La 15e édition du baromètre de la pauvreté Ipsos / Secours populaire montre une fragilisation sociale encore plus étendue. Pour beaucoup, le retour à la normale n’est toujours pas en vue. Elsa et Jonathan témoignent des difficultés à mettre la crise à distance.
Par Olivier Vilain
La fragilisation de tout un pan de la société par la deuxième année de crise sanitaire se reflète dans ce 15e baromètre Ipsos / Secours Populaire de la pauvreté. L’euphorie du déconfinement n’est pas partagée par tous : chômage, précarité du travail, privations et perte de liens sociaux continuent de frapper de très nombreuses personnes.
« Si la crise n’a pas occasionné un basculement d’ensemble de la société (…), elle a fragilisé, sans doute durablement, nombre de ses composantes. (…) Au-delà (…) des personnes déjà fragilisées par leur position précaire, (…) salariées ou indépendantes, la ‘‘déstabilisation des stables’’ aura en toute probabilité lieu, mais de manière différée », dissèque le sociologue Nicolas Duvoux, dans le rapport qu’il a coordonné (La pauvreté démultipliée. Dimensions, processus et réponses, printemps 2021) en tant que président du comité scientifique du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).
Des privations très fortes
Ipsos a interrogé un échantillon représentatif de 1 000 Français de 16 ans et plus par téléphone (du 18 au 23 juin) et, pour la première fois, une seconde enquête, par Internet, auprès de plus de 600 personnes vivant sous le seuil de pauvreté, a aussi été menée aux mêmes dates, en complément. L’avenir, comme celui d’Elsa, est rempli d’incertitudes. Cette saisonnière de la restauration, qui vit à Sarlat (Dordogne), craint « de ne pas pouvoir suffisamment travailler pour avoir droit au chômage partiel » en cas de nouveau confinement, de nouvelle crise ou de tout autre imprévu.
Un Français sur deux connaît au moins une personne dans son entourage, familial ou amical, confrontée à la pauvreté.
Le choc de la crise se jauge par le fait qu’une majorité (55 %) a dans son entourage, familial ou amical, au moins une personne aux prises avec la pauvreté. Une nouvelle illustration de ce que les différentes formes de pauvreté (monétaire, privation matérielle et privation sociale) sont très répandues. Elles touchent 21 % des Français, selon l’Insee (septembre 2021). Globalement, la capacité à boucler son budget a diminué : près d’un tiers de la population (32 %) rencontre désormais des difficultés pour payer son loyer, son emprunt immobilier ou ses charges liées au logement (+7 points). En matière de santé, ils sont 29 % à avoir du mal à disposer d’une mutuelle santé (+8 points). Résultat, plus du tiers (36 %) est toujours embarrassé pour payer les actes médicaux mal remboursés par la Sécurité sociale.
« On sous-estime le plus souvent les efforts de gestion, d’organisation et plus généralement de contrôle de soi que demande la pauvreté – non pas pour s’en sortir, mais simplement pour survivre. »
Denis Colombi, sociologue, Où va l’argent des pauvres (Payot, 2020)
Dès 2020, la longueur des files aux distributions alimentaires des associations avait mis en lumière l’incapacité pour une grande partie de la population de s’alimenter. « Depuis mars 2020, j’ai plus de boulot, plus rien. Je n’ai pas suffisamment fait d’heures de travail pour percevoir le chômage. Le RSA, ça ne suffit pas pour moi et mon fils Ryad », témoigne Jonathan qui s’est séparé de sa compagne après les confinements et qui vit à Périgueux (Dordogne).
En 2020, 25 % des Français expriment des difficultés à payer leur loyer, leur emprunt immobilier ou les charges liées à leur logement (Baromètre IPSOS / Secours populaire 2021).
Ce fardeau a encore augmenté : 32 % ne peuvent pas consommer des fruits et des légumes frais tous les jours (+3 points et +5 points par rapport à 2018) et 30 % sont dans l’impossibilité de se procurer une alimentation saine en quantité suffisante pour faire trois repas par jours (+7 points). La part contrainte de se restreindre sur les quantités continue de monter (27 % ; +2 points) et, désormais, un Français sur cinq est même obligé de sauter des repas (+6 points), en particulier les jeunes (34 % des moins de 35 ans) et les personnes dont le revenu mensuel net du foyer est inférieur à 1 200 euros (39 %). Cela traduit la très forte déstabilisation de ces deux catégories.
Affectés par les cours à distance, la fin des jobs étudiants ou celle des missions d’intérim, un quart des 24-35 ans déclarent vivre dans l’insécurité des découverts bancaires ; 10 points de plus que l’ensemble des Français. Leur vulnérabilité se révèle aussi par la fréquence de leur confrontation à la pauvreté (38 %), contre 35 % pour l’ensemble des Français.
Les jeunes et les plus précaires en 1ère ligne
Pour les Français vivant sous le seuil de pauvreté, se maintenir demande un effort constant face aux privations marquées et l’angoisse permanente du petit imprévu qui suffirait à les faire basculer : 65 % d’entre eux craignent d’avoir à remplacer des lunettes, un ordinateur à réparer ou de perdre son smartphone. De plus, 64 % ne savent plus sur quelles dépenses faire des compromis, car ils ont déjà tout réduit.
65 % des Français déclarent être prêts à s’impliquer personnellement pour aider les personnes en situation de pauvreté.
Que veut dire avoir « déjà tout réduit » ? « Quand on est parent, cela veut dire se priver régulièrement, y compris de nourriture pour ses enfants (62 %), sans parler des vacances, loisirs ou même coiffeur qui sont inaccessibles », précise Amandine Lama, directrice d’études chez Ipsos. La condamnation à cette fragilité de destin interroge d’autant plus que 54 % de ce groupe de personnes interrogées ont de très faibles revenus alors qu’ils sont actifs et que parmi ces actifs, 77 % sont même en Contrat à durée indéterminée.
Si on élargit à nouveau la focale à l’ensemble des Français, près des deux tiers déclarent être disposés à aider les personnes en situation de pauvreté (65 %), dont le seuil est défini par les Français comme étant de 1 175 euros par mois. S’ils s’impliquent, ils pourraient rejoindre les 5 000 nouveaux bénévoles qui ont rejoint le Secours populaire. Un élan nécessaire pour faire face à la fragilisation de la société qu’anticipe le CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale). « Relevons avec tous les Français qui déclarent se sentir solidaires les défis que posent ces inégalités records, afin de permettre un accès aux droits le plus complet possible pour le plus grand nombre », insiste Houria Tareb, secrétaire nationale du Secours populaire. « La réalité de cette précarité doit être rendue visible et ne plus être ignorée ».
Le Secours populaire déploie toute son énergie pour répondre aux différents besoins et à leur accroissement. Ainsi, en 2020 (derniers chiffres connus), il a soutenu 2 millions de personnes sur le plan alimentaire, 200 000 pour les vacances, 80 000 pour l’accès aux soins, 50 000 pour la culture et les loisirs, 33 000 pour le maintien dans le logement, 24 000 sur l’accompagnement scolaire et 7 000 pour l’accompagnement vers l’emploi.
Article partagé avec l’aimable autorisation de La Fédération du Secours Populaire de l’Hérault