Munis d’une immense banderole noire de 70 mètres de long, des acteurs de la culture à Martigues, responsables, salariés ou adhérents de la MJC ou fidèles du café associatif Le Rallumeur d’étoiles ont parcouru les rues et les places de deux quartiers historiques de la ville (l’Ile et Ferrières) le dimanche 7 février. Pour réaffirmer que la culture a besoin d’air. Et qu’elle est aussi une bonne part de l’air que nous respirons.
« No culture, no future » proclame un des multiples badges conçus par la MJC de Martigues. Le slogan détournant une formule phare du mouvement punk annonce la couleur. Si la culture était uniquement un truc pour faire joli dans une émission de télé animée par Stéphane Bern, l’homme qui murmure à l’oreille des rois disparus, elle ne vaudrait peut-être pas la peine d’être sauvée et d’organiser périodiquement événements et manifestations à Marseille. Mais si la banderole porte l’inscription percutante « Décidons de l’essentiel, ranimons la culture et que la liberté nous contamine », c’est peut-être qu’elle est bien plus que cela. « Lien social, lien essentiel » dit un autre badge. Si les théâtres et les cinémas n’accueillent plus de public depuis des mois, la MJC de Martigues a relancé certaines de ses activités mais uniquement celles destinées aux plus jeunes et avant 18 heures pour cause de couvre-feu. Elle n’est évidemment pas la seule structure à subir ce sort partout dans le pays où cinémas, théâtres, salles de concerts ont du fermer leurs portes au public. Devant l’incompréhension grandissante des professionnels, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot réfléchit aux modalités de réouverture des musées alors que les galeries n’ont pas été contraintes à la fermeture. Si La liberté guidant le peuple de Delacroix avait un prix, le Louvre serait-il ouvert aujourd’hui ?
« Ce n’est pas un hasard si c’est encore une fois sur la culture que l’on va taper », s’indigne calmement Mike, directeur de la structure.
« c’est le seul levier qu’ont les gens, les citoyens, les habitants, pour apprendre à s’émanciper, à avoir des relations avec les autres et donc de développer un certain esprit critique, une capacité d’analyse, de prendre du recul et de réfléchir. »
« Créer de l’anxiété »
« Les décisions qui sont prises ne sont pas sanitaires , poursuit-il, je ne suis pas médecin mais je ne suis pas suffisamment stupide pour ne pas voir que les décisions prises sont politiques. Elles sont prises dans un seul but : créer de l’anxiété, de la peur, créer de la frustration parce que quand tu es dans cet état d’esprit-là, tu as d’autant plus de mal à prendre du recul et à réfléchir par toi-même. Les gens s’imaginent que l’ambition des gouvernements qui se succèdent à la tête de nos États ont pour ambition de faire des économies. Je crois exactement le contraire : le principe même du capitalisme, c’est que les gouvernements créent des dettes à n’en plus finir et là, grâce à cette crise et avec ce levier de l’interdiction de l’accès à la culture, on est en train de créer une méga dette. »
Aux restrictions imposées à la sociabilité et à la culture qui plombent le présent s’ajouterait la dette dont Christine Lagarde et Bruno Lemaire, entre autres, ne cessent de rappeler la nécessité de la rembourser. Le directeur de la MJC de Martigues en est convaincu : « On est en train d’asservir notre génération, la génération suivante et peut-être celle d’après qui vont devoir rembourser la dette. On est passés d’une république démocratique à une société qui est une entreprise multinationale, avec des ouvriers corvéables à merci. C’est aussi pour ça que nous sommes dans la rue aujourd’hui parce que ça va bien au-delà de la crise que l’on traverse. » Ces questions ne sont certes pas nouvelles reconnaît Mike, mais « on va avoir de plus en plus de mal à faire semblant de ne pas apporter de réponses ».
Le « décidons de l’essentiel », inscrit sur l’immense banderole que l’on reverra en divers points de la ville, c’est peut être cela aussi. Après tout, pourquoi les gouvernants et les médecins seraient-ils seuls à décider de ce qui est essentiel ?
Plusieurs autres actions sont déjà programmées dans les prochains jours avec l’objectif d’aboutir à un événement festif et fédérateur en avril. Avant cela, le dimanche 21 février, la banderole, avec celles et ceux qui la portent, sera au foyer de demandeurs d’asile de la Coudoulière pour une journée à laquelle prendront part la compagnie locale d’art de rue Nickel Chrome et le chanteur HK qui tournera son prochain clip. Sa dernière chanson s’appelle Danser encore1… Tout un programme, même s’il n’est pas électoral.
Morgan G.