Agathe Field y va au saut du lit. Après, elle se sent « très détendue avec une énergie qui se diffuse tout au long de la journée ». Ces bains quotidiens dans la Méditerranée sont ses « rendez-vous galants avec la mer ».


 

 

Pour croiser Agathe et ses compagnons de nage, il faut se lever tôt et viser la plage des Catalans ou l’anse de Maldormé, les plus proches du centre-ville de Marseille. Ils se surveillent, l’hypothermie peut arriver sans prévenir. Ce matin de janvier-là, ils ont nagé presque une demi-heure, plus que la fameuse règle des « un degré ». « Il ne faut pas rester plus longtemps en minutes que la température de l’eau. Donc 18 degrés, ce serait pas plus que 18 minutes », explique Alain Ferrero, médecin qui voit dans cette pratique comme une forme de méditation. Cet hiver, l’eau a oscillé entre 11 et 15 degrés et la majorité des habitués nagent plutôt vers midi. Sur la plage artificielle du Prado, les nageurs défilent autour d’une cabane transformée en vestiaire en plein air.

 

Cagoule plutôt que combinaison

 

« J’organise tout dans ma journée autour de ça, pour me sauvegarder ce plaisir fou et gratuit », raconte Sabine Viard. Cette architecte d’intérieur de 49 ans y va tous les jours « même quand le temps est effroyable ». L’un se jette sans combinaison mais jamais sans sa cagoule, « l’arme antifroid par excellence ». Un autre préfère mettre deux bonnets de bain superposés. « Pas de méduse ! », se réjouit un troisième.

Tous disent que nager dans l’eau froide développe leur système immunitaire, qu’ils ne sont jamais malades. Difficile de mesurer l’essor de cette discipline devenue olympique depuis 2008, mais les compétitions en eau libre se multiplient partout en France, du lac d’Annecy au bassin de la Villette à Paris. Le Défi Monte-Cristo à Marseille est l’une des plus anciennes. Elle part du château d’If et attire désormais 5 000 nageurs, contre 25 à sa création en 1999.

 

Bains revendicatifs

 

Cette tendance s’accompagne de l’émergence de projets militants et politiques de reconquête des espaces de baignade en ville, observe Benoît Hachet, sociologue à l‘École des hautes études en sciences sociales (EHESS). En octobre, des groupes de nageurs comme Les Libres Nageurs, la Team Malmousque ou les Nageurs du Prado se sont unis lors d’une manifestation décalée en mer pour demander plus de sécurité face aux incivilités nautiques, dans une baie qui accueillera les épreuves de voile aux Jeux Olympiques de 2024.

Certains militent aussi pour la création d’aires marines protégées comme Sylvain Ronca, intarissable sur les espèces qui se raréfient dont les oursins, victimes selon lui du braconnage. « Quand on nage, on a des idées, une sensibilité à la propreté de l’eau, l’accès à l’eau », développe Benjamin Clasen, président des Libres Nageurs.

L’accès à l’eau n’est pas si évident à Marseille qui compte 57 km de côtes mais seulement une poignée de plages de sable et beaucoup de criques inaccessibles aux enfants par exemple. La municipalité de gauche veut donc développer l’offre balnéaire et a promis la création cet été d’« un bassin de nage accessible à tous » au pied du Mucem, à la sortie du Vieux-Port, sans préciser ses contours, une demande pressante des Libres Nageurs.

Le Danemark, la Suisse ou l’Allemagne sont en avance sur le sujet. Copenhague par exemple a mis en place des bains portuaires dès le début du siècle. Pour Benoît Hachet, « il faut accompagner ce mouvement de reconquête d’espaces de baignades naturelles, notamment dans les rivières car le modèle des piscines sera remis en question, et avec les canicules à répétition qui arrivent les gens chercheront à se rafraîchir à tout prix ».

Ailleurs, d’autres mouvements émergent comme au nord de Paris où Les Ourcq polaires se baignent à Pantin dans l’eau glacée du canal de l’Ourcq et revendiquent le droit de le faire malgré l’interdiction.

AFP