À Orange, bastion historique de l’extrême droite, un procès pour emploi fictif met aux prises deux figures longtemps alliées : le maire Yann Bompard et la députée RN Marie-France Lorho. Sur fond de rivalités personnelles, d’héritage familial et de soupçons de détournement de fonds publics, ce combat fratricide fragilise la dynastie Bompard et offre une fenêtre inédite à une opposition jusqu’ici marginalisée dans une ville devenue, à l’échelle nationale, une vitrine embarrassante de la gestion d’extrême droite.
L’audience s’ouvre comme un symbole. Du 17 au 19 décembre 2025, la sixième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Marseille juge une affaire d’emploi fictif d’assistant parlementaire qui éclabousse le sommet du pouvoir municipal d’Orange. Sur le banc des prévenus : Yann Bompard, maire Ligue du Sud de la ville, et Marie-France Lorho, députée Rassemblement national de la 4e circonscription du Vaucluse. Deux trajectoires longtemps imbriquées, aujourd’hui opposées frontalement.
Il est reproché à la parlementaire d’avoir employé fictivement Yann Bompard entre novembre 2021 et février 2023, pour un préjudice estimé par l’Assemblée nationale à près de 75 000 euros. Le maire d’Orange est poursuivi pour recel à hauteur d’environ 43 000 euros. Plus grave encore politiquement : Marie-France Lorho est également mise en cause pour subornation de témoin, des écoutes téléphoniques laissant entendre des pressions pour dissimuler la réalité de cet emploi.
Au-delà des faits judiciaires, c’est toute une histoire de pouvoir local qui se fissure. Orange est gouvernée depuis près de trente ans par Jacques Bompard, figure tutélaire de l’extrême droite locale, contraint en 2021 de céder son fauteuil à son fils Yann après une condamnation assortie d’inéligibilité. Une succession dynastique assumée, mais jamais totalement consolidée. L’affaire actuelle révèle les failles de cet héritage et la difficulté pour la Ligue du Sud de survivre sans son fondateur.
Le calendrier judiciaire ajoute à la tension. À quelques mois des municipales de 2026, le procès agit comme un accélérateur de divisions. Marie-France Lorho, désormais numéro deux sur une liste RN concurrente, affronte politiquement le clan Bompard. Les accusations de « trahison » fusent, exposant au grand jour les luttes d’ego et de territoire au sein de l’extrême droite vauclusienne. Ce duel fratricide brouille l’image d’un camp qui prétend incarner l’ordre et la morale publique.
Dans ce contexte, la question de l’inéligibilité devient centrale. Si le tribunal devait prononcer de telles peines, l’ère Bompard pourrait s’interrompre brutalement. Un scénario qui ouvrirait un champ des possibles inédit dans une ville d’environ 30 000 habitants, souvent citée comme laboratoire et vitrine nationale de la gestion municipale d’extrême droite. Une vitrine aujourd’hui ternie par les affaires, les querelles internes et une gouvernance jugée clanique.
Cette fragilisation crée des opportunités pour l’opposition, de gauche comme du centre, jusqu’ici étouffée par la domination de l’extrême droite. En dénonçant à la fois les soupçons de détournement de fonds publics et la logique dynastique, elle peut espérer incarner une alternative crédible, notamment auprès d’un électorat lassé des scandales et des règlements de comptes familiaux. À Orange, le procès dépasse donc largement le prétoire : il pourrait rebattre les cartes d’un paysage politique figé depuis des décennies.
Avec AFP
Photo. Le théâtre Antique d’Orange verra-t-il la chute de l’empire Bombard ?







