Après le droit du travail, mort sur ordonnance, le gouvernement avait pris la main sur les organisations de salariés et les organisations patronales qui gèrent l’Unedic mais qui, au bout d’une longue « négociation » — au siège du Medef et sous la forme de débats et arrangements en coulisse –, n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un document final. aujourd’hui, une partie de cette convention chômage, qui risquait de paupériser des milliers de demandeurs d’emploi, est repoussée par le Conseil d’État.
La nouvelle, plutôt une bonne nouvelle pour les droits des chômeurs, arrive alors que la situation de l’emploi ne cesse de se dégrader dans le contexte de la crise économique et sanitaire. Plus d’un million de personnes supplémentaires prises en charge par l’assurance-chômage dans le cadre du chômage partiel ou suite à la perte de leur emploi. Et ce n’est encore qu’un début, les plans de licenciements ne cessent de s’accumuler dans des sociétés qui ont parfois perçu beaucoup d’argent public via les dispositifs de crédit d’impôt ou de remise de cotisations sociales.
Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, a proposé il y a un an un texte qui prévoyait d’exiger pour accéder à l’assurance-chômage dans le cadre du régime général, d’avoir travaillé au minimum 6 mois sur les 24 derniers mois. Avant cette réforme, la période de travail minimum pour y accéder était de 4 mois sur 24. De plus, « les indemnités du chômage seront désormais calculées sur le revenu mensuel moyen du travail, et non sur les seuls jours travaillés comme aujourd’hui », un mode de calcul cynique, touchant de manière brutale les salariés à l’emploi discontinu, et censé permettre ainsi une économie de 4,5 milliards au détriment des demandeurs d’emploi.
Seule exigence véritable envers le patronat : plus le nombre de salariés qui s’inscrivent à Pôle emploi après avoir travaillé pour une entreprise est important par rapport à son effectif, plus cette entreprise paiera de cotisations patronales à l’assurance-chômage.
Cette pseudo-réforme, non seulement se fait en dehors de toute négociation, mais ne tient pas compte des avertissements de l’ensemble des organisations syndicales qui avaient prévenu que ce sont au bas mot 300 000 chômeurs parmi les plus pauvres qui perdraient ainsi le droit à une indemnisation.
Recours au Conseil d’État gagnant
Alors la mobilisation ne peut pas suffire et la CGT, Solidaires, FO et la CFE-CGC (La Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres), avec la Coordination des intermittents et précaires (Cip) ont porté le problème jusqu’au Conseil d’État qui a tranché le 25 novembre en ces termes : « du fait des règles qui ont été retenues, le montant du salaire journalier de référence peut désormais, pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi au cours de la période de référence d’affiliation de 24 mois », et repousse donc ce point de la convention chômage. Pour Denis Gravouil, en charge des questions d’emploi à la CGT, ce retoquage « est une première victoire qui doit donner la pêche à tout le monde. Sur la question du salaire journalier de référence (SJR), c’est exactement ce que nous dénonçons depuis le début ». Le Medef qui avait contesté devant cette juridiction la seule mesure qui touchait les employeurs, celle du bonus-malus, soit la modulation des cotisations patronales en fonction du nombre de contrats précaires dans les secteurs les plus pourvoyeurs, a pour sa part également obtenu gain de cause pour un problème de forme.
Une demi-victoire pour Gui Chenevier de la CIP Avignon, membre de Sud Culture – Solidaires :
« Non seulement parce que ce n’est qu’une partie de la convention qui est remise en cause, mais parce qu’il va falloir renégocier, et que le Medef comme l’État tiennent à faire des économies. »
L’annulation de la réforme de la convention chômage a été au centre des revendications des 18es marches contre la précarité qui ont eu lieu partout en France. En place depuis novembre 2019, elle avait été appliquée jusqu’à l’été (fin juillet précisément) avant d’être suspendue pour cause de crise sanitaire, ce qui montre qu’elle aggravait la situation des demandeurs d’emploi. Reportée en théorie, jusqu’au 1er avril 2021, la réforme prévoit aussi une dégressivité des allocations pour les revenus élevés, au-delà de 4 500 € brut mensuel ; une baisse de leurs allocations chômage au bout de six mois et jusqu’à 30 % de baisse. Le gouvernement pourrait proposer une nouvelle version, avec des ajustements, mais la rencontre prévue avec les partenaires sociaux début décembre n’a pas été confirmée.
À la mi-novembre, la ministre du Travail Elizabeth Borne envisageait des assouplissements de la réforme assurance-chômage, dont un seuil d’éligibilité à 6 mois et rechargement à 4 mois sans distinction d’âge, ou un seuil à 6 mois pour tous mais à 4 mois pour les moins de 26 ans. Tout en maintenant le calcul suivant le revenu mensuel moyen, la ministre du Travail envisageait notamment la création d’un salaire de référence plancher. Ces propositions, entre autres, sont balayées par le résultat du recours des organisations syndicales.
Les syndicats et le patronat se retrouveront-ils autour d’une table avec ces situations en tête, ou sera-t-il toujours question d’économiser 3,6 milliards — condition sine qua non pour le Medef et le gouvernement — alors que la crise plonge de plus en plus de salariés au chômage ? À suivre.
Une réforme inadaptée à l’insertion
Géraldine Gay travaille dans le Minervois pour une association intermédiaire. elle a accepté de répondre à nos questions concernant les effets de la convention chômage sur les publics qu'elle suit.
Qu'est ce qu'une association intermédiaire ?
Une structure d'insertion par l'activité économique[efn_note] L'insertion par l'activité économique (IAE) est un secteur d'activité et une pratique apparus dans les années 1970, consistant à employer des personnes sans emploi depuis longtemps. [/efn_note] L'économie et l'entreprise sont utilisées comme outils de socialisation et de pédagogie dans la construction du parcours professionnel où nous mettons à disposition des personnes éloignées de l'emploi pour des raisons sociales et/ou professionnelles auprès de particuliers, collectivités ou entreprises. En fonction de leurs situations face à l'emploi (compétences, expériences...), de leurs situations personnelles et de leurs parcours au sein de notre structure, nous pouvons les mettre à disposition pour des temps très courts, des contrats ponctuels ou sur des contrats plus longs. Nous cherchons à nous adapter aux personnes afin de les accompagner dans leur reprise d'une activité professionnelle plus pérenne.
Quelles conséquences aurait cette réforme qui agit sur le mode de rémunération ?
Il y a quelques années, le gouvernement avait déjà réformé l'ASS (Allocation de Solidarité Spécifique). C'est une allocation qui concerne les demandeurs d'emploi qui ont épuisé leurs droits, donc des demandeurs d'emploi longue durée. Depuis, les demandeurs d'emploi qui travaillent 3 mois (3 contrats consécutifs ou non) pendant la période de leur ASS, ne touchent absolument plus leur allocation le 4e mois, ce qui pose un problème moral pour nos structures.
Comment faire travailler des personnes de façon ponctuelle sachant qu'on risque de les laisser totalement démunies une fois le contrat terminé ? Les demandeurs d'emploi, à juste titre, sont devenus très prudents dans leur reprise d'activité et nous, nous hésitons à les faire travailler alors que nos structures sont faites pour accompagner ces chômeurs longue durée dans leur retour à l'emploi. Ce principe est totalement aberrant car souvent ces personnes ne sont pas en capacité de reprendre une activité à temps plein ou à un rythme trop soutenu.
« Nous devenons les témoins impuissants de la dégradation des conditions de vie »
D'après vous, cette réforme pénaliserait les plus précaires ?
Les demandeurs d'emploi qui pourraient trouver des missions de travail pour les aider à monter en compétences, ou tout simplement les aider financièrement, y réfléchiront à deux fois avant d'accepter.
D'une part, l'ouverture des droits ou le rechargement de ceux-ci seront soumis à des périodes travaillées de 6 mois sur les 24 derniers mois (contre 4 mois précédemment) ; cette mesure laissera de nombreuses personnes de côté.
D'autre part, la réforme induit un changement de mode de calcul du salaire journalier qui sert de base pour l'estimation des allocations. On divisera le salaire par le nombre de jours de la période de référence (jours travaillés et jours chômés). Par exemple, si la personne a travaillé 2 jours dans le mois, avant on divisait son salaire par 2 (nombre de jours), maintenant on le divisera par 30 jours. Vous pouvez imaginer que le résultat ne sera absolument pas le même.
Donc les personnes précaires que nous accompagnons, mais aussi les saisonniers, se retrouvent extrêmement pénalisés en acceptant ce type de mission où les périodes d'activité alternent avec des périodes de chômage, explique la responsable de la structure d'insertion. Il est sans doute préférable pour eux de ne plus avoir l'ARE avant de reprendre une activité, mais ils tombent alors dans l'ASS et la spirale infernale se poursuit. En outre, au vu de la crise actuelle et du contexte économique, les employeurs sont peu enclins à s'engager sur du long terme et de gros volumes horaires.
Pour une structure comme la mienne, le travail devient extrêmement difficile car nous devenons les témoins impuissants de la dégradation des conditions de vie de ces personnes et de la mise en place de leur précarisation. C'est comme si on nous forçait à n'intervenir que quand la situation devient désespérée alors qu'il y aurait tant de belles choses à mettre en place dès à présent.
Christophe Coffinier