A ne pas manquer la pièce d’Amir Reza Koohestani au Théâtre universitaire La Vignette à Montpellier. Le dramaturge iranien figure de la nouvelle génération présente Summerless. Les pièces de Koohestani sont le plus souvent basées sur la vie imaginaire, causée par l’environnement politique et social. « Traiter de la politique telle que la présente les médias serait gaspiller la possibilité que nous donne le théâtre » dit-il.
Né en 1978 à Chiraz, Amir Reza Koochestani est dramaturge et metteur en scène au sein de la compagnie Mehr Théâtre Group. Il publie très tôt des nouvelles dans les journaux de sa ville natale. Attiré par le cinéma, il suit des cours de réalisation. Il joue aux côtés des membres de la compagnie avant de se consacrer à l’écriture de ses premières pièces : And The Day Never Came (1999), The Murmuring Tales (2000). Avec Dance On Glasses (2001), il acquiert une notoriété internationale.
Entretien (Extrait*)
Votre approche dramatique développe une tension qui joue sur le trouble émotionnel et le décalage temporel comme si les mises en abîme permettaient d’y voir plus clair ?
Ce qui caractérise ma démarche, c’est peut-être que je ne m’attache pas proprement à ce qui se passe je préfère travailler sur les nuances. Dépasser les faits permet d’accéder à quelque chose de plus profond. Ce qui a lieu sur la scène doit amener le public à voir et entendre autre chose. Le point de départ de mon théâtre est intime. Il est lié à une séparation amoureuse qui a été très douloureuse pour moi. Aujourd’hui je suis remis. Quant au temps, cela reste un phénomène abstrait. Nous éprouvons le besoin de signes. Aujourd’hui mes pièces sont jouées en permanence. Et comme elles correspondent à des périodes marquantes de mon existence, je me trouve en confrontation avec mon réel, face à la responsabilité difficile d’avoir à choisir entre ce que je dois figer et ce que je laisse évoluer.
Votre pratique artistique semble se situer dans la postmodernité, sans insolence, vous bousculez les formes classiques de la représentation occidentale…
Les pièce ne sont pas des archives, elles correspondent à ce que vous en faite. Au départ, je n’arrive pas avec un texte écrit. J’écris et on répète en même temps. Le processus s’apparente à un rêve, une représentation de l’imaginaire qui prend vie sur scène. Les comédiens apportent leur part et les choses se transforment. Le texte est un moyen d’exprimer de reprendre là où les choses se sont arrêtées. Je m’intéresse beaucoup aux pièces réécrites. Time lost est un retour sur ma pièce Dance On Glasses. J’ai travaillé sur la réécriture d’Ivanov de Tchekhov et je m’intéresse au roman de Kamel Daoud Meursault contre-enquête qui est un contre-point de l’Etranger.
Dans votre oeuvre l’individu s’affirme à travers le conflit, intime ou collectif l’entendez-vous comme une inscription politique ?
Plus on traite de l’individu, plus notre approche est politique. Il ne faut pas parler des politiques pour parler de la politique. Au contraire c’est en s’intéressant aux individus que l’on entre vraiment dans le sujet. Il suffit de voir se qui se passe et de mesurer les similitudes des crises que traversent les peuples dans de nombreux pays qui se croyaient loin les uns des autres. Le monde humain doit s’intéresser au tréfonds de chaque individu pour atteindre la dimension politique qui est aujourd’hui mondiale.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Summerless
Une directrice d’école décide de rafraîchir les locaux de son établissement pour justifier la hausse du tarif des inscriptions. Son objectif : faire recouvrir les slogans et maximes révolutionnaires qui ornent les murs de la cour depuis plus de vingt ans et les remplacer par des peintures plus actuelles. Après avoir blanchi les murs, le peintre a deux mois pour terminer son ouvrage. Mais le travail traîne, l’argent manque et le peintre prend son temps. Chaque jour, une heure avant la sortie de l’école, une mère vient s’asseoir sur le tourniquet de la cour, attendant que la cloche sonne. S’engage alors une conversation qui se prolonge jour après jour.
Troisième volet de la trilogie « Time trilogy », Summerless interroge – à l’image des murs de cette école construits comme un palimpseste – l’histoire révolutionnaire d’un pays, où le présent, symptôme d’un passé recouvert, tente d’écrire son histoire. En repoussant l’attendu d’une portée immédiatement politique, Amir Reza Koohestani propose le détour par la fable, pour nous amener « là où l’impact de la politique sur les aspects les plus privés et intimes de la vie n’en est que plus effarant ».
Au Théâtre de La Vignette à Montpellier. Jeudi 23 janvier 2020 / 20:00 Vendredi 24 janvier 2020 / 19:15
* Extrait d’un entretien recueilli dans le cadre du colloque international qui s’est tenu en mars dernier à l’Université Paul-Valéry de Montpellier L’Iran d’aujourd’hui, en novembre 2016.