Un artiste singulier et modeste, des dessins foisonnants, et une quête sans fin de l’inattendu : Bernard Palacios, artiste aux mille vies, expose ses œuvres à Saint-Laurent-Le-Minier dans le Gard. Plongée intime dans l’univers ludique et sensible d’un créateur inclassable.
À Saint-Laurent-Le-Minier, Le « Bonheur des Ânes » ouvre officiellement le samedi 23 août avec le vernissage d’un fameux voisin, Bernard Palacios. Ce qui donne envie d’y faire un tour. Cet homme est connu dans le village, et bien au-delà, en tant que réalisateur de films d’animation. C’est aussi un auteur et le directeur du Festival Dans les étoiles. La première exposition d’« Au bonheur des Ânes »* sera consacrée à ses dessins.
« Je vois des trucs. J’ai toujours griffonné des machins comme ça. J’ai des milliers de dessins, des dessins pour rien », affirme Bernard Palacios. Un peu comme s’il cherchait, dans l’harmonie et le chaos complexe du monde, à faire émerger une touche qui manquerait au grand tout, une touche pour rien.
Quand on le questionne sur sa pratique, il précise : « J’ai un petit atelier avec une table sur laquelle il y a un morceau de bois et de la peinture. Il y a toujours du matériel prêt à l’emploi. Quand je me suis remis au vélo, je l’avais toujours sous les yeux. Je m’en servais dès que je sortais. Depuis que je l’ai rangé, je l’ai oublié, et je ne fais plus de vélo. Dans mon atelier, le matériel m’attend, comme ça, quand ça me pique, je prends mes outils et je fais des “tortillis”. Le début, c’est toujours n’importe quoi. Si je me dis : “je vais faire ça”, ça ne marche jamais. Alors, je ne me concentre pas, je me livre à l’inconnu, au hasard, à la surprise, l’inattendu me commande. »
De cette vacuité découle un ordonnancement naturel qui pousse l’artiste à observer les moindres détails. La forme d’une pliure sur le papier, la ligne de craquellement d’un morceau de bois, le contour d’une tache d’humidité sont autant de pistes potentielles à suivre. « Je regarde et, tout d’un coup, je vois un vague truc qui se distingue et j’essaie de le faire monter, un peu à la manière du procédé des Polaroïds. Parfois ça marche, et des fois ça ne marche pas, alors je barbouille de nouveau, et il apparaît autre chose. »

« Quand je gratte, je me sens proche de nos ancêtres »
Étape par étape, en se laissant guider par son intuition et son sens de l’observation, Bernard Palacios parvient à discerner, fondre, puis à créer des moments ou des restes de la grande Histoire. Les êtres qui peuplent son univers portent les traces de cultures multiples, parfois très lointaines. « J’aime les choses vraies. Parfois, quand je gratte, je me sens proche de nos ancêtres qui suivaient la roche et fixaient des scènes de leur quotidien sur les parois des cavernes, en utilisant différents matériaux, y compris organiques. »
À ce propos, on peut lire son texte intitulé L’invention du dessin. L’artiste y relate un moment de sa petite enfance où, avec son frère Lucien, ils laissaient des virgules de caca sur les murs des toilettes de leur vieille maison. Un jour, son frère lui montre les traces qu’il vient de laisser avec ce commentaire : « J’ai fait un éléphant ! » C’est vrai, on voit la trompe, les pattes, les oreilles, s’émerveille Bernard. On peut donc faire des formes qui représentent quelque chose en faisant des traces sur les murs, découvre l’artiste en herbe…
Formé à Annecy, Bernard Palacios a enseigné l’Art déco à l’école des Beaux-Arts de Grenoble. Il intervient au sein de l’école de cinéma d’animation La Poudrière, à Valence, et accueille de jeunes réalisateurs en résidence à Saint-Laurent-Le-Minier. « Je ne suis pas grand-chose. Ce que je fais ne me constitue pas un bagage », prétend-t-il. Aujourd’hui, les jeunes réalisateurs de films d’animation que je côtoie sont beaucoup plus forts que moi en dessin. Ils font des choses superbes et ils me disent qu’ils aiment beaucoup mes dessins. Des fois, je me demande : pourquoi je fais tout ça ? Pour parler des choses de la vie… Qu’est-ce que je cherche ? Je n’en sais rien. Cela relève peut-être d’un rapport à la foi. Oui, mais à la foi en quoi ? Le nœud de la peinture est peut-être de ne pas savoir. Je ne cherche pas une manière de peindre. Je suis déplacé. »

À l’enseigne de l’intime et de la relation
L’exposition rassemble près de deux cents dessins, inventions saisissantes de toutes sortes : sur bois, papier, sac-poubelle. Les quatre murs de l’atelier proposent un champ de vision vertigineux de formes et de couleurs. Dans le petit espace, qui regroupe une large sélection de ses dessins, émerge un monde de créatures qui nous transportent au pays de l’enfance.
Seul vrai pays, selon Roland Barthes, qui pointait l’importance fondatrice du lieu, berceau et réceptacle des premières expériences sensibles de tout sujet. Un pays dans lequel Bernard Palacios s’épanouit pleinement et fait éclore un univers rassurant où se déploie, sans hiérarchie, une galerie de personnages captivants. Tout est à l’enseigne de l’intime et de la relation, exécutée avec fraîcheur. L’humour évident de l’artiste se double d’une mystérieuse résonance.
En amoureux du grand tout, Miró disait : « Si vous avez une idée de l’endroit où vous allez, vous n’irez nulle part. » En incurable rêveur, Bernard Palacios fixe les veines du plafond de sa chambre et trouve l’inspiration en passant à travers les murs.
Fermez les yeux et laissez-vous emporter dans l’univers onirique de Bernard Palacios : c’est un peu comme retrouver son enfant intérieur. Les formes audacieuses et les couleurs vibrantes cachent une simplicité qui invite à laisser libre cours à son imagination. Étrange sensation de liberté retrouvée : et voilà que notre pelage d’âne rend notre bonheur visible.
Jean-Marie Dinh
Vernissage : samedi 23 août à 18h00 – 4 rue Cap de Ville, 30440 Saint-Laurent-Le-Minier – 06 03 52 77 38.
📖 Samedi 30 août Lecture de morceaux choisis dans l’œuvre de Bernard Palacios
* À quoi ressemble le Bonheur des Ânes ?

Parfois, un galeriste de goût peut rejeter une œuvre de qualité pour une raison mercantile. Ce ne sera pas le cas chez Monique Scheigam, qui a abandonné l’idée de galerie pour ouvrir un espace autrement plus vivant à Saint-Laurent-Le-Minier. Alors qu’elle cherchait à lui donner un nom, un voisin attentif à son embarras passe devant chez elle. « T’embête pas, lui dit-il, j’ai une idée. » Une paire d’heures plus tard, il est de retour avec un petit tableau où figure un animal qui semble heureux et paisible. L’idée s’est ainsi transformée en œuvre, intitulée « Au bonheur des Ânes ». Le lieu, destiné à accueillir des rencontres, des lectures, des expositions et des musiciens a trouvé son nom. Ce bonheur n’est pas celui de l’âne mystique des nativités du Quattrocento; à bien y regarder, il s’alignerait plutôt sur le bonheur, non citadin, des moissonneurs de Bruegel. Par contraste avec les galeries, on peut se dire qu’on portera ici une attention véritable à autrui — qualité non moins indispensable que l’intelligence, et qui devient rare dans le milieu de l’art.