À Toulouse, Rue Alsace-Lorraine, derrière le Capitole, sur un fil tendu, flottent comme du linge, des affiches : « Quelle nation a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne nazie ?, Voter suffit-il pour être en démocratie ?, La prison est-elle la solution ?, Que reste-t-il de la Palestine ? »
Les passant.es s’arrêtent et lisent, certain.es filment ou prennent des photos depuis leur portable. Une longue table invite au libre-service et à prix libre des prospectus informatifs, des DVD sur le monde d’après-demain, des phrases philosophiques ou des pensées de personnages qui ont marqué l’Histoire. Marx, Einstein, Malcom X, etc. Un jeune gratte sa guitare.
Les militant.es d’Inform’action1 contre-attaquent face à la guerre idéologique et médiatique que mènent le système économique capitaliste et les États à son service. Dans la rue parce que c’est un espace public, une agora, un lieu de passage, les gens sont disponibles et s’arrêtent pour discuter. Un grand panneau attire du monde « Médias français : Qui possède quoi ? ». Des médias radios, presse régionale ou nationale, audiovisuel sont aux mains de groupes industriels ou financiers, le schéma montre clairement les liens de dépendance. Deux jeunes étudiants disent avoir conscience du problème et vont chercher l’information ailleurs pour exercer leur esprit critique. Par contre, deux copains, dont le professeur en communication dans l’IUT de Blagnac (près de Toulouse) leur a révélé l’existence de ces connivences, affirment qu’ils continueront à s’informer par ces mêmes canaux. Ils ne comprennent pas ce qu’est une information alternative pourtant affichée au grand jour.
Akina signifie Solidarité en swahili
C’est un travail de Titan que réalise ce collectif qui se définit comme un Front Médiatique avec sa cheville ouvrière sans qui cette démarche n’aurait pas vu le jour. Elle s’incarne à travers la figure de Renaud Schira, 34 ans. Qu’il faut désormais appeler Akina, « le guerrier en swahili pour le nom masculin Akin, mais j’aime sa sonorité féminine et sa signification : solidarité », précise-t-il. Pourtant, rien de guerrier n’émane du visage radieux de ce jeune homme qui a laissé tomber son métier d’ingénieur dans le bâtiment pour se consacrer à la veille citoyenne de l’information. Le déclic ? Un voyage en Nouvelle-Zélande à ses 20 ans. Il parcourt l’Île en van en compagnie de Léon, un Canadien d’origine chinoise. Il y rencontre des gens issus de multiples cultures et un peuple « Kiwi » hospitalier. « C’est là que je suis né au niveau de l’être profond et que je retrouve la foi ». Eh oui, Akina est né dans une famille croyante, a fréquenté les scouts, son père est diacre à la paroisse de Marvejols (Lozère). Le petit fait donc ses trois communions, pas la quatrième, car l’adolescent finit par préférer les filles, le cannabis et la fête. Malgré une famille catholique plutôt de gauche, antinucléaire, et peu encline au consumérisme, le fils rêve de rouler en Audi A3, de s’habiller en marques et va chez l’esthéticienne.
La Nouvelle-Zélande l’ouvre aux autres
« J’étais un beau produit du système », reconnaît-il avec une touche rebelle, tout de même, qui se manifeste à cause des événements du 11 septembre 2001. Suite à de nombreuses recherches sur le Net durant une semaine, « j’ai accepté qu’on m’avait menti sur le 11 septembre, c’est venu en résonance avec le reggae et le rap que j’écoute depuis le collège. On n’a pas le même niveau de compréhension suivant l’âge. Ça m’a ouvert à la compréhension de plein de sujets. J’ai beaucoup lu ». Une lecture le marquera, celle du poète libanais Khalil Gibran à travers Le prophète. Puis viendront d’autres livres envoyés par ses parents qu’il avale en trois mois. Les grands classiques de la philosophie, l’Abbé Pierre, Sœur Emmanuelle, Mère Teresa. Son credo, un proverbe indien : « Tout ce qui n’est pas donné ou partagé est perdu ».
j’ai vécu des ascenseurs émotionnels. À remercier la vie, les parents que j’ai, puis va te faire foutre la vie, il y a des gens qui vivent dans la misère, qui ont faim. J’avais mal dans mon corps. J’ai exorcisé les choses par une forme de transe
Et c’est au bout du monde, le sud néo-zélandais, qu’il fait une expérience qui le transformera durablement. Face à des paysages fabuleux « pendant 3-4 heures, j’ai vécu des ascenseurs émotionnels. À remercier la vie, les parents que j’ai, puis va te faire foutre la vie, il y a des gens qui vivent dans la misère, qui ont faim. J’avais mal dans mon corps. J’ai exorcisé les choses par une forme de transe ». Une sensibilité à fleur de peau devant les souffrances qu’endurent ceux et celles qui n’ont rien et un sentiment de culpabilité qui le poursuivra pendant dix ans. Les grands yeux bleus jusqu’ici rieurs d’Akina rougissent, des larmes coulent parce que son cœur déborde d’humanité, parce que l’amour de son prochain guide ses pas et qu’il ne supporte pas les mensonges avalés depuis trop longtemps. « Je m’en voulais de ne pas avoir vu qu’on me trompait sur tout. Je me suis senti trahi par l’école, le système et un peu par mes parents qui m’ont trop protégé. C’était trop dur, c’est comme si on m’avait violé, j’étais un petit soldat consommateur, un bon petit travailleur. Ils avaient violé mon intégrité en rentrant dans ma conscience, mon cerveau et mon cœur. C’est inacceptable de ne pas respecter la souveraineté de l’autre ».
Jusqu’à 80 heures de bénévolat
Aujourd’hui, Akina le vit avec plus de sérénité. Sa force, c’est à la fois sa fragilité et sa détermination à rentrer en résistance, et ce dans une ville, Toulouse, « capitale de la Résistance », où il s’installe après son frère. Mais, avant, il plaque son travail de conducteur de travaux pour s’engager dans le mouvement des Indigné.es, des associations (Survie – Ensemble contre la Françafrique, Cides2, ATTAC) et adhère au NPA. Il y consacre 60 à 80 heures par semaine, c’est un hyperactif et son énergie est débordante. Toutes ces expériences ont pour objectif de créer un média de contre-propagande. Déjà, durant ses études d’ingénieur à Limoges, il réussit la prouesse de visionner 500 documentaires sur des sujets divers et à exercer son esprit critique. Il ose aller dans la rue partager les DVD copiés pour en discuter avec les gens que ça intéresse alors que ses copains et copines pensent plutôt à faire la fête. Un extra-terrestre, ce jeune étudiant ? Qui n’a pas connu ces questionnements sur la vie, le monde tel qu’il est, les injustices, la pauvreté visible dans des pays riches, la faim, les guerres, les conquêtes spatiales, la course aux armements, le colonialisme, etc. ? Akina est un jeune révolté et il entend donner un écho à cette révolte en créant des outils pour mieux comprendre et transformer le monde. Son éveil : « Les médias ne nous disent pas la vérité ». D’où la naissance d’Inform’action depuis environ 10 ans à l’image d’Investig’action en Belgique avec Michel Collon qui analyse les mensonges médiatiques, accusés tous deux d’être « complotistes » par des médias dominants et pas qu’eux.
Le travail d’information alternative dérange
Leur travail de veille médiatique ne plaît pas à tout le monde. Akina a été censuré à de multiples reprises. Trois chaînes YouTube, suivies par 30 000 personnes, fermées en décembre dernier. Deux profils Facebook liquidés. « Je suis banni à vie de Facebook et de Google. Le Rectorat a mis fin à mes interventions à l’éducation aux médias, à l’information et à l’esprit critique dans les écoles, les lycées et les universités. Tous les retours étaient exceptionnels. Les professeurs participaient aux ateliers. Pour le Rectorat, nous étions dangereux, nous ne portions pas les valeurs de la République ».
La loi sur la « sécurité globale » ne va pas arranger les choses. Akina s’en inquiète, a participé à bien des manifestations contre le projet étatique de surveillance de masse et de recul du droit à l’information. Pour lui, c’est clair, « en matière d’organisation sociale et politique, la plupart des médias sont un outil de propagande dans le but de déformer le réel, d’empêcher les gens de penser pour en faire des êtres soumis et aliénés portant les valeurs et les idées de leurs bourreaux ». « Les bourreaux ? », il entend par là la classe dominante, celle du milliardaire états-unien Warren Buffet qui déclarait qu’il y avait une guerre des classes et que c’était sa classe, celle des riches, qui était en train de l’emporter. Selon Akina, « ils ont gagné la guerre idéologique et culturelle, la méritocratie donnant l’illusion de la démocratie et de la réussite sociale ».
Malgré ce contexte où cette pensée ultra-droitière et ultra-réactionnaire est en position de force, « il y a une frange de résistance qui grandit et se radicalise », opine le militant.
Akina vit en communauté dans l’Ariège dans une démarche autogestionnaire et d’autosuffisance. Au RSA depuis dix ans, il aime la vie et l’amour. Son cœur est à prendre.
Piedad Belmonte
Photo altermidi DR Pablo Arce