Festival Mardi Graves. Conclusion d’un riche programme avec quatre créations, des surprises et des rencontres.
« C’est beau l’Hérault ! » La plaisanterie en hommage à Maurice Ravel, dont on fête l’anniversaire de la naissance, est d’un humour qui se fait grinçant devant les restrictions budgétaires auxquelles le Département soumet la Culture. Mais ce titre du grand concert au triple programme, donné à Lavérune à « 90 % », puis au Terral de Saint-Jean de Védas et enfin à la Salle Molière de l’Opéra de Montpellier, n’est pas surfait : découvertes et réinventions étaient au programme !
Sur le gâteau musical les œuvres connues de Ravel sont autant de bougies pétillantes, qu’il s’agisse de la Habanera, de Ma mère l’Oye, ou de l’envoûtante Pavane. Mais on retrouve aussi Kaddish et les Trois mélodies populaires grecques. Le baryton Nicolas Rivenq, accompagné par Matthieu Ané, interprète la dernière œuvre, peu connue, du compositeur : Don Quichote à Dulcinée, commande de Pabst pour son film (mais c’est Ibert qui fut choisi). Les airs de Carmen sont invités puisqu’on célèbre aussi l’anniversaire de la mort de Bizet, et on n’oublie pas Bottesini qui fut le dieu de la contrebasse.
Petit rappel de Jean Ané, soliste de l’Orchestre National de Montpellier, qui a fondé Mardi Graves en 1993 : ce festival invite à la composition de nouvelles partitions, notamment destinées aux instruments « graves », cordes ou vents. On est gâté. Place à quatre créations !

Nouveaux mondes inversés
Tyran cruel, aimable Dieu est une cantate de Claude-Henry Joubert, sur des poèmes galants et décalés du XVIIIe siècle, et l’on compatit à ces drôles de tourments amoureux… « Mais le plus grand de tous est de ne point aimer ». À voir avec Cupidon, mais surtout à écouter car Nicolas Rivenq est vraiment « bouillonnant » dans son rôle de « baryton fervent », et Bernard Cazauran est en dialogue empathique mais aussi sceptique en tant que « contrebasse accorte ».
Perplexité non moins chatouilleuse avec La Bestiole exploratrice de Jean-Marc Fouché qui interroge et fait découvrir harmonies et couleurs, entre contrastes et énigmes, dans un superbe échange entre Mathieu Salas à la contrebasse et Félix Pereira au trombone. Mais la grande surprise est Fata Morgana de Matthieu Ané (créé récemment à Darmstadt), dénonciation du projet dément d’une ville de fiction bien réelle en Arabie Saoudite. Avec son onirisme ambigu et ses tensions rythmiques, cette pièce demande au trio clarinette, contrebasse, piano une extrême cohésion. On est immergé dans des moments surprenants où une sorte de charme fait place à une vraie violence. Cette double face, si bien partagée, et conduite en commun par Michel Mandel, Brice Soniano et Lionel Melric, est extrêmement subtile et prenante.

On l’attendait. Bel Hérault de Bernard Langlois a résonné à Lavérune, avant Montpellier. Le compositeur a confié au basson de Blandine Delangle le soin d’épeler les lettres/notes du nom de notre département, une évocation éloquente et un peu ironique, puis on part en ballade. Un pari pour la clarinette de Benjamin Fontaine et le cor anglais de Tiphaine Vigneron (solistes de l’OONMO), qui partagent une virée champêtre, rivalisent dans les graves, échangent sextolets et quintolets, et autant de questions et de jolis sons autour du thème. À la santé du Boléro, retours, mises à l’envers et surtout une atmosphère prenante, des alentours charmants, et une arrivée où « la sol ré mi » évoque A G D E…
Oui, grave ! Les trombones au top !
Mardi Graves ne construit pas seulement un nouveau répertoire, bien à lui. De nombreux invités, artistes, solistes, sont venus, et dimanche, au Terral, les cuivres ont envahi la scène, avec « Le Quintette en l’air » (comptant Yves Lair), les « Suavités » des cinq serpents, ces cuivres en bois cousins du cornet à bouquin. Et aussi de belles « Gravités cuivrées », notamment les moments offerts par Anthony Caillet, qui sait « tout faire avec un euphonium ». Stagiaires et professeurs étaient une bonne trentaine, et c’était bien plus qu’une classe d’ensemble.
La dernière grande surprise, mardi dans la salle Molière de Montpellier, était la venue de l’ensemble de trombones de l’IESM d’Aix en Provence, dirigés par Jacques Mauger. Certains fans de cuivres attendaient sans doute une chouette prestation de conservatoire, mais cela a été un vrai feu d’artifice. Ces neuf solistes de Toulon, Paris, Clermont-Ferrand, Caracas… ont brillé dans un programme très varié, ouvert avec Leviathan, My Way, Un été 42, puis des pièces de Naulais, un formidable Gladiator et un final de Medley et Bossa Nova. Les solos ont permis d’apprécier de belles couleurs, des riches personnalités naissantes dans les nuances, intonations, phrasés. Ils reviendront.

Point d’orgue
De telles rencontres sont devenues plus que rares. Ce dernier grand concert à Montpellier était organisé pour le financement de la réfection de l’orgue des Saints François, récemment victime de l’incendie de l’église. Il était aussi donné en hommage à la basse Christian Portanier, une voix et une figure légendaire de Montpellier. Il avait jadis souhaité chanter, accompagné par Jean Ané, Per questa bella mano de Mozart , un air superbe et… « un tombeau pour la contrebasse ! » Des vinyles vintage du chanteur étaient offerts pour aider à la cagnotte destinée à l’orgue. Mardi Graves parvient à apporter cette aide, en comptant surtout sur l’énergie des membres de l’association. Dès sa fondation ce festival peu ordinaire a pu exister grâce au bénévolat des artistes, motivés avant tout par la création de nouveaux programmes et d’échanges pédagogiques, pour faire entendre leur voix grave. Le festival se termine dimanche en Catalogne avec Jean Ané, qui s’organise déjà pour la prochaine édition. Il prépare le retour de la super basse milanaise de 4 mètres de haut, l’Octobasse de Nicola Moneta, et le festival 2026, qui aura lieu autour du 14 février et de la Saint Valentin, va s’intituler « L’amour à voix basse ». On s’attend à des confidences musicales.
Michèle Fizaine