Privée de festivals, la culture se « déconfine » peu à peu et les théâtres ont mis le cap sur la saison 2020-2021. Illustration avec six villes des Bouches-du-Rhône regroupées dans la même régie culturelle.


 

« La Gioia » de Pippo Delbono, un des événements de la saison (Photo Luca Del Pia)

 

Pour les raisons que l’on sait, les saisons culturelles ont du s’arrêter net au mois de mars. Et pour les mêmes raisons, la régie culturelle « Scènes et Cinés » qui regroupe les lieux de spectacles de six communes des Bouches-du-Rhône 1 a du faire une entorse à sa propre tradition avec la présentation de la future saison, non plus physiquement à « L’Usine » (lieu d’accueil des musiques actuelles ainsi nommé parce qu’il est implanté sur un ancien site industriel) mais sous forme d’un entretien, à voir sur You Tube2, entre la directrice artistique de la régie, Anne Renault, et un journaliste du quotidien « La Provence », Patrick Merle. 

 

 

En choisissant le flamand rose comme emblème du programme de la saison 2020-2021, la régie n’a pas seulement opté « pour un oiseau emblématique de la région », selon les mots d’Anne Renault, mais aussi pour le symbole de l’envol. La culture, malmenée elle aussi par la pandémie (mais pas uniquement par elle) reprendra ses droits malgré les annulations en cascades de festivals estivaux.   « Nous sommes plutôt confiants sur une rentrée sous les meilleurs auspices, confie Anne Renault, après un temps de sidération, les équipes se sont remises au travail pour contacter les compagnies proposant les spectacles qui ont du être annulés et pour tenter de leur retrouver une place la saison prochaine. » Et c’est ainsi que le chorégraphe Christian Rizzo qui devait clôturer la saison actuelle ouvrira la prochaine (le 23 septembre, au Théâtre de l’Olivier, à Istres) avec Magma qui réunira « la merveilleuse danseuse étoile Marie-Agnès Gillot et la star du flamenco, Andrès Marin », s’enthousiasme la directrice artistique.

 

Toutes les esthétiques de la danse

Dans une programmation qui accorde toujours une large place à la danse, la diversité des esthétiques sera bien là, notamment avec le hip-hop mêlé de danse contemporaine et de cirque de Fouad Boussouf (Näss, Les gens) ou Hamid Ben Mahi et son spectacle Yellel qui porte le nom du village natal du père du chorégraphe, en Algérie. La musique de Yellel est signé d’Hakim Hamadouche qui accompagnait le regretté Rachid Taha.

Esthétiques mêlées aussi chez le fidèle Mourad Merzouki et son Boxe, Boxe, Brasil qui combine hip-hop et musique du quatuor Debussy. Le chorégraphe y met en scène des danseurs brésiliens. Maguy Marin sera également de la partie avec le spectacle Waterzooï conçu avec la compagnie locale (istréenne), Coline. Autre tête d’affiche de la prochaine saison, Angelin Prejlocaj, venu en voisin d’Aix-en-Provence, dont la chorégraphie Gravité sera donnée en mai 2021, à Miramas. La « bande son » réunit Ravel, Chostakovitch, Philip Glass, Daft Punk… Jean-Claude Gallotta, lui, présentera sa nouvelle création Le jour se lève en juin 2021, et Odyssey d’Hervé Koubi, porté par la voix de Natacha Atlas, devrait faire sensation avec sa relecture des mythes de l’Odyssée en mai, à Fos-sur-Mer. 

La régie qui organise chaque hiver le festival des arts du geste Les Élancées, avec ses chapiteaux dressés aux quatre coins du territoire, proposera une nouvelle fois des créations qui ont l’art d’exploser toutes les frontières entre le cirque, la danse, l’humour… Illustration avec un artiste de cirque, Johann Le Guillerm qui proposera une « conférence-performance » intitulée Le Pas grand chose, tentative pataphysique ludique. Avec un titre pareil, on sent qu’on ne va pas être déçu, surtout quand il s’agit de « répertorier les formes créées par les épluchures de mandarines, étudier le rebond de la banane et la géométrie de la nouille serpentine ». Le tout sera accueilli au Théâtre de l’Olivier, à Istres, le 19 janvier.

Beaucoup plus grave, ML King 306 qui raconte les derniers instants de Martin Luther King mêle aussi les genres artistiques : danse hip-hop, vidéo et théâtre.

 

Shakespeare, Garcia Lorca, Marivaux et tous les autres 

Le théâtre aura la part belle au fil de cette saison avec « plus de quarante propositions pour tous les goûts », annonce la directrice artistique. Parmi celles-ci : La Tempête de Shakespeare qui devrait dire quelque chose à nos lecteurs les plus attentifs, deux pièces de Marivaux (L’île aux esclaves et La dispute), Oblomov, mis en scène par les Tréteaux de France de Robin Renucci, La maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca,3 « le troisième volet d’une trilogie rurale qui raconte l’histoire de cinq filles enfermées après la mort du père ». Dans un registre plus léger, Fracasse, monté par un des comédiens de Kaamelot, (Jean-Christophe Hembert) — « comme un véritable spectacle de cape et d’épée, avec des intrigues, des combats et plein de costumes », précise Anne Renault — sera joué en novembre à Istres (pour tous à partir de 12 ans). Et le succès paraît déjà assuré pour Le muguet de Noël qui réunira Lionnel Astier et Frédéric Bouraly (l’excellent José de Scènes de ménages).

Dans une saison, il peut y avoir des « têtes d’affiche » (Richard Berry, Francis Huster, Laetitia Casta, Anne Roumanoff, Sophia Aram, Pierre Richard seul en scène dans Monsieur X…) et des invitations à la découverte. Comme Le syndrome du banc de touche, de et avec Léa Girardet, une sorte de rencontre… virtuelle entre Aimé Jacquet, vainqueur de la coupe du monde 1998 avec « son » équipe de France et celle qui, à l’époque, rêvait de devenir comédienne. « Une déclaration d’amour à la « loose » et au football », nous dit le programme. Cela nous changera du culte fanatique de la victoire et c’est à voir le 30 octobre, à Port-Saint-Louis.

Les Goguettes, qui se produiront « en trio mais à quatre » à Miramas en mai, se sont fait connaître pendant le confinement avec leur version iconoclaste du Vesoul de Jacques Brel. Ils seront une des nombreuses touches d’humour de cette saison.

Dans une programmation où le jazz est toujours à l’honneur, le public de Scènes et Cinés pourra aussi apprécier Lisa Simone qui n’est pas que la fille de Nina, et la pointure absolue  de l’accordéon, Vincent Peirani, qui fut un des grands accompagnateurs de la sublime Youn Sun Nah (n’en déplaise aux pisse-froid qui disent  de la chanteuse « ce n’est pas du jazz »). 

 

Histoires de migrations

La prochaine saison de Scènes et Cinés va aussi se confronter à un théâtre plus âpre, en lien avec des problèmes sociaux et politiques. Avec Le rouge éternel des coquelicots, le « marseillais d’adoption » François Cervantès met en scène la vie d’une femme dont les parents sont arrivés d’Algérie dans les années 1950. Le snack qu’elle tient dans les quartiers Nord de la ville est le signe de son ancrage dans ce territoire. L’interrogation sur les migrations sera un des axes de la saison, dans la gravité ou dans l’humour. Incandescences d’Ahmed Madani explore le thème à travers le regard de jeunes gens et L.U.C.A, (« Last Universal Common Ancestor« ) signé par deux comédiens belges d’origine italienne, Hervé Guerrisi et Grégory Carnoli, prend le parti du rire : « on se rend compte qu’on est tous issus de migrations, c’est passionnant, fait à la mode belge avec beaucoup d’humour, de retrait », s’enthousiasme Anne Renault. 

Souvent décrit comme une sorte de blues grec, le rebetiko a donné son nom au spectacle de  Panayiotios Evangelidis ; du théâtre de marionnettes construit à partir de témoignages d’exilés du présent et du passé. Place de l’auteure Tamara Al Saadi, qui est née en Irak mais a grandi en France, interroge cette foutue « identité », ce mot au nom duquel on commet tant de crimes, par le verbe ou par l’action. 

On a failli l’oublier : au programme figure aussi un spectacle intitulé… En quarantaine. En fait, l’histoire d’un quadragénaire, incarné par le comédien marseillaise Faycal Oubada, qui cherche à revivre l’ivresse de ses 20 ans. 

Au rayon des rendez-vous phares de la future saison, Anne Renault ne cache pas son plaisir d’accueillir celui qu’elle qualifie de « grand monsieur de la scène contemporaine », le metteur en scène italien Pippo Delbono. Il viendra, le 14 octobre à Istres, « célébrer la joie de vivre, le plaisir d’être ensemble ». Cela s’appelle La Gioia, tout simplement… et on en aura bien besoin4.

Morgan G. 

 

Notes:

  1. Istres, Miramas, Fos-sur-Mer, Port-Saint-Louis-du-Rhône, Grans, Cornillon-Confoux
  2. A voir sur www.scenesetcines.fr
  3. Voir photo (Guy Delahaye)
  4. Programme complet, lieux, dates…sur www.scenesetcines.fr
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"