L’exposition d’Anna Solal est la première programmée par Éric Mangion, nouveau directeur du Frac Occitanie Montpellier. Ce Fonds régional d’art contemporain avait besoin d’un nouveau souffle.
Exposition à visiter pour un mois encore (d’ici le 28 décembre 2024), Mille projectiles, de la plasticienne Anna Solal, était très attendue pour l’art contemporain à Montpellier. Elle est la première programmée par Éric Mangion qui est arrivé voici un an à la tête du FRAC Occitanie Montpellier. FRAC, comme Fonds régional d’art contemporain. De cette personnalité très en vue dans ce domaine, on a d’abord remarqué qu’il a laissé le commissariat de cette exposition à Marine Lang, jeune professionnelle languedocienne, qui dirige par ailleurs les Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Béziers.
« Le Frac ne m’appartient pas. Très simplement, je me suis tourné vers une professionnelle parfaitement reconnue. » Au-delà d’un tel critère, n’allons donc pas l’embrouiller avec le fait de mettre en avant une femme inscrite dans le paysage régional, pour présenter le travail d’Anna Solal, femme aussi, et qui a quelque menu lien de famille à Montpellier. Les deux encore plutôt jeunes. Anna Solal a 35 ans — mais déjà tout un parcours. « Le Frac a acquis deux de ses œuvres, il était naturel d’approfondir le lien avec son travail, pour la force et la qualité que nous y reconnaissons. »
Il n’empêche. On avait en tête ces paramères de confiance en la jeunesse, en des figures féminines, en des connexions en région, au moment d’aller découvrir cette exposition. Au passage on remarquait que le comité technique d’acquisition d’œuvres de ce même FRAC vient d’être complètement renouvelé1. « Ces personnes comprennent mon projet artistique et culturel », indique le nouveau directeur. Il précise : « Avant d’acquérir une œuvre, on pense avant tout à ce que seront les attentes pour sa diffusion, auprès de nos partenaires en région. Nous devons prendre en compte ce que sont leurs besoins. »
Lorsqu’il prenait ses fonctions, en septembre 2023, Éric Mangion avait annoncé « rêver d’un Frac à dimension humaine, proche des gens, proche de tout ». Il mettait à distance l’étiquette d’art contemporain, « s’il s’agit de définir un style qui se refermerait sur lui-même. Je préfère parler de création contemporaine qui suppose une ouverture à une multitude d’expressions ». Et de se dire, encore, « opposé au clinquant, au rutilant » qui peuvent sévir dans ce domaine, pour préférer un art traversé à hauteur du monde au sein duquel il se manifeste ; au point d’envisager de l’insérer dans des fêtes populaires.
Remarquons au passage que les moyens du FRAC montpelliérain sont bien modestes (0,8 M€ figuraient à son budget prévisionnel 2022 — dix fois moins que le seul Mo.Co., qui est le grand centre d’art contemporain porté par la Métropole de Montpellier). Or, la mission spécifique du FRAC, co-financée par l’État (ministère de la Culture) et la Région Occitanie en partenariat, est fort coûteuse : acquérir des œuvres, conserver cette collection (riche de près de 1 400 pièces à ce jour), et surtout la diffuser de façon très dynamique auprès de dizaines d’entités partenaires éparpillées aux quatre coins du terrain régional. L’équipe dédiée présente une douzaine de postes.
On ne sait que penser de l’incidence qu’auront les restrictions budgétaires qui s’annoncent partout, notamment en région. Sans citer précisément les Frac, Carole Delga a déjà évoqué des fusions entre diverses agences à vocation culturelle dans l’orbite de la région. Jusqu’à ce jour, les deux Frac de Toulouse et de Montpellier, existant avant la création de la nouvelle grande région, ont chacun conservé, de fait, leur autonomie d’actions et de moyens.
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À une adresse trop discrète, dans le quartier Gambetta-Sécu’, la galerie d’exposition du Frac montpelliérain n’offre qu’une superficie modeste. Mais l’installation judicieuse de cloisons dans cet espace permet à l’exposition d’Anna Solal de s’offrir comme un réel parcours, entre volumes compartimentés. Cela résonne parfaitement avec ce qu’on ressent de son travail : une sorte de belle totalité, très marquée, et pourtant une fragmentation qui relance à tout instant la curiosité.
Cette exposition porte un titre : Mille projectiles. Des projectiles, on lui trouve l’acuité, qui percute. Et du nombre Mille, on lui trouve la profusion démultiplicatrice. On est très gêné de recourir à présent à une notion aussi inopérante qu’obsolète ; celle du “féminin”. Il n’empêche : si de l’exposition émane la sensation d’un travail très accompli, maîtrisé, on lui trouve néanmoins le fourmillement d’une délicatesse dans l’ouvrage, une absence de position surplombante, ou de séduction tapageuse, ni encore de violence surexposée.
Or ce sont bien les tourments de notre monde que convoque Anna Solal, finalement plus engagée qu’il n’y paraît, même à préférer y trouver sources inspirantes plutôt que matière à slogans dénonciateurs. Une trentaine d’œuvres exposées, souvent récentes, présente une étonnante diversité de formats : du parallélépipède le plus classique à des débordements de surface, contours inusités, en fonction du support empruntés, voire quelques pièces purement totémiques. Certaines surfaces sont incisées, découpées en cocottes, se développent en volumes, en suspensions, artefacts rappelant fleurs ou papillons.
Cela concourt à une diversité de techniques généralisée, avec recyclage et détournement d’une multitude d’objets de la technologie du quotidien : pinces à linge ou à cheveux, maillons de chaînes de vélo, touches de clavier d’engins électroniques, vitres éclatées en mosaïques d’écrans tout aussi électroniques, semelles de chaussures sportswear, peignes, etc. Ces rebuts transportent un monde préhensible sous le regard, dans un état interrogatif, que renforcent les collages, l’insertion de la photographie. Des doigts mêmes de l’artiste émanent moultes figurations symboliques, dans le dessin assuré de formes humaines, citations mythologiques, de magnifiques fusains, des aplats vitrifiés ou satinés ; et beaucoup de peinture aussi. Beaucoup d’ouvrage ; de bricolage méticuleux.
Les atmosphères semblent émaner de citations d’actualité — pourquoi pas manifestante — sinon d’un univers de cultures jeunes où science-fiction, bande dessinée, esthétiques vidéo-électroniques, donneraient à voir. Dans une très belle teinte de fond bleu en toutes nuances, tirant vers le violet ou le mauve, cette exposition butine, cette exposition prélève, collectionne, détourne, façonne, relie et agence. Tissage sur le monde.
Lors du récent week-end national d’animation dans tous les Frac du pays, on a pu y assister à des déambulations-interventions très incisives de jeunes artistes performeurs qui se forment au sein du Centre chorégraphique national de Montpellier. Ou aussi découvrir Théo Robine-Langlois, passionnant invité d’Anna Solal pour un dialogue. Ce jeune homme est poète, mais aussi calligraphe, graphiste, façonnant intégralement la typographie et mise en page pour l’édition de ses propres ouvrages, non sans avoir ouvert une librairie. Dans cette articulation de tous les métiers complémentaires, on a ressenti la conviction d’induire un mouvement réel d’écriture en recherche connectée. Il y avait là un souffle très émancipateur, donnant joie aux questions de l’écriture inclusive, ou des langues minoritaires de l’Hexagone. Là encore, un touche-à-tout inspiré conseillait d’échapper à tout carcan de forme trop instituée.
Gérard MAYEN
Mille projectiles, exposition d’œuvres d’Anna Solal, au Frac Occitanie Montpellier, du mardi au samedi de 14h à 18h. Jusqu’au 28 décembre.
Tél : 04 99 74 20 35
Notes:
- Nouvelle composition du Comité technique d’acquisitions du FRAC Occitanie-Montpellier : Marine Lang, directrice des Mécènes du Sud Montpellier-Sète-Béziers – Hélène Guenin, directrice du Musée d’art contemporain de Nice – Anna Colin, commissaire indépendante – Clément Nouet, directeur du MRAC, Musée régional d’art contemporain de Sérignan (Hérault).