Tourné au Sénégal en raison de la situation pour le moins tendue au Mali, le nouveau film de Robert Guédiguian Twist à Bamako, qui sort cette semaine, raconte une expérience socialiste dans le Mali du début des années 1960, sur fond de twist et de rock’n’roll.
La musique dite “occidentale” y représente le plaisir, la sensualité, une certaine aspiration de la jeunesse à s’échapper des cadres traditionnels. Preuve, une nouvelle fois, que le cinéma “social” ou “politique” du réalisateur est tout sauf désincarné. Twist à Bamako est comme la bande son d’une époque, entre espérances politiques et insouciance apparente, de musiques qui ont fait vibrer la jeune génération des années 60.
On n’y retrouve pas “la bande à Guédiguian”, soit ses acteurs et actrices fétiches (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, le fils de l’instituteur marseillais qui a tant compté dans sa vie, Anaïs Demoustier), mais des acteurs et actrices africains, et même la chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny.
« Le colonialisme est la négation de l’humanité du colonisé » : la phrase du psychiatre martiniquais Franz Fanon écrite au tableau par Samba, le personnage central du film, semble le signe d’une ère nouvelle. Twist à Bamako montre l’élan collectif des débuts de l’indépendance malienne, l’enthousiasme, certains diraient même le volontarisme. Mais le film, jusque dans son dénouement tragique, interroge aussi ce qui a fait le drame de bien des révolutions du 20e siècle : la tentation autoritaire et bureaucratique qui habite (aussi) les nouveaux pouvoirs. C’est peut-être là, la grande leçon de cette époque et de l’actuelle : nul pouvoir — quelle que soit la couleur dont il se pare ou l’élan initial — ne peut, par principe, en être exempt.
On pourrait penser, dépaysement oblige, qu’on est loin des Contes de l’Estaque, inspirés par ce quartier au charme si particulier situé au nord de Marseille. Et pourtant… Il y a peut-être deux veines chez le cinéaste (voir notamment l’extraordinaire L’armée du crime, sur l’histoire du groupe Manouchian), mais il y a un seul Guédiguian chez lequel l’engagement revendiqué ne rime jamais avec une vision simpliste. Robert Guédiguian explore les contradictions qui sont tout sauf le vernis de la “nuance” revendiquée par des intellectuels macron-compatibles.
L’interrogation qui donne son titre au livre d’entretiens avec le journaliste de Politis, Christophe Kantcheff, Les lendemains chanteront-ils encore ?1 est au cœur de son œuvre depuis des années désormais. On peut y voir une forme de désespoir, le constat attristé de l’absence de transmission des valeurs de solidarité dont témoignent certains de ses précédents films comme Les neiges du Kilimandjaro, ou plus encore, Gloria Mundi. Il s’agit peut-être, au contraire, d’une forme de lucidité qui n’interdit pas au cinéaste de plaider pour la création de ce qu’il appelle « des moments communistes autour de soi en permanence, ou en tout cas le plus possible »2.
J-F.A