Après le vote à l’Assemblée nationale et au Sénat cette semaine, la loi dite de « sécurité globale » continue de susciter l’opposition résolue de nombreuses organisations. Exemple à Marseille où plusieurs d’entre elles appellent à manifester aujourd’hui.


 

Une conférence de presse en plein air en forme de rassemblement, devant la préfecture : c’est le mode d’expression original qu’ont choisi, en préambule à la mobilisation nationale contre la loi « sécurité globale », Ligue des Droits de l’Homme, FSU, Union nationale lycéenne, La Quadrature du Net, Extinction Rébellion, Libre Pensée et Coordination contre le racisme et l’islamophobie. Propos de manifestant.es.

 

Bernard Eynaud (Ligue des Droits de l’Homme)

« La proposition de loi « sécurité globale » marque un tournant historique vers une surveillance généralisée de la population, une remise en cause de la liberté de la presse et de celle d’observer librement l’action publique, l’action des forces de l’ordre. Un tournant dans cette frénésie sécuritaire et cette proposition de loi doit être comprise dans son articulation avec d’autres mesures déjà en vigueur et des lois à venir. Je pense en particulier au nouveau schéma national de maintien de l’ordre qui comporte la stratégie de l’affrontement et entrave le travail des journalistes, aux deux décrets de décembre qui rendent possible un fichage de masse de tous les citoyens engagés, des militants syndicalistes et des militants politiques. Ces fichages sont particulièrement inquiétants, tout, absolument tout peut être indiqué : qui vous fréquentez, vos difficultés, vos maladies, etc. Je pense aussi au projet de loi confortant les principes de la République (la loi « séparatisme ») qui au-delà de la désignation d’un ennemi intérieur (tous les musulmans de France) mettra sous contrôle arbitraire toutes les associations et leurs membres.

C’est un tournant car face aux licenciements, aux inégalités, aux injustices, au racisme, avec la montée du chômage, la précarité, le gouvernement n’a qu’une réponse : la réduction des services publics, les droits et garanties constamment remis en cause. Cette stratégie sécuritaire repose sur la violence sociale, la répression et la violence étatique. C’est un glissement très net vers un régime autoritaire qui se refuse à régler les questions sociales. Depuis le 2 novembre pour certains d’entre nous, depuis plus longtemps pour les plus anciens, nous sommes mobilisés pour combattre ces dérives sécuritaires, nous serons encore présents dans la rue samedi à 14 heures pour demander le retrait de cette loi. »

 

Eda (La Quadrature du Net)

« On est là pour maintenir la pression car la loi « sécurité globale » a été réécrite pour la forme mais dans le fond, elle est toujours liberticide. On maintient la pression sur les sénateurs et les dirigeants pour qu’ils mettent un coup d’arrêt définitif à ce texte. »

 

Caroline Chevé (secrétaire départementale FSU 13)

« Dans une démocratie, il est évident que l’expression collective structurée et organisée de la contestation de l’opposition sont, non seulement légitimes, mais souhaitables. Une démocratie qui va bien est une démocratie qui fait la place, permet l’expression de l’opposition. On voit qu’avec le contexte des derniers mois on est confrontés à une mise sous tension du mouvement social et ces différentes lois, la loi « sécurité globale en particulier me semble révéler au grand jour que, pour ce gouvernement, l’expression du mouvement social est illégitime (…) À l’opposé, nous considérons que nous avons besoin d’une démocratie qui redonne un peu de souffle au mouvement social parce que c’est ce qui fait sa vitalité. On est très loin aujourd’hui d’avoir une police capable, par exemple, de considérer qu’il est normal d’organiser des manifestations, qu’il est normal d’en assurer la sécurité. Nous sommes confrontés, en tant qu’organisation syndicale, à une organisation de manifestations rendue plus difficile, et pas seulement en raison de la crise sanitaire. Nous tirons aussi la sonnette d’alarme parce que la crise sanitaire, tout le monde le sait, est en train de déclencher une crise économique et sociale qui va être un véritable raz-de-marée. Dans ce cadre là, il est indispensable que la démocratie puisse assurer des formes constructives, dynamiques d’expression des mécontentements alors que ce gouvernement est en train de se mettre à l’abri de l’expression des plus démunis, des plus fragiles, de ceux qui souffrent le plus. »

 

Mounjid (Coordination contre le racisme et l’islamophobie)

« Dans les deux lois, des articles qui jugent sur des intentions et pas sur des faits (…) Soyons tous conscients que loi contre le « séparatisme » et loi « sécurité globale », c’est la même chose. »

 

Félix (La Quadrature du Net)

« Certains amendements déposés par la droite sénatoriale pour que les visages filmés par les 75 000 caméras de surveillance du territoire puissent être couplés à la reconnaissance facile et analysés ont été repoussés : il faut s’en réjouir. (…) Mais le couplage entre la reconnaissance faciale et et la vidéo-surveillance reste possible pour les caméras piétons portées par les policiers où l’article prévoit qu’elles seront directement liées au centre de commandement pour permettre leur analyse en temps réel (…) Alors que la commission sénatoriale achevait ses travaux la semaine dernière, le gouvernement a adopté un décret autorisant les usages d’algorithmes pour détecter automatiquement le port du masque dans les transports, une des nombreuses applications de la vidéo-surveillance contre laquelle nous nous battons depuis des mois avec la LDH, à travers la campagne ‘techno police ». Cette légalisation d’une expérimentation menée par la RATP l’été dernier est conforme à la stratégie menée par le gouvernement depuis le début : procéder par petites touches pour banaliser ces technologies incompatibles avec les formes de vie démocratiques. C’est la stratégie de la disruption chère à la start-up nation appliquée aux techniques de contrôle policier : on expérimente d’abord, on légalise plus tard. C’est ce qu’on voit avec l’utilisation des drones dont le Conseil d’Etat, suite à des recours déposés par la LDH et La Quadrature du Net a rappelé qu’elle n’avait aucun cadre juridique ».

 

Michel Garin (Libre Pensée)

« Tout l’édifice des libertés démocratiques bâti depuis plus de 200 ans est profondément menacé. La première des libertés est la liberté de conscience, la deuxième est la liberté d’opinion et d’expression, la troisième est la liberté d’association. Les trois libertés fondamentales sont insidieusement remises en cause depuis des années, et très gravement par Emmanuel Macron. Une véritable police de la pensée se met en place comme le montre la campagne délirante contre un pseudo « islamo-gauchisme ». A-t-on encore le droit de manifester aujourd’hui ? La question se pose et pourtant le droit de manifester est la liberté de s’exprimer. La brutalité de l’État contre la jeunesse, les Gilets jaunes, les syndicalistes devient quotidienne. On assiste à une véritable terreur contre la population : on est fichés, encadrés, surveillés, arrêtés, nassés sous n’importe quel prétexte. C’est la lettre de cachet permanente et les Bastille sont pleines (…) 2000 syndicalistes de la CGT, FO, FSU, Solidaires, CNT ont signé un appel pour le retrait et pourtant le pouvoir continue. Nous ne le laisserons pas faire, comme le monde du spectacle le montre aujourd’hui en exigeant la réouverture des lieux de culture. La Libre Pensée exige le retrait des lois « sécurité globale » et « séparatisme », ainsi que l’abandon des décrets du 2 décembre 20201. »

 

Alexandre Georges (Extinction Rébellion)

« Ce qui est important ici, c’est de combattre toutes les dérives autoritaires. La loi « séparatisme » va dans un premier temps attaquer nos concitoyens musulmans, il va falloir la combattre comme la loi « sécurité globale » parce que cette loi va permettre de s’attaquer à tous ceux qui s’opposent à ce système capitaliste qui détruit le vivant et nos libertés. Comme me l’a dit un militant de la LDH, si dans les discours du gouvernement vous remplacez le mot « islamiste » par le mot « juif » ou « judéo-bolchévique », vous retombez finalement dans les années 1930 (…) Tous les mouvements doivent aller à la manifestation du 20 mars parce qu’à terme, on sera tous concernés. Et ça a déjà commencé : les violences policières qui existaient dans les quartiers se sont rabattues sur les Gilets jaunes une fois qu’ils ont commencé à déranger le système. À partir de là, dites-vous tous qu’un jour ils viennent chercher ceux qu’il est facile de venir chercher, et plus tard ils viendront tous nous chercher. Il faut manifester et aussi se mettre à la désobéissance civique qui a un réel impact en plus des manifestations. Il faut chercher d’autres moyens de lutte. Je suis vraiment heureux qu’il y ait autant de mouvements parce que, que ce soit à Extinction Rébellion ou chez l’ensemble des mouvements qui sont ici, on a vraiment une volonté de combattre ce système toxique et liberticide. Ils vont nous opposer une certaine violence, il faudra qu’on soit tous ensemble pour lutter contre ça. »

                                                     Propos recueillis par J-F. Arnichand

Notes:

  1. Extension du domaine du fichage de police. Sont concernés : – le « fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP) » avec le Décret n° 2020-1511 du 2 décembre 2020, – le fichier « Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP) » avec le Décret n° 2020-1510 du 2 décembre 2020 – le fichier « Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP) » avec le Décret n° 2020-1512 du 2 décembre 2020
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"