Salah Stétié, le président d’honneur de Voix Vives s’en est allé le 19 mai dernier « taquiner les muses » à l’âge de 91 ans. À Sète, le festival de poésie méditerranéenne lui rend hommage lundi 20 juillet à 21H30. Dans les jardins du Château d’Eau, à travers les poètes de l’équipe, les comédiens et les musiciens invités, la voix et le souffle amoureux du monde de Salah Stétié circuleront en liberté.


 

Né à Beyrouth en 1929, grand prix de la francophonie de l’Académie française en 1995, le poète libanais était l’une des voix marquantes de la littérature d’expression française et méditerranéenne. Salah Stétié compte parmi les fidèles de la première heure du festival Voix de la Méditerranée à Lodève devenu Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée à Sète. Poète, écrivain traduit dans plus de vingt-cinq pays, traducteur de l’arabe, fondateur de l’hebdomadaire culturel L’Orient littéraire, diplomate aguerri, son militantisme humaniste et son engagement sans relâche pour harmoniser les musicalités françaises et arabes en ont fait une figure singulière et familière du festival. Serein positif et diplomate1, le poète occupait le rôle de médiateur indispensable de ce grand carrefour poétique de la Méditerranée, favorisant le dialogue entre les peuples et leurs poètes ambassadeurs.

 

Salle Salah Stétié au Musée Paul Valéry

Une salle Salah Stétié est ouverte au Musée Paul Valéry de Sète, riche d’une importante donation 2  du poète libanais qui a souhaité ainsi unir les deux rives de la Méditerranée. « Paul Valéry et moi sommes tous les deux des poètes de la Méditerranée… une des régions les plus importantes dans les enjeux de la guerre et de la paix dans le monde », avait souligné Salah Stétié lors de la présentation de l’espace dédié à sa donation.

 

Rythme du coeur circulant

« Être du double pays, c’est un immense risque — et c’est une chance », écrivait Salah Stétié. Avec lui, il n’existe pas de cloison étanche entre les différents genres littéraires, pas plus qu’entre les frontières. Son parcours et son insatiable curiosité pour les cultures attestent que l’individu peut et doit se développer dans toutes les directions, sans s’automutiler d’aucun rêve, sans accepter le prosaïsme bourgeois, en misant tout sur la poésie du cœur.

« La paix, je la demande à ceux qui peuvent la donner
Comme si elle était leur propriété, leur chose
Elle qui n’est pas colombe, qui n’est pas tourterelle à nous ravir,
Mais simple objet du cœur régulier… »

 


 

Stétié et la Méditerranée. Une restitution de l’identité par la cruauté

 

 

En écho à des rêveries, l’œuvre du poète Salah Stétié explore le fracas créatif des batailles de la civilisation. À l’occasion d’une rencontre au cours de l’été 2007, en parallèle à la substance étincelante de son œuvre poétique, le Président d’honneur du festival  intervenait sur un registre plus large abordant le vaste héritage que cette petite mer n’a cessé de léguer au monde. Salah Stétié figure comme un grand itinérant du songe et de l’action. Le propre des évidences est de se transformer en transparence. Ce que Stétié s’est efforcé de combattre à travers toute son œuvre. Les portes que le poète a ouvertes à de nouveaux horizons artistiques et diplomatiques résonnent pour longtemps.


 

À la tombée du jour, dans le Cloître de la cathédrale de Lodève, le poète débute en posant quelques parcelles de réalité souvent dissimulée par l’actualité brûlante. « Platon, Aristote, Augustin, Averroès, Maïmonide se bouchent le nez et baissent les yeux, Moïse, Jésus, Mahomet se détournent. Ont-ils définitivement retiré leurs anges ? », questionne le délégué du Liban auprès de l’UNESCO. S’interrogeant sur ce que constitue la Méditerranée, il évoque le concept de personne morale. À travers l’ensemble de l’histoire méditerranéenne le monde d’aujourd’hui se trouve en souffrance. L’épopée des trois grandes religions monothéistes, dont elle fut le berceau, et avec elles, toutes les bases philosophiques de la réflexion des hommes.

 

Les nouveaux monstres

 

Pourtant, sous la fragmentation de sa surface, la civilisation méditerranéenne n’a jamais cessé d’être animée par le même mouvement de violence. Pour Salah Stétié, le principal débat se situe du côté de l’imaginaire. Là où par de singuliers détours on croise les monstres : Sphinx, Minotaure, Hydre, Méduses et autre Cyclope qui peuplent l’esprit des peuples. Mais il s’est toujours trouvé des hommes pour s’en débarrasser. « Les Méditerranéens sont armés pour la confrontation. Parce qu’ils ont su jadis décomposer les monstres, ils sauront ne pas se laisser atteindre par ceux qui, aujourd’hui, dominent monstrueusement notre civilisation ».

Et l’orateur de décrire le nouveau monstre sous un autre jour. Celui des machines qui endommagent sérieusement ce qu’il y a d’humain dans l’homme. Comme hier, la mythologie de notre modernité fait peur. « Bientôt l’idole robot en arrivera à nous expatrier dans notre propre maison et à nous exiler de notre propre seuil. Bref, tout ce qui nous fut Méditerranée va mourir. À cette lumière, on réalise combien l’univers mental de chacun serait appauvri si venait à lui être retiré tout ce qu’il a su accueillir de ces rivages dans les domaines de la création artistique, littéraire et spirituelle. À cet égard, il est frappant de constater comment les tenants du pouvoir négligent cette dimension d’accomplissement. Discret dédain de la politique lorsqu’elle croise les civilisations sur son chemin… ».

 

Dialectique de la cruauté

 

Empêcher un tel effacement se révèlerait contraire aux cultures de la Méditerranée, soutient pourtant Salah Stétié. Éclairant les arcanes de son espace à travers l’histoire il rappelle comment Rome détruisit la Grèce, la Syrie et l’Égypte, comment fut brûlée la bibliothèque d’Alexandrie, comment mourut sous le coup des rois très catholiques la flamboyante Andalousie, comment l’espace de l’inquisition se dévora lui-même. Comment l’Algérie fut détruite une première et une deuxième fois, comment les Balkans, le Liban, la Palestine, la Bosnie… et pause ce qu’il nomme la dialectique de la cruauté comme fil conducteur de l’histoire méditerranéenne. « On voit à travers tant de destructions, comment la faiblesse peut devenir une autre forme de la force. Comme le christianisme démantela la Rome et ses aigles de bronze. Comment un petit Corse deviendra Napoléon, non sans avoir trouvé le temps dans la plus vaste et la plus sanglante des confusions historiques de laisser un code et des lois pour les hommes ».

 

Réconcilier les contraires

 

Cette violence qui déferle sur nous comme des vagues mérite d’être évaluée, souligne Stétié citant le génie de Picasso qui fait éclater le grand miroir des apparences. « Ce qu’il veut n’est rien d’autre que la fin de l’homme dans la fin sinistre et joyeuse du monde. De l’apparente destruction naîtra pour Picasso une affirmation majorée, une restitution de l’identité. Seule une quête, une conquête donnera vie à ce qui n’a plus de vie. Il en est ainsi d’Orphée réfléchissant à la porte des enfers, de Camus pour qui la vie humaine commence de l’autre côté du désespoir. Les plus noires des tragédies vécues en Méditerranée sont des tragédies de l’identité. En réconciliant les contraires Antigone en est un des symboles fondamentaux. Elle incarne l’accomplissement suprême de l’imaginaire et du mystère méditerranéen. » À en croire le poète libanais cette violence si singulière constitue un socle. Lieu d’élaboration de toute culture où chaque religion va puiser pour explorer le réel.

Serait-ce, comme nous l’enseignent les rivages de cette petite mer bleue, à l’envers des choses que se trouvent leurs réalités ?

Jean-Marie Dinh

Notes:

  1. Il a occupé la fonction de Délégué permanent du Liban auprès de l’UNESCO
  2. Plus de 250 opus exposés s’étalant sur plus d’un demi-siècle.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.