Place Arnaud Bernard, 18h, ce jeudi 8 juillet, sous un ciel solaire des centaines de personnes sont réunies dans un joyeux brouhaha de conversations, debout, assises, entouré.e.s de banderoles solidaires des luttes zapatistes qui ont pris le chemin de la mise en commun depuis vingt-sept ans.


 

« Soyez les bienvenu.e.s à Toulouse et en Europe ! », clame une voix au micro saluant ainsi la première délégation zapatiste, l’escadron 421, qui a largué les amarres au Mexique pour les ancrer à Vigo (Espagne) dans son « voyage pour la vie » à travers le continent européen et le monde.

« Le 1er janvier 1994, quelques milliers d’hommes et de femmes pauvrement armé.e.s occupaient plusieurs villes du sud mexicain au cri de : « Ya basta , ça suffit ! »1 Ils-elles revendiquaient l’égalité, la dignité, la justice, la liberté, des droits fondamentaux pour les indigènes du Chiapas2, pour les Mexicains.e.s et pour l’ensemble des habitant.e.s de la planète ».

Face au mépris des gouvernements successifs, « vous avez mis en pratique ces revendications en toute autonomie : santé, éducation, justice, auto-gouvernement, et ce, malgré les harcèlements incessants des populations, les tortures et les assassinats perpétrés par des paramilitaires à la solde des gouvernements en place ». Zapateria toulousaine, un collectif d’organisations les plus diverses, a préparé minutieusement leur accueil depuis l’hiver dernier et continuera son travail puisque d’autres vagues zapatistes vont arriver à la mi-juillet et à l’automne.

 

Une haie d’honneur ovationne les navigateurs et navigatrices

Au fur et à mesure du tempo discursif, s’élève le fameux chant de résistance « El pueblo unido jamás será vencido » : « Le peuple uni ne sera jamais vaincu ». Les regards se tournent vers une marée humaine. Main dans la main, une haie d’honneur se forme, au milieu, sept personnes marchent les unes après les autres fortement acclamées, on entend « Zapata3 vive, la lucha sigue, sigue » : « Zapata vit, la lutte continue ! ». C’est avec une grande émotion que l’on voit les représentant.e.s, plutôt les « hôtes », c’est ainsi qu’ils se qualifient, des zapatistes qui ont navigué depuis le 2 mai, sur un voilier, jusqu’à nos côtes dans une démarche inverse à la conquête coloniale d’il y a 500 ans, avec le désir d’embrasser le monde, d’écouter les autres, d’échanger sur les luttes, les succès et les échecs, « de travailler collectivement d’en bas à gauche pour abattre le capitalisme ».

Lupita, Carolina, Ximena et Yuli ont revêtu leurs longues jupes traditionnelles avec des blouses brodées et colorées, emblêmes de la culture Maya. Marijosé, qui ne se définit pas (un.e est autre), porte un short en jean, des collants surmontés de hautes bottes, une écharpe tissée, Bernal et Felipe ont enfilé un tee-shirt blanc aux motifs d’une barque flottant sur l’océan, sous le soleil bienveillant qui irradie l’équipage. Tous et toutes ont en commun le fameux foulard rouge autour du cou et la double protection masque et visière cachant leur visage, pas les yeux, parce que dans les communautés zapatistes douze de leurs camarades sont décédé.e.s des suites de la pandémie malgré les efforts sanitaires déployés.

 

Les Zapatistes à Toulouse. Photo Dr altermidi, Hurria.

 

Le désir de rencontrer ceux et celles qui font le mouvement social

Des chaises sont mises à leur disposition tandis que la chorale féministe L’Ébranleuse, toute de rouge vêtue, entonne « Noi siamo stuffe » : « On en a marre », faisant écho au combat anti-patriarcal mené à travers le monde. Puis, les zapatistes montent sur la scène. Chacu.n.e se présente brièvement affirmant qu’il-elle est à 100 % zapatiste, la plupart le font dans leur langue maternelle4 : tzoltzil, tzeltal, chol ou tojolabal, d’autres en espagnol. L’Ébranleuse chante « Vivir sin miedo » : « Vivre sans peur » contre le féminicide, en hommage à toutes les disparues, les assassinées. « (…) S’ils en touchent une, nous répondons toutes. Je suis Claudia, Esther, Teresa. Je suis Ingrid, Fabiola et Valeria. Je suis la fille que tu as emmenée de force (…). »

Dans la foule attentive, les Gilets jaunes sont venus en nombre, d’ailleurs c’est une Gilet jaune qui héberge les zapatistes à la campagne. Les prochain.e.s voyageurs.e.s ont soif de rencontrer ceux et celles qui participent aux mouvements sociaux : « Gilets jaunes, sans-papiers, réfugié.e.s, féminismes, contre-culture, éducation, écologie, luttes contre les violences et le racisme d’État ». Les zapatistes immortalisent depuis leur téléphone portable la foule enthousiaste et solidaire de leur cause. Des sons andins sortent de la Gaïta colombienne5 et du tambour « llamador » [celui qui appelle, qui tient le contretemps, Ndlr]. Une ronde humaine accompagne La danse des bombes (poème devenu chanson de la communarde Louise Michel). Une militante de l’association de solidarité avec les peuples en lutte, France-Amérique Latine, souhaite que « les invasions de ce type se multiplient à l’infini ».

 

 

Affiche zapatiste : le train Maya Dr.

 

 

« Nous sommes des graines qui germent »

Marijosé reprend la parole pour exprimer sa reconnaissance à tous les collectifs qui ont rendu possible ce qui est, « ce petit grain de sable, l’ennemi qui a voulu nous enterrer a oublié que nous sommes des graines qui germent ». Une jeune espagnole lance passionnément : « Vous êtes un exemple, une référence à suivre. Il faut nous mettre un coup de pied au cul pour qu’on se réveille, ici, dans notre monde capitaliste de merde ! »

On peut lire sur une banderole : « Une main plus une main ne sont pas deux mains, ce sont des mains unies. Pour que le monde ne soit pas dans quelques mains, mais dans toutes les mains », Gonzalo, Colombien, en est l’auteur. Il a dessiné une femme zapatiste avec le passe-montagne estampillé de l’étoile rouge et une barque en papier entre ses doigts. D’un côté, les couleurs de l’arc-en-ciel de l’inclusion, en bas l’escargot (el caracol en espagnol) symbolisant la forme circulaire de l’autogestion zapatiste où le peuple commande et le gouvernement obéit. La Colombie est à l’honneur avec ses révoltes sociales matées dans le sang par un pouvoir narco-paramilitaire criminel. Un slogan dit : « Quand le gouvernement est pire que le virus, le peuple est dans la rue ».

Arborant son drapeau sahraoui, Abdelaziz est ici parce qu’il soutient toutes les causes anticoloniales et les peuples qui se battent pour un monde sans exploitation ni domination.

 

Les plus méprisé.e.s, les plus pauvres ont ouvert le chemin des transformations

« Moi ce que je voudrais, c’est un véritable échange sur nos luttes respectives pour qu’ils et elles sachent que nous sommes en train de nous battre à notre manière pour le droit au logement, la culture avec Mix’Art Myrys, pour la forêt contre la scierie industrielle de Lannemezan, pour la justice sociale avec les Gilets jaunes », témoigne une participante sud-américaine, qui opte pour le prénom de Ramona, du nom d’une célèbre commandante de l’EZLN, l’Armée zapatiste de libération nationale. Cette rencontre interactive que nombre de militant.e.s attendent avec impatience se fera quand les autres houles zapatistes attendues débarqueront prochainement sur notre continent.

Pour Gloria, c’est clair : «  Ils et elles nous montrent que les alternatives sont possibles et que nous devons continuer à les construire ».

Piedad Belmonte

Notes:

  1. Qui sont les zapatistes ? Les communautés zapatistes sont formées majoritairement de membres des peuples autochtones mayas, au Chiapas, sud-est mexicain. Le 1er janvier 1994, en protestation contre les mesures néolibérales de l’ALENA (accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique), pour une plus juste répartition des terres agricoles et des conditions de vie dignes, un soulèvement a eu lieu, à l’initiative de l’EZLN (Armée Zapatiste de Libération Nationale). Après des affrontements et une répression menée par l’armée mexicaine aux ordres des autorités politiques, l’EZLN a décidé de respecter unilatéralement les accords de paix de San Andrés signés avec le gouvernement. Cette nouvelle phase a permis l’édification de communautés zapatistes, gouvernées collectivement et horizontalement, qui ont développé leurs écoles, cliniques, coopératives, etc… Les zapatistes considèrent que leur émancipation ne peut se réaliser que dans « un monde où il y a de la place pour plusieurs mondes ».
  2. État du sud du Mexique, à la frontière du Guatemala
  3. Emiliano Zapata Salazar (08-08-1879 – 10-04-1919) est l’un des principaux acteurs de la révolution mexicaine de 1910 contre le président Porfirio Díaz, puis de la guerre civile qui suivit le départ en exil de celui-ci en 1911.
  4. Les langues mayas sont une famille de langues amérindiennes parlées par quelque 5 millions de personnes, essentiellement dans la zone géographique de la civilisation maya, qui s’étend du sud du Mexique jusqu’au Honduras
  5. flûte droite taillée à partir du cœur d’un cactus
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin