l’ampleur de la destruction qui s’est abattue sur la région et de son impact dévastateur sur l’agriculture, les ressources en eau et les infrastructures — des bouées de sauvetage pour des centaines de familles qui dépendent uniquement de l’agriculture pour leur subsistance. M. Abu Rok a décrit les conditions actuelles à Khuza’a, affirmant que l’ampleur des destructions a dépassé 60 % des bâtiments et des infrastructures, un chiffre qui reflète l’ampleur de la catastrophe subie par le village. Tous les châteaux d’eau de la région ont été détruits, rendant le stockage et la distribution de l’eau impossibles pour les habitants et les agriculteurs. De plus, la plupart des puits d’eau qui servaient de source principale d’irrigation et d’eau potable ont été complètement anéantis. L’un des coups les plus sévères a été la destruction du principal réservoir d’eau de la municipalité de Khuza’a, qui avait été une installation vitale alimentant la majeure partie de Khuza’a et les périphéries des villages voisins. Ce réservoir de 2 000 mètres cubes, qui a été construit au coût de 970 000 dollars, a été complètement démoli, ainsi que les puits adjacents qui l’alimentaient. De plus, la plupart des usines de dessalement du village ont été rendues inutilisables en raison des bombardements répétés, laissant la communauté sans source durable d’eau potable.

Le maire a souligné que la dévastation subie par Khuza’a aujourd’hui reflète le désastre qui s’est déroulé lors de l’agression israélienne de 2014, que les habitants ont décrite à l’époque comme une véritable catastrophe. Aujourd’hui, l’histoire se répète tragiquement, avec Khuza’a qui subit une fois de plus une nouvelle Nakba, alors que ses infrastructures, ses terres agricoles et ses installations essentielles ont été systématiquement ciblées et détruites.

Destruction massive de serres et de terres agricoles : En plus de la destruction à grande échelle des bâtiments et des infrastructures hydrauliques, le secteur agricole de Khuza’a a été complètement dévasté. Plus de 200 serres agricoles ont été détruites à Khuza’a, anéantissant une source vitale de produits frais et de subsistance économique pour les agriculteurs locaux. De même, dans la banlieue d’Abasan, au moins 120 serres ont été démolies, ce qui a encore exacerbé la crise. Ces serres étaient essentielles à la production de légumes, de fruits et d’autres cultures essentielles, assurant la sécurité alimentaire non seulement pour les agriculteurs, mais pour toute la région. Leur destruction signifie que des centaines d’agriculteurs ont perdu leur seule source de revenus, tandis que les approvisionnements alimentaires sont devenus encore plus rares pour la population déjà confrontée à la famine.

Destruction du secteur agricole à l’est de Khan Younis : des agriculteurs sans terre ni eau…Projets proposés pour relancer l’agriculture à Khuza’a :
Au cours de notre discussion, nous avons exploré plusieurs projets proposés qui pourraient aider les agriculteurs à reprendre leurs activités agricoles malgré la crise en cours. L’une des principales propositions consistait à construire un grand réservoir d’eau et à réactiver le puits n°1, qui pourrait jouer un rôle essentiel dans le rétablissement de l’accès à l’eau à des fins agricoles et domestiques. Le plan suggère de pomper l’eau simultanément vers les terres agricoles et les zones résidentielles, assurant une distribution équilibrée qui profite à la fois aux agriculteurs et aux résidents aux prises avec de graves pénuries d’eau. Le maire Abu Rok a salué la proposition, reconnaissant qu’elle pourrait apporter une aide immédiate aux agriculteurs touchés et leur permettre de reprendre la culture dans des zones plus sûres et non frontalières. »

 

Chaque histoire, chaque récit témoigne d’une résistance vivante et du refus obstiné de re-vivre une deuxième Nakba. La terre de Palestine parle arabe et ses habitant.e.s résisteront à toute destruction, déplacement, la terre refleurira comme elle l’a toujours fait.

Brigitte Challande

 

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.