La date choisie était historique : le 18 juin. Le collectif d’artistes autogéré Mix’Art Myrys affirme à la face du Capitole, où siège la mairie et en plein conseil municipal, que son entrée en Résistance est faite pour durer.


 

Il est midi passé de quelques minutes, à Toulouse on tient au fameux quart d’heure toulousain. Dans un coin, la scène est montée, devant, des musicien.n.e.s prennent place avec leurs cuivres et percussions. Au milieu, quelques mains s’agitent à dresser des portiques à trois piliers. Un peu plus loin, un groupe, papier en mains, se concerte. Un moment de débriefing est nécessaire avant le spectacle féérique. C’est le coordinateur de Mix’Art Myrys, Joël, qui s’y colle avec ses feuilles. À chacun.e son rôle.

Fin de la préparation, l’ouverture commence avec la lecture de Joël, sur scène, qui lance « un appel à résister aux décisions iniques prises par vous M. Jean-Luc Moudenc ». La petite histoire qui fait la grande Histoire prend forme sous l’évocation de Gilbert Vivien avec sa buvette au milieu des arbres en bord de Garonne, construite de ses mains, qui en a fait son abri durant cinquante ans, lui qui errait sous les ponts toulousains. « Son trou, comme le nomme Joël, il en fera son abri de fortune » devenu au fil du temps le Bleu bleu, un lieu de vie populaire et non marchand. Le vieux Monsieur, 83 ans, n’était pas enterré que la mairie envoyait ses tractopelles démolir cette œuvre poétique qui transgresse toute notion de propriété et ce alors qu’un collectif auquel participait Mix’Art Myrys demandait sa protection au titre des Monuments Historiques. « N’y-a-t-il pas là de quoi aller se pendre !? ».

 

« Une disparition voulue par l’édile »

Les regards s’élèvent vers les circassien.n.e.s aérien.n.e.s. Elle grimpe sur la corde pendant que la musique s’accorde légèrement, figures acrobatiques, mouvements suspendus dans le vide, batteries et saxos se répondent quand le corps gigote, ça vibre à l’unisson. « Alors Moudenc, tu trembles ? », dit une voix. Du fond de la place, la première vague émerge en traversant l’agora ; en rangs desserrés alignés, ils et elles prennent position face à la mairie, deux cris, un binôme homme-femme, initient le Haka1 : « TaringaWakarongo ! Kia rite ! Kia rite ! Wae takia ! Hi ! » : « Écoutez ! Préparez-vous ! Tapez des pieds ! Oui ! ». Les visages expriment la rage, Moudenc n’a qu’à bien se tenir « Moudenc ma té Ka ora Ka ora » : « C’est la vie c’est la vie », les gestes sont précis, on entend taper des pieds, frapper des mains sur les cuisses et, au final, on voit tirer la langue, une langue bien tendue.

L’Histoire continue par Louise. Nous sommes en décembre 2020. La métropole et la Ville ne votent pas les subventions pour 2021, cela sans prévenir les principaux concernés. « Est alors posée une disparition voulue par vous. Disparition d’une aventure artistique et humaine inspirante avec ses principes d’autogestion, de champ des possibles, de participation libre et nécessaire, de maîtrise d’usage2 ou de communs3 ».

Pour la libre et nécessaire participation, le théâtre Garonne s’en inspirera, ou encore le théâtre du Grand Rond pour le champ des possibles. « C’est aussi cela Mix’Art Myrys, une mémoire collective persistante. Ces valeurs et principes que nous défendons depuis les années 90 contamineront une nouvelle génération d’opérateurs (…) avec parfois le défaut du dévoiement des valeurs en question ». Avant que n’arrive la deuxième vague, Joël poursuit : « une petite pensée pour le 1044 et Nicola Delon, architecte et créateur de l’agence Encore Heureux5, qui œuvrera pour la Cité des Arts à La Grave souhaitée par la mairie. S’agira-t-il d’un dévoiement ou… ? Tiens, je m’en vais aller me pendre ! ».

 

Place du capitole. Photo DR altermidi Pablo Arce

 

Le public participe au Haka de protestation

La circassienne joue avec sa corde, s’entortille, se contorsionne et enroule la corde à son cou, elle grimpe de plus en plus haut, la musique s’accélère, les percussions percutent, les cuivres roulent quand elle se déchaîne sur sa corde, c’est l’affolement musical lorsqu’elle descend puis remonte, agite dans tous les sens ses jambes et ses bras pour ensuite s’écrouler par terre.

Le Haka est de retour, mais cette fois avec la participation du public ; des nouveaux et nouvelles guerrières veulent aussi entrer dans la danse rituelle de protestation. Un enfant qui se délecte en mangeant sa glace prend son temps, il les rejoindra après bombance. Des badauds s’arrêtent pour regarder l’originalité du style. Avec ses deux meneurs, la troupe s’avance d’un pas décidé pour affronter la mairie, on ne voit point poindre le nez de Monsieur le maire, pourtant il y a du bruit. « Kia ki no nei ho ki Ringa ringa Pakia ringa Pakia ringa Tiki Waeeeeeee ! » : « Aussi fort que vous pouvez Frapper Frappez des mains sur les cuisses Tapez ! ».

L’Histoire se poursuit par la voix de Nathalie. Janvier 2021, plus exactement le 14. la visite soi-disante inopinée de la direction de la sécurité civile et des risques majeurs de la mairie débarque au 12 rue Ferdinand Lassalle, le couperet tombe : c’est la fermeture administrative. « Oui, il est de notoriété publique que Mix’Art Myris n’est pas aux normes. Oui, il ne s’est rien passé de dangereux pendant les plus de 15 ans d’utilisation du lieu par le Collectif. Nous vous revoyons, M. le maire, en 2015 lors de nos 20 ans, présent sur le site avec les plus de 2 700 personnes participantes, enjoué et heureux d’être là, titillé même par l’exubérance du groupe Crash tes couilles.

Alors pourquoi cette urgence soudaine, cet acharnement, pourquoi cette campagne mensongère menée contre Mix’Art ? Ne vous vient-il pas à l’esprit, lors de vos nuits et vos jours, habité par vos décisions iniques, l’envie d’aller vous pendre ? ». Vague 3-Vague 4 de plus en plus rythmée, même saccadée, boum ! boum ! boum ! les sons musicaux vont crescendo, les mains tapent sur les percussions et les doigts sur les touches des cuivres, la cloche tinte sous les coups d’une baguette, la circassienne est secouée par des mouvements convulsifs de plus en plus rapides, une autre à terre agite sa corde. Le corps se balance, le bassin bascule d’avant en arrière. Ça monte en puissance. Le Haka s’emballe.

 

« Vos décisions sont iniques M. Moudenc »

Et l’Histoire n’est pas finie, Assaï lit. Nous arrivons à l’hiver et au printemps 2021. « Pourquoi s’arrêter à Myris ? Vous dénoncez le projet co-élaboré par vous, vos services et le DAL 31-Fondation Abbé Pierre pour le déménagement des associations et du centre social et d’hébergement d’urgence situé à La Grave. Vous choisissez l’expulsion. Vous laissez faire l’éviction du pavillon Mazar, laboratoire permanent des arts de la scène du groupe Merci. Vous ériger des clôtures autour du jardin partagé des habitant.e.s du quartier de Fontaine-Lestang avec qui vous étiez en discussion pour une convention de mise à disposition. Iniques, vos décisions sont iniques ! De quoi se pendre non !? ».

La vague 5 ressemble à une houle humaine. Un circassien fait tournoyer sa corde, s’entortille les pieds, fait remonter la corde et se retrouve au sommet du portique, la colère gronde, les instruments des musicien.n.e.s prennent des sonorités de plus en plus insistantes, les bouches musicales poussent des cris rageurs, on dirait que la corde dessine des serpentins. Le Haka détone.

Louise continue l’Histoire de l’autre 18 juin historique puisqu’il traversait les ondes en appelant le peuple de France à la Résistance. Et là, en ce 18 juin, « nous lançons un appel à la Résistance pour la Toulouse que nous aimons, la Toulouse qui a toujours été et restera résistante et rebelle, joyeuse et pugnace, vivante et nécessairement libre ! Comptez sur nous, nous ne nous pendrons pas ! ». Et place à la déferlante vague 6 et puis, la triomphale vague 7.

 

Le temps de la révolte

Face au déni de démocratie, Joël invite à la libre expression et à la résistance pour la vie. On entend des cris libérateurs, le roulement des percussions et des cuivres, les circassien.n.e.s font ce qui les enchante, le Haka explose. Tout le monde se lâche, c’est la révolte des mouvements désarticulés sur une musique libre et folle, on danse comme on a envie pendant que Joël au micro annonce, en direction du public non averti, que ce n’était pas une animation de la mairie mais bel et bien « un acte de Résistance contre l’erradication de Mix’Art Myrys voulue par la mairie ».

Une Résistance qui va être longue, les musicien.n.e.s remettent le couvert et un dernier Haka se déploie pour le plaisir des yeux sous les applaudissements bien mérités pour tous les acteurs et toutes les actrices de ce merveilleux spectacle plein de vitalité.

Piedad Belmonte

http://www.mixart-myrys.org/presentation/historique

 

 

Photo DR altermidi Pablo Arce

 

http://www.mixart-myrys.org/presentation/historique

Notes:

  1. Le haka est une danse chantée, un rituel pratiqué par les Maoris lors de conflits, de manifestation de protestation, de cérémonies ou de compétitions amicales pour impressionner les adversaires.
  2. Enjeu essentiel du développement durable et de la vie démocratique, la maîtrise d’usage est un moyen de donner une place active et décisive aux habitants, citoyens, usagers dans l’aménagement de leur cadre de vie en postulant que la pratique génère un savoir. Autrement dit, le fait de se positionner « en bout de chaîne » d’une action par l’usage d’un objet ou d’un service, ne justifie pas d’être exclu des processus d’élaboration en amont, de cet objet ou de ce service, de quelque nature qu’ils soient.
  3. Les communs sont des ressources partagées, gérées et maintenues collectivement par une communauté
  4. Le CENTQUATRE-PARIS s’est vu confier l’assistance à maîtrise d’ouvrage du projet de définition du programme culturel de la Cité des Arts de la Grave à Toulouse en vue de construire un quartier ouvert et un lieu de vie pour les habitants.
  5. Encore Heureux revendique une pratique généraliste pour concevoir des bâtiments, des installations, des jeux ou des expositions…
Avatar photo
Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin