Depuis le 1er Mai 2024 les deux équipes soutenues et en lien avec l’UJFP organisent et maintiennent toutes les semaines des ateliers de soutien psychologiques pour la population des camps de Déplacé.e.s dont ils s’occupent : les femmes, les enfants et les hommes. Dans cette période de fin d’année, de fête familiale pour nous, ici à l’abri de la guerre génocidaire de Gaza qui ne cesse de ravager ce petit territoire du bord de notre méditerranée notre souhait est de rapporter des paroles brutes issues de ces moments d’ateliers. La dynamique de cette expérience présente bien des similitudes avec toutes les techniques collectives que nous pratiquons nous aussi dans nos vies tranquillement européennes.
“J’ai perdu ma maison pendant la dernière guerre et je vis désormais avec ma famille dans un camp surpeuplé où il n’y a pas le minimum de vie privée. La violence que nous avons subie ne venait pas seulement des bombardements, mais aussi des pressions quotidiennes dans les camps, où la sécurité est devenue un rêve inaccessible.”
“Dans les premiers jours de notre fuite, nous avons vu des femmes subir des agressions verbales et physiques de la part des soldats israéliens alors qu’elles tentaient de s’échapper. Ces expériences ont laissé des blessures profondes dans nos âmes”
Après avoir rejoint le camp, j’ai entendu parler de cas de violences sexuelles contre des femmes. Au début, j’avais peur et honte d’en parler, mais après avoir rencontré d’autres femmes qui avaient vécu des expériences similaires, nous avons commencé à partager des conseils et à apprendre comment affronter ces défis ensemble. »
“ J’ai appris à exprimer mes sentiments au lieu de les réprimer. Parler avec mes voisines et pratiquer la méditation sont devenus pour moi un exutoire qui réduit mon stress. “
“J’ai commencé à participer aux activités organisées par ces ateliers, et j’ai appris à transformer les difficultés en moteur de persévérance. Aujourd’hui, j’aide d’autres femmes confrontées à des défis similaires.”
“Je me sentais perdue et terrifiée, mais j’ai commencé à pratiquer la méditation et à parler avec d’autres femmes dans le camp. Ces gestes simples m’ont aidée à retrouver une partie de ma force.” Une autre femme a évoqué la peur constante causée par les bombardements.
“ J’ai appris des techniques de respiration profonde pendant l’atelier, et je les pratique quotidiennement. Cela m’aide énormément à réduire mon anxiété.”
“Ces centres nous ont beaucoup aidés à ramener nos enfants sur les bancs de l’école. La sécurité qu’ils ressentent là-bas nous rassure en tant que parents.”
“Mon enfant est devenu plus heureux et calme depuis qu’il a rejoint le centre. Les activités pratiquées lui ont permis de retrouver une partie de son enfance volée par la guerre.”
C’est une autre histoire que nous a raconté Abu Amir cette semaine; une histoire qui met en évidence les impasses humanitaires des solitudes personnelles dans cet enfer.
“ Cette nuit froide, alors que je rentrais chez moi à neuf heures, j’ai ressenti quelque chose de différent. J’évite habituellement de rester tard le soir, de peur des voleurs qui rôdent dans les rues dans le noir. Les routes étaient presque désertes, on ne voyait presque personne passer et le froid glacial accentuait la solitude des rues vides. Mais ce que j’ai vu cette nuit-là m’a bouleversé au plus profond de moi-même, m’obligeant à repenser à tout ce en quoi je croyais. Au bord de la route, la lumière de ma voiture éclairait une femme vêtue de noir. Son visage était recouvert d’un voile, ne laissant voir que ses yeux. Elle tenait un petit bâton dans sa main et fouillait dans une poubelle, à la recherche de restes de nourriture ou de fruits.
Le spectacle était déchirant, indescriptible. J’ai ressenti une vive douleur dans la poitrine, comme si l’air autour de moi était étouffant. Je me suis arrêtée à quelques mètres de là, ne voulant pas la gêner. Je l’ai appelée doucement de loin, hésitant entre m’approcher ou rester en retrait. Elle s’est dirigée vers moi lentement, prudemment. Quand je lui ai demandé pourquoi elle était dehors à cette heure tardive, alors que les rues étaient vides et que le danger rôdait, elle s’est mise à pleurer. Je ne pouvais voir que ses yeux remplis de larmes. D’une voix étranglée, elle m’a dit qu’elle fouillait dans les poubelles à la recherche de restes de nourriture pour ramener à ses enfants affamés.
Je n’arrivais pas à me retenir. J’ai lutté pour retenir mes larmes, mais le moment était bouleversant. Je lui ai donné de l’argent dans la main et je lui ai demandé de se rendre dans un centre alimentaire géré par une de mes amies le lendemain matin. Je lui ai dit de mentionner mon nom pour qu’ils l’aident. Puis je suis rentrée chez moi, le cœur brûlant de colère et de désespoir. À ce moment-là, mes émotions ont débordé. Je ne pouvais plus croire aux slogans creux répétés par ceux qui étaient assis dans des fauteuils luxueux. Quelle est la valeur d’une patrie si elle ne peut pas fournir à son peuple les nécessités de base de la vie ? Quel est le but de la lutte si le prix à payer est la faim des enfants, les larmes des femmes et l’impuissance des hommes ? Quel genre de patrie laisse son peuple mendier dans les rues, avec des mères fouillant dans les poubelles pour trouver de la nourriture ? La situation à Gaza aujourd’hui ne peut plus supporter le silence.
Nos enfants sont devenus des mendiants dans les rues, nos femmes fouillent les poubelles à la recherche de restes de nourriture et nos hommes pleurent dans les coins, brisés par leur incapacité à subvenir aux besoins les plus simples de leur famille. Quelle humiliation avons-nous atteinte ? Comment pouvons-nous parler d’une patrie alors que notre peuple vit sous le poids écrasant de la pauvreté, de la faim et de l’oppression ?”
Brigitte Challande