Partie de Montpellier, une initiative collective rassemble 343 femmes et associations féministes pour déposer plainte contre Brigitte Macron pour injure publique. En s’unissant au-delà des territoires et des structures, elles entendent opposer une force politique et symbolique à une parole de pouvoir qui méprise les féministes — et, ce faisant, la condition même des femmes.


 

L’impulsion vient de Montpellier. De là où Les Tricoteuses hystériques1, association féministe fondée et présidée par Vigdis Morisse Herrera, ont décidé que l’insulte ne passerait plus. Le 7 décembre 2025, des propos publics tenus par Brigitte Macron à l’encontre de militantes féministes déclenchent une réponse inédite : une plainte collective pour injure publique, déposée directement auprès du juge d’instruction du Tribunal judiciaire de Paris.

Très vite, l’initiative locale devient nationale. Autour des Tricoteuses hystériques, deux autres structures s’associent — 3égales3 et MeTooMedia — et 343 femmes se déclarent collectivement et individuellement atteintes. Un chiffre qui n’a rien d’anodin : il renvoie au Manifeste des 343 de 19712 et inscrit cette action dans une continuité historique des luttes féministes. Hier, l’avortement clandestin ; aujourd’hui, le mépris public et la disqualification des militantes.

Pour la fondatrice des Tricoteuses hystériques, Vigdis Morisse Herrera, cette plainte est d’abord une réponse vitale à une violence symbolique qui a des conséquences bien réelles. « Je refuse que les mots de Brigitte Macron contribuent à terrer des victimes dans le silence, j’en connais trop bien les conséquences », affirme-t-elle. Son propos fait le lien entre l’injure publique et ses effets politiques : décourager la parole, renforcer la peur — « car ce sont les femmes qui ont peur » — et maintenir l’ordre établi. À l’inverse, elle rappelle une certitude forgée par l’expérience militante : « La parole des victimes fait trembler les agresseurs. »

Cette cohérence entre principes et pratiques est également au cœur de l’engagement de Maryne Bruneau, experte en égalité femmes-hommes. Habituée à accompagner collectivités et entreprises vers la tolérance zéro face aux violences sexistes et sexuelles, elle pointe une « non-réciprocité manifeste » de la part de la Première dame. « Cette plainte vise à montrer la cohérence avec ce que je prône au quotidien. Refusons le stigmate de l’injure ! » Son témoignage relie la scène médiatique au terrain professionnel, où les mots comptent et structurent les comportements.

Pour Nathalie Azuara, présidente de 3égales3 et elle-même victime de violences, l’enjeu est encore plus profond : il s’agit de combattre la victimisation secondaire, cette violence institutionnelle qui affaiblit celles qui parlent. Elle analyse la posture de Brigitte Macron comme une atteinte directe à la reconnaissance des victimes : « Cette victimisation secondaire est une violence envers les victimes car elle vise à les affaiblir et constitue une atteinte grave à la libération de leur parole. » La plainte devient alors un outil pour nommer, dénoncer et bannir ces mécanismes trop répandus.

Élodie Jauneau, historienne et vice-présidente de MeTooMedia, inscrit l’affaire dans une lecture politique plus large. « Cette insulte au plus haut sommet de l’État est le témoignage d’un backlash insupportable qui musèle et méprise nos luttes passées, présentes et à venir. » En quelques mots, elle relie l’injure individuelle à un mouvement de recul collectif, où la parole féministe est attaquée précisément parce qu’elle a gagné en visibilité et en puissance.

Au-delà de la procédure judiciaire, les 343 injuriées portent une exigence claire : des moyens concrets, immédiats et à la hauteur pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants, et la fin de l’impunité en matière de violences sexistes et sexuelles. Elles rappellent que l’insulte sexiste n’est ni une anecdote ni une opinion, mais une atteinte à la dignité humaine, qui nourrit un climat de banalisation des violences.

Face au pouvoir d’influence considérable de la Première dame — pouvoir d’autant plus problématique lorsqu’il se retourne contre les féministes et, paradoxalement, contre sa propre condition de femme —, cette action groupée fait contrepoids. Elle montre que l’autorité symbolique n’est pas l’apanage des sommets de l’État : elle se construit aussi dans la solidarité, la détermination et le nombre.

De Montpellier à Paris, des associations aux individus, les 343 injuriées affirment une même conviction : ensemble, les femmes sont plus fortes. Ensemble, elles peuvent transformer l’insulte en levier politique, la colère en action, et la mémoire des luttes en avenir partagé. Déterminées, elles rappellent que c’est dans le collectif que se forge la force de résister — et d’avancer.

Jean-Marie Dinh

Photo. À Montpellier les Tricoteuses hystériques rendent visible l’injure publique. Crédit photo Les Tricoteuses hystériques

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Notes:

  1. Les Tricoteuses hystériques ont été fondées à la suite du procès des violeurs de Gisèle Pélicot, communément appelé procès de Mazan. Ce procès a mis en lumière, au‑delà de l’horreur des faits, la victimisation secondaire subie par les victimes de violences sexuelles : disqualification de la parole, violences institutionnelles, propos sexistes et méprisants dans l’espace judiciaire et médiatique. Depuis leur création, Les Tricoteuses hystériques mènent des actions publiques de visibilité, d’alerte et de soutien aux victimes, notamment à travers des collages et installations symboliques dans l’espace public, afin de rappeler que les violences faites aux femmes et aux enfants ne sont ni des faits divers ni des affaires privées.
  2. Les années 70 sont marquées par un renouveau des combats féministes : plus radicales, les militantes réclament en priorité le droit à l’avortement. Le 5 avril 1971, en accord avec de nombreuses signataires du MLF, Le Nouvel Observateur publie un manifeste par lequel 343 personnalités et inconnues déclarent publiquement avoir eu recours à l’avortement, s’exposant ainsi à des poursuites judiciaires. Ce manifeste marque une étape majeure dans la mobilisation qui conduira à la promulgation de la loi Veil de 1975 et à la dépénalisation de l’avortement. (Sylvie Chaperon, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse Jean Jaurès, membre sénior de l’Institut universitaire de France)
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.