Point de vue

Zaha Hassan *

La semaine dernière, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a ressuscité sa promesse électorale d’avril dernier d’annexer toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et dans la vallée du Jourdain en cas de victoire du Likoud aux élections législatives prévues le 17 septembre. « Avec l’aide de Dieu, nous allons faire valoir la souveraineté juive sur l’ensemble des communautés, au titre de la terre (biblique) d’Israël, et au titre de l’État d’Israël », a-t-il déclaré lors d’un discours en Cisjordanie occupée.

La substitution du terme « souveraineté juive » à celui de « souveraineté israélienne » et sa référence à « la terre d’Israël » étaient délibérées : Netanyahu tente ainsi de normaliser l’idée que les Juifs vivant n’importe où dans le monde détiennent une sorte de supranationalité qui l’emporte sur l’indigénéité palestinienne des deux côtés de la « ligne verte » de 1967.

Cette idée erronée selon laquelle les citoyens juifs d’autres États doivent allégeance à « la terre d’Israël » ne semble pas problématique pour Netanyahu dès lors qu’elle est au service de sa réélection : les justifications sécuritaires de l’emprise d’Israël sur les territoires palestiniens occupés étant moins à la mode – bien qu’il ait aussi eu recours à ce prétexte –, il préfère s’appuyer sur une interprétation étriquée des écritures judéo-chrétiennes pour conduire les partis nationalistes-religieux à soutenir le Likoud. Les propos électoralistes de Netanyahu s’inscrivent dans la continuité de l’adoption, le 9 juillet 2018 par la Knesset, de la Loi fondamentale définissant Israël comme « l’État-nation du peuple juif ». L’idée que les Juifs ont le droit exclusif d’exercer leur autodétermination dans la zone géographique située entre le Jourdain et la mer Méditerranée – ou tout autre lieu sur lequel Israël a étendu sa souveraineté – est ainsi constitutionnalisée.

Complicité

Par ailleurs, tout nouveau gouvernement israélien est fortement incité à annexer les 60 % de la Cisjordanie contrôlés par l’entreprise de colonisation israélienne tant que l’administration Trump est au pouvoir, tant cette dernière s’est montrée jusqu’à présent docile – sinon complice – à l’égard des prétentions israéliennes. Le déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem en mai 2018 et la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan occupé en mars dernier en témoignent.

Et l’annonce surprise, la semaine dernière, du départ de Jason Greenblatt, conseiller spécial de Donald Trump pour le processus de paix au Moyen-Orient, ne devrait pas changer cette trajectoire. Si l’on se souvient un jour de Greenblatt, ce sera pour son discours du 23 juillet dernier au Conseil de sécurité des Nations unies, dans lequel il assimilait le droit international et les « centaines de résolutions des Nations unies » sur la paix israélo-palestinienne aux « roulements de tambours permanents d’une rhétorique éculée. » Et sur l’épineuse question de Jérusalem, il reprit à son compte les vues de Netanyahu en affirmant qu’« aucun consensus international, aucune interprétation du droit international ne persuadera les États-Unis ou Israël qu’une ville où les Juifs ont vécu et qu’ils adorent depuis presque 3 000 ans (…) n’est pas– aujourd’hui et pour l’éternité – la capitale d’Israël ».

L’ambassadeur des États-Unis en Israël, David Friedman, et le secrétaire d’État Mike Pompeo ont également été guidés par les écritures bibliques dans leur définition des priorités politiques de Washington pour Israël et la Palestine. Au printemps dernier, Pompeo a rompu avec une coutume pluridécennale en devenant le premier haut responsable américain à visiter le mur des Lamentations avec un Premier ministre israélien. Au cours de ce voyage, Pompeo a notamment déclaré, dans une interview accordée à la chaîne Christian Broadcasting Network, que sa « mission » au département d’État était « éclairée par (sa) compréhension de (sa) foi ». Et lorsqu’on lui demanda si Dieu avait envoyé Trump pour protéger le peuple juif de l’Iran, comme la reine Esther dans la Bible, il répondit que cela était « possible ».

 

Immixtion de la foi judéo-chrétienne

Pour autant, aussi dangereuse pour les perspectives de paix que soit cette immixtion de la foi judéo-chrétienne dans la politique officielle des États-Unis au Moyen-Orient et le conflit israélo-palestinien, l’Autorité palestinienne (AP) s’est davantage préoccupée de trouver des réponses appropriées aux coupes budgétaires américaines et à la rétention par Israël des recettes fiscales palestiniennes. Les pourparlers de paix parrainés par les États-Unis ont été ainsi été abandonnés au profit de stratégies visant à séparer la Cisjordanie d’Israël et à mettre fin à la dépendance économique palestinienne vis-à-vis des Israéliens et du cadre des accords d’Oslo.

En juillet dernier, le président Mahmoud Abbas a annoncé que l’Autorité avait l’intention de suspendre tous les accords avec Israël. Un comité composé de dirigeants de diverses factions politiques s’est réuni pour examiner les implications juridiques, économiques et politiques de cette séparation. Sur le plan économique, l’AP a déjà mis fin en mars aux transferts de patients palestiniens vers les hôpitaux israéliens, qui reçoivent environ 100 millions de dollars par an en remboursements de sa part. D’autres initiatives ont aussi été mises en œuvre, dont la fin de la reconnaissance de l’autorité israélienne dans les parties de la Cisjordanie désignées comme la zone C, sur laquelle Israël exerce un contrôle administratif et sécuritaire total en vertu des accords d’Oslo II, et la revendication de la souveraineté palestinienne sur toute la Cisjordanie occupée. Cependant, les effets pratiques de cette décision demeurent incertains, comme en témoigne l’incapacité de l’AP à empêcher, en juillet dernier, les démolitions israéliennes à Wadi al-Hummus, un quartier de Jérusalem censé être sous son autorité administrative et sécuritaire selon les accords d’Oslo.

Il incombera à la prochaine administration américaine d’essayer de trouver un moyen de réparer les dégâts causés par la dérive religieuse du conflit israélo-palestinien ou l’extension potentielle de la souveraineté israélienne sur des millions de Palestiniens privés de leurs droits.

S’il y a quelque chose de bon dans la situation actuelle, c’est la clarté absolue du choix moral qu’elle impliquera : soit les États-Unis reconnaîtront la conquête comme un moyen légal pour les États d’étendre leurs frontières, soit ils devront respecter la légalité internationale et l’État de droit. Espérons que pour la prochaine administration, la réponse à ce dilemme ne se résumera pas à une interprétation biblique.

Ce texte publié dans L’Orient Le Jour est aussi disponible en anglais et en arabe sur Diwan, le blog du Carnegie Middle East Center.

Zaha Hassan

* Avocate spécialisée dans les droits de l’homme et chercheuse invitée au programme Moyen-Orient du Carnegie Endowment for International Peace.