Les nouvelles aides annoncées par Bruno Le Maire le 14 Janvier confirment surtout que la pandémie est aussi un prétexte pour aggraver encore les dangers pour la démocratie que constituaient déjà les GAFAM et la financiarisation. Beaucoup plus en France qu’en Allemagne d’une part, beaucoup plus pour les petites entreprises rurales d’autre part. Sous ce prétexte, on assiste à des atteintes aux libertés que l’équipe gouvernante veut gérer sans consulter le Parlement. Tout le monde sur le pont…
Retour sur les nouvelles aides aux entreprises face à la pandémie annoncées par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, le 14 Janvier dernier. Celles-ci concernent une prise en charge des coûts fixes et le renforcement du fond de solidarité.
Les entreprises fermées administrativement de l’hôtellerie-restauration, du tourisme ou encore les salles de sport et firmes dont le chiffre d’affaires est supérieur à douze millions d’euros (un million par mois) et qui sont particulièrement atteintes (Secteurs S1 et S1bis) pourront bénéficier d’une prise en charge allant jusqu’à 70 % des coûts fixes. Cette aide exceptionnelle est plafonnée à 3 millions d’euros sur la période de janvier à juin 2021. Des firmes de ces secteurs dépassant 1 million par mois de CA sont exceptionnellement grandes, donc rares. Il s’agit donc en fait d’un soutien réservé aux plus grandes entreprises de ces secteurs…
Le fonds de solidarité renforcé concerne lui les entreprises du secteur S1 Bis (agroalimentaire, blanchisseries, torréfacteurs…) quelle que soit leur taille. Les entreprises impliquées qui perdent au moins 70 % de leur chiffre d’affaires auront le droit à une indemnisation couvrant 20 % de leur chiffre d’affaires 2019 dans la limite de 200 000 euros par mois.
Conséquence évidente : Les plus petites entreprises ne sont donc pas assistées. Tant pis pour le bistrot du coin et la salle de sport du village.
Que fait l’Allemagne ?
L’enveloppe allemande d’aide exceptionnelle à la Covid-19 atteint 1 200 milliards contre 410 milliards pour la France. L’Allemagne était la championne de l’austérité financière avant la pandémie. C’est aujourd’hui le contraire. Cette aide ne touche pas les impôts de production, puisqu’il n’y en a pas en Allemagne !
Or il s’agit d’un handicap français particulièrement lourd pour les plus petites entreprises. Je ne parle même pas des entreprises cotées en Bourse. Elles disposent de toutes sortes de moyens maintenant légaux1 pour ne pas payer divers Impôts sur le Revenu, grâce à ce qui est pudiquement appelé optimisation fiscale et devrait s’appeler spoliation légale2. Quant aux GAFAM, ces mesures ne troubleront en rien leurs affaires, plus florissantes que jamais. Elles continueront à développer un plus grand pouvoir mondial contre le principe démocratique lui-même.
En Allemagne, la petite entreprise passe maintenant avant l’austérité financière. Allons plus loin : Les aides françaises sont beaucoup plus souvent des garanties de prêts bancaires qui devront un jour être remboursés. Les aides fédérales allemandes sont essentiellement des subventions non remboursables.
Alors que la France défavorise systématiquement les très petites entreprises, l’Allemagne accorde aux entreprises de moins de cinq salariés une prime de 9 000 €. Les régions (Länder) sont libres d’accorder leurs propres subventions s’ajoutant à l’aide fédérale, et elles le font : le Hesse par exemple offre 30 000 € pour trois mois aux firmes de moins de 50 salariés. On voit bien une fois de plus que l’Allemagne favorise les petites et très petites entreprises, alors que la France favorise la grande entreprise, et particulièrement celle qui est cotée en bourse. Comme nous l’avons souvent observé, la France reste beaucoup plus fortement victime de la Financiarisation que l’Allemagne.
Fait considérable mais très peu connu : en Allemagne le Kreditanstalt fut Wiederaufbau (KfW, crédit national du redéveloppement) accorde une garantie souveraine aux entreprises même les plus petites et même aux particuliers, qui rend particulièrement accessibles et confortables les prêts à long terme accordés par la République fédérale. Exactement le contraire de la France, où la Caisse des Dépôts qu’on considère faussement comme l’équivalent du KFW favorise surtout les grandes entreprises, et les banques, en espérant que ces dernières s’occuperont des PME. La Caisse des Dépôts, qui gère au total un peu moins de cinq cent milliards d’actifs, à un champ d’activité beaucoup plus large que le KFW, et en pratique ne finance des entreprises que pour des projets trop importants pour atteindre directement le plus petit entrepreneur.
Redoutable financiarisation
Aider la financiarisation, c’est redoutable. Prétexter de la pandémie pour limiter directement et en permanence les libertés individuelles, cela va plus loin… Laisser les GAFAM s’enrichir hors taxes grâce au confinement en pompant la richesse créée au détriment des citoyens eux-mêmes, encore plus. Et les trois se renforcent mutuellement.
La combinaison des faveurs aux grandes entreprises et des limites aux libertés individuelles dont cette pandémie est le prétexte n’est pas un phénomène uniquement français. On l’observe en Europe, au Royaume-Uni, aux États-Unis et ailleurs.
On peut comprendre que les atteintes provisoires aux libertés individuelles soient parfaitement justifiées en période d’épidémie : il faut bien gérer le surplus de charges pour le personnel de santé et les équipements hospitaliers qui en résultent naturellement. Bien sûr nous souffrons de la carence des politiques qui ont depuis quatre décennies laissé se créer une situation où ce personnel est mal payé, n’est pas assez nombreux, et manque d’équipements et de consommables. Cette carence demandera au moins une dizaine d’années pour être comblée à supposer qu’on le veuille, le temps d’accélérer le recrutement et de former du nouveau personnel, le tout en le payant enfin décemment. Ce qui est également vrai de tous les emplois les plus modestes dans toutes sortes de services au public allant de l’éducation à la sécurité en passant par la santé.
Mais on n’a pas le temps d’utiliser ces moyens, alors on rappelle des retraités, on forme trop vite en comptant sur la bonne volonté et la responsabilité de l’encadrement, bref on fait comme on peut et pour le mieux. Les centres naturels de pouvoir à la fois politique et financier sont à Paris, à Bruxelles et quelques grandes villes. La France rurale attendra toujours tant qu’elle est vue de Paris…
Seul le Parlement peut décider de limiter les libertés
Mais en attendant, notre équipe gouvernementale est en train de tenter d’imposer les limites aux libertés individuelles sans passer par le processus législatif exigé par la Constitution. Or seul le parlement a le pouvoir de limiter les libertés, et de décider pour combien de temps sera imposé cette limite, donc quand il décidera ce prolongement. Sur ce point les protestations sont en train de monter de partout, depuis le Sénat jusqu’aux Gilets Jaunes. Ce n’est pas suffisant. Et il faut que toutes les Françaises et les Français réalisent que c’est la République qui est en danger. Oui, l’État de Droit doit être un principe souverain, mais seulement dans la mesure où il émane du peuple souverain, au moins à travers la représentation nationale.
Jusqu’au jour où on aura appris la démocratie directe, encore considérée par la Doxa comme une utopie3. Pour ma part je suis convaincu que c’est s’imaginer que le système économique et politique actuel puisse durer beaucoup plus longtemps qui constitue l’utopie.
Que faire ?
Que faire ? Nous proposons de profiter de ce que la capitale, le gouvernement, les grandes institutions financières négligent définitivement le monde rural et la très petite entreprise pour lancer une initiative venant directement des collectivités régionales et locales.
Elle viserait les entreprises locales depuis la micro entreprise d’un salarié jusqu’à la division d’un groupe industriel de quelques dizaines de salariés menacée de fermeture comme c’est le cas de l’atelier Crouzet4 à Alès.
Une ou plusieurs collectivités selon l’importance et le marché géographique concerné apporteraient à l’entreprise une dotation à très long terme en fonds permanents, remboursables à terme d’au moins 15 ans, qui seraient donc assimilés à des fonds propres vis-à-vis de crédits bancaires courants (investissements courants, trésorerie, affacturage) indépendamment des aides officielles comme celles du 14 Janvier.
Ces financements serviraient surtout aux investissements souvent modestes permettant à l’entreprise de s’adapter au changement de son environnement et pas seulement la pandémie, du fait du confinement bien sûr, mais aussi d’autres facteurs tels que changement climatique, conversion au bio, voire même gestion de l’eau de pluie en vue de permaculture…
Ainsi des aides locales évaluées par les décideurs locaux pour aider des entreprises dont les actionnaires sont locaux, et souvent les marchés, seraient mis en place rapidement. Ce serait l’occasion pour les branches locales des banques de faire preuve d’initiative pour aider à la fois leur clientèle et leur collectivité. Et les collectivités en bénéficieraient directement du simple fait qu’elles soutiennent l’économie locale.
On nous répondra que des institutions financières telles que la BPI, la Caisse des Dépôts, mais aussi Cetelem, Sofinco et autres devraient prendre de telles initiatives. Elles le feront peut-être, mais seulement si le train est mis en marche localement. Sur un navire qui coule, le marché des canots de sauvetage explose…
André Teissier du Cros
Notes:
- Voir les grandes entreprises françaises cotées en bourse qui ont pris le contrôle de services publics grâce à leur privatisation, et qui installent les sièges de leurs diverses filiales au Luxembourg.
- Voir à ce sujet le rapport du Comité Bastille, et http://comitebastille.org/la-financiarisation/
- Voir Néander, récit d’anticipation fiction, sur .
- Crouzet Automatismes, qui eut autrefois plus de 4 000 salariés et une présence mondiale, est une de ces entreprises privées de taille intermédiaire qui a été assassinée par la financiarisation, comme le fut Jallatte, à St Hippolyte du Fort.