Avec l’aimable autorisation de la journaliste Blandine Lavignon et du journal Orient XXI nous publions aujourd’hui l’article « Égypte. L’excroissance irrésistible de l’appareil policier » qui analyse la » policiarisation » de la société égyptienne.
En ces temps de crise globale du capitalisme post-industriel il s’agit de garder les yeux bien ouverts, tant sur la répression intolérable dont sont victimes les peuples voisins — En Égypte grâce au leg de matériel sécuritaire et militaire français — que sur la mutation progressive de notre société en proie à une surenchère sécuritaire et technologique.
Celle-ci se traduit par la multiplication des mesures d’exceptions qui a débuté bien avant l’arrivée du covid-19. Sans en faire l’inventaire, on peut citer : le maillage policier sur tout le territoire, le passage d’un balisage strict à l’interdiction des manifestations de rue — et aujourd’hui des meetings publics — le contrôle croissant des réseaux sociaux, les violences commises et les mises en garde à vue des journalistes de terrain, le décuplement des moyens de persuasion, dissuasion et propagande pour agir sur l’opinion selon les règles de la guerre psychologique, l’interdiction des rassemblements, la distanciation, la séparation, le confinement, l’instauration de couvre-feux et la sous-traitance de la surveillance aux chasseurs dans certaines communes… L’ensemble de ces mesures est toujours justifié comme une nécessité de faire face à la menace terroriste ou à celle d’un virus à mettre sous la tutelle d’un ordre martial.
À l’heure où notre président évoque le retour des jours heureux en même temps qu’il fait étudier les possibilités de traçage individuel, il importe de garder à l’esprit que toutes ces déstabilisations de l’apparente quiétude démocratique se sont soldées par un recul des libertés individuelles. L’ampleur du mal ne fixe aucune limite à l’usage des moyens hors normes que déploie le pouvoir. Le fait est que le gouvernement exerce dans le cadre du plan d’urgence sanitaire une mainmise totale sur l’ordre social et politique.
Dans un entretien édifiant récemment publié par Médiapart, l’historien Patrick Boucheron conseille de s’atteler à l’exercice d’une « auto-chronologie de l’épidémie » en comparant la chronique des informations disponibles avec l’histoire de notre prise de conscience réelle de ce qui se passe. Il évoque aussi : « Le monstre étatique du Léviathan, littéralement rempli de la peur qu’il inspire » et nous interroge : « Que va-t-on faire si, pour sortir, il nous faut télécharger une application gouvernementale retraçant tous nos déplacements ? J’ai bien peur que l’on ne connaisse déjà la réponse. Si l’on nous propose de sortir, mais diminués et contrôlés, tout porte à croire ou à craindre que l’on consentira à sortir diminués et contrôlés ».
Non, nous ne sommes pas en Égypte, nous baignons telles des grenouilles dans une casserole où l’eau chauffe à petit feu.
JMDH