Dans toute la France, de multiples rassemblements en hommage au professeur d’histoire-géographie de Conflans Sainte-Honorine (Yvelines), Samuel Paty, se sont tenus dimanche à 15h. Dans les grandes villes, à Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Montpellier… comme dans les villes moyennes. Illustration à Martigues, dans les Bouches-du-Rhône.
Assassiné vendredi 16 octobre pour avoir montré des caricatures de Mahomet lors d’un cours d’éducation civique et morale ! Après la tuerie de « Charlie », celles du Bataclan et de Nice, on croyait pourtant avoir tout connu. Passée la sidération qu’un tel acte commis par un jeune homme de 18 ans, fanatisé, peut provoquer ; il fallait ces rassemblements pour dire, une nouvelle fois, qu’on ne pourra jamais se résigner à une telle barbarie.
À Martigues, plusieurs centaines de personnes se sont données rendez-vous sous un beau soleil d’automne, sur les lieux mêmes de l’hommage aux victimes de Charlie Hebdo et de l’hyper cacher. Sur le parvis de l’hôtel de ville figurent encore les noms des victimes de janvier 2015. Et ce dimanche qui aurait pu être radieux avait des airs de sinistre déjà vu.
Localement, quatre organisations syndicales de l’Éducation nationale avait appelé dans l’urgence à cette initiative : la FSU, la CGT Éduc’ Action, Sud Éducation et l’UNSA. « J’ ai envie de dire : on est le nombre, on est la lumière contre l’obscurantisme et dans ces conditions, ils ne pourront pas gagner », soulignait d’emblée Philippe Sénégas, responsable syndical à la FSU et lui même professeur d’histoire.
Des mots pour se réconforter, se donner du cœur à l’ouvrage et réaffirmer ce que d’autres enseignants, sur d’autres places de France, définissaient comme la raison d’être de leur métier : cultiver l’esprit critique, à distance de tous les fanatismes, de toutes les certitudes à têtes de mort. Pour Philippe Sénégas, cet enseignement d’Éducation civique et morale est justement « destiné à échanger et à débattre [et] l’assassinat abject de cet enseignant porte atteinte à des principes fondamentaux de la République comme la liberté d’expression, la liberté de conscience, la laïcité ».
Chacun sent bien à quelles extrémités, par le verbe ou l’action, certains pourraient se livrer après cet assassinat commis par un réfugié russe d’origine tchetchène. « La FSU demande que chacun s’abstienne de toute instrumentalisation politique, elle refusera toute stigmatisation des musulmans, rappelait-il, elle s’opposera partout aux obscurantismes religieux et politiques et aux fascismes rampants, qu’ils soient bruns ou verts. »
En cet après-midi, parfois avec des mots semblables, c’est le même « refus des amalgames, la liberté de croire ou de ne pas croire » (chez le maire de Martigues, Gaby Charroux), l’absolue nécessité pour les enseignant-e-s de « conserver leur liberté pédagogique » (Sandrine Scognamiglio, représentante de la CGT Educ’Action) , « sans avoir à craindre les représailles » (la militante de Sud Éducation) qui ont été martelés. Le même attachement à « l’école publique laïque ». Le député PCF de la circonscription, Pierre Dharréville, appelait à « redoubler d’attention envers notre jeunesse », à ne pas oublier « qu’êtres humains, c’est être reliés, connectés ».
Les mots et la minute de silence partagés
D’une certaine manière, ce rassemblement — qui a réuni élu-e-s, militants politiques, associatifs défenseurs des droits humains, de l’éducation populaire, de la paix et « simples citoyens » — comme tant d’autres dans le pays, avait peut-être aussi pour objectif de ne pas laisser les individus seuls face à ce « sentiment de vertige » évoqué par le député. Les mots et la minute de silence partagés pour ne pas être en proie à l’hébétude, à la colère ou au désespoir.
Dans la France de 2020, on peut décapiter un professeur, une personne chargée de transmettre et de partager des connaissances. Cela peut laisser sans voix mais cela peut aussi faire surgir mille questions, loin des pitoyables polémiques politicardes d’un Manuel Valls : pourquoi cet enseignant n’a-t-il pas été protégé ?
Pourquoi la face sombre des réseaux sociaux où les messages de dénonciation des uns valent permis de tuer pour les autres n’est-elle pas davantage examinée ? Pourquoi les propos incantatoires sur « la République » tournent à vide dans la bouche de ceux qui n’ont en réalité aucune envie de faire vivre une éducation émancipatrice ou une justice sociale minimale ? Pourquoi tant d’ enseignant-e-s ont ils le sentiment de ne jamais être respectés et écoutés par leurs tutelles ?
« J’en sais rien, j’donne ma langue au chagrin » chantait Renaud au temps de sa splendeur…
Morgan G.