Mercredi 10 juillet à Fraïsse-sur-Agoût, petite commune rurale des Hauts Cantons de l’Hérault, une bonne cinquantaine de personnes se sont rassemblées pour exprimer leur désarroi, leur stupéfaction, leur déception, leur incompréhension, face à l’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) dont est l’objet leur famille de migrants.

Sous les grands platanes de la place on a hissé la banderole pour que tout passant voie et sache. Sur la porte de l’appartement, on a accroché des photos, des souvenirs, témoignant de toute la vie, l’affection, les échanges, tissés au fil des mois entre les habitants et la famille en attente de régularisation.

Une volonté communale

Pourtant, on y croyait de tout coeur. Le maire le tout premier, qui, au nom de son conseil municipal, accueille pendant l’été 2018, cette mère et ses deux jeunes enfants, dix ans et quatorze ans, qui a fui l’Albanie pour violences conjugales. Hébergés jusque-là dans une famille de Coustorgues, ils occupent désormais un logement communal. Le plus jeune est scolarisé à l’école du village. L’aîné est inscrit au collège du Jaur à Saint-Pons de Thomières. C’est une famille irréprochable. Très vite, les associations viennent au secours de cette famille, organisent la vie, soutiennent selon leurs moyens.

On y croyait d’autant plus que le discours présidentiel français s’avance sur un projet de loi : face au chiffre de 74 femmes assassinées par leur conjoint depuis le premier janvier 2019, le président Macron reconnaît que la République n’a pas su protéger les victimes : ” la violence qui vous a coûté la vie nous écoeure, nous révolte”.

Or c’est visiblement ce qui attend cette mère de famille si elle retourne dans son pays : mari violent, société patriarcale, familles non soutenantes. Il faut savoir que l’OFRA (Office Français de Protection des Réfugiés Apatrides) dans son Rapport de Mission en République d’Albanie en 2013 précise que l’Albanie a été retirée de la liste des pays d’origine sûrs. Et pour cause, vendettas (kanun), violences conjugales, litiges familiaux et fonciers, réseaux criminels mafieux, créent une insécurité importante dans le pays, aggravée par les violences faites aux femmes, les mariages forcés et les traites d’êtres humains, les familles de reclus. La vendetta est en recrudescence. La situation des femmes est particulièrement préoccupante, puisque leur statut les rend dépositaires de l’honneur familial.

“Les stéréotypes féminins présentent la femme albanaise comme économiquement dépendante, émotive, professionnellement incapable” et, pire encore, “la responsabilité des violences incombe généralement à l’épouse”. Les nombreuses lois adoptées en Albanie depuis 2004 voient leur application problématique. Amnesty International estime dans son Rapport de 2010 qu’une femme albanaise sur trois (une femme sur deux selon le Rapport du Data Centrum Research Institute en 2012) est victime de violences conjugales ou familiales. Il est difficile de connaître le nombre de femmes assassinées par leur conjoint, compte tenu des tabous sociaux dans la sphère privée. Moins d’un quart des femmes dénonce les faits. Presque 60% des enfants quant à eux déclarent avoir subi menaces,coups, et violences.

L’exode

Le douloureux exode de cette famille commence en Grèce, pays voisin de l’Albanie. La maman commence par y faire des ménages dans les hôtels chez différents gérants dont l’une parle italien, comme elle, qui l’a appris plus ou moins bien, à l’école. L’école, les enfants y vont aussi, par périodes.

Mais les difficultés rencontrées dans des situations particulièrement dures la convainquent d’aller plus loin. De plus, sa santé commence à décliner.

Elle opte pour la Grande-Bretagne, apprend l’anglais. L’aîné réussit bien à l’école. Mais la demande de régularisation est rejetée. Le dossier est dit “dubliné”, c’est-à-dire ayant fait l’objet d’un premier rejet dans la Communauté européenne. A l’arrivée en France, c’est encore la cavalcade : un collège ne veut pas de l’aîné, il faut aller plus loin, encore. Scolarité en dents de scie pour les enfants. L’Albanie n’a pas bonne presse en France.

Un village accueille la famille

Heureusement, c’est la ruralité qui va lui donner sa chance. Aurait-on plus de coeur qu’ailleurs dans les campagnes? Toujours est-il que la commune de Fraïsse-sur-Agoût est volontaire pour accueillir des migrants. Monsieur le Maire regrette que le dossier des migrants ne puisse pas être étudié au cas par cas… « Ici à Fraisse, dit-il, le village a une tradition d’accueil. Si on peut aider on aide. L’école a besoin d’élèves. Il est possible de trouver des petits boulots, pas toujours bien payés, saisonniers, mais pour des gens qui en veulent comme cette famille… avec un peu de solidarité… Oui c’est une famille sans problème et qui a sa place ici.»

Le miracle a lieu. La famille est intégrée. Sandrine offre de fédérer les bonnes volontés. Un groupe ouvre un petit compte à l’épicerie du village, une artiste accueille l’aîné en stage de dessin, des familles s’ouvrent et des enfants se rencontrent, jouent, rient. On fête Noël chez Nadia et le nouvel an chez Myriam, qui donne des cours de Français aà la maman. Marie et Claude proposent leur jardin potager et des cours aussi. Claude, Delphine, font le co-voiturage. Sylvie offre un portable. On peint et meuble le logement, offre quelques gâteries. On propose de créer un atelier couture de doudous avec la maman. Une promesse d’embauche voit le jour, promesse d’autonomie pour elle. L’espoir naît. On sait que la régularisation pourra intervenir au bout des trois ans de scolarité des enfants. Mars 2020. On en rêve comme du Père Noël. On parle au futur. Du futur de l’aîné, quand il sera architecte.

L’Obligation de Quitter le Territoire, euphémisme pour Expulsion immédiate, exécutoire ce 10 juillet, glace ce matin-là le sang de tous ces habitants de Fraïsse-sur-Agoût. Ils constatent d’abord que leur famille de migrants a disparu. Que l’histoire est finie. Que tous ces liens tissés, ces partages ont fait d’eux des êtres plus riches, plus heureux. Mais qu’une volonté implacable en a décidé autrement pour la famille et l’avenir des enfants. Alors ils décident de se battre. D’y croire.

L’intégration a été réussie. La réussite est une preuve irréfutable. Leur volonté est inébranlable. Oui, cette famille a sa place dans le village. Ils entendent le faire savoir.

Comité de soutien contact 06 30 72 83 91 Mairie de FraÏsse-sur-Agoût 04 67 97 61 14

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