« Moi, je… » est le témoignage de Clara. Tel un cri poussé sur une page salvatrice, cette histoire est dévoilée par une citoyenne aixoise engagée, qui aime souvent se référer à Elisée Reclus : « Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent et les esprits s’appauvrissent » – Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes (1866).
Notre président nous annonce le 31 mars 2020 sans ciller, que la situation actuelle ne pouvait pas être prévue il y a 10 ans, sous-entendant donc, que les politiques économiques précédentes ne pouvaient pas imaginer qu’un monstre allait emporter notre société dite moderne et son système de santé… Et donc le déluge de reproches, critiques, constats, colères, étalage de chiffres, cris, hurlements d’un monde de la Santé -mais pas seulement- depuis tant de décennies ignoré, méprisé, écrasé, purgé, aspiré, vidé, d’après lui ne devrait pas avoir lieu, puisque nul n’avait prévu cette monstruosité.
Nous devrions donc accepter sans broncher que la soit-disant « cinquième puissance mondiale », troisième en armement qui vend d’ailleurs ces dernières à des coupeurs et des découpeurs en rondelles de mains et de corps humains, n’ait ni masques ni rien du tout pour que l’hôpital fasse son travail en paix.
Mais depuis combien de décennies l’économie purge, aspire, vide l’intérieur du Corps hospitalier ?
Ci-joint, un texte du psychiatre Paul Machto m’a interpellée après le texte de colère du directeur de recherches au CNRS Bruno Canard https://mrmondialisation.org/coronavirus-le-cri-de-colere-dun-chercheur-du-cnrs/
Le texte du psychiatre Paul Machto – (ndr: voir encadré) ->> remonte le temps, la fin des années 80… alors je me permets un Billet “moi je”.
Moi, je…
Je suis née avec des malformations de la colonne vertébrale, il y a 51 ans. Je suis ce qu’on appelle un miracle dans le langage vulgarisé. En médical, le liquide rachidien après examen n’est pas et ne sera pas interrompu. Cela veut dire « pas de paralysie(s) ». Bref un vrai miracle, aucune de mes cervicales n’est pourtant terminée.
Et, comme on nous l’a gentiment dit à l’hôpital de Garches il y a 31 ans, « dans nos services se trouvent des personnes dont la colonne est bien moins abîmée que celle de votre fille madame, pourtant ils ne marcheront plus jamais ».
Alors pourquoi me trouvais-je en région parisienne, à Garches plus précisément, avec ma mère, il y a … 31 ans, soit l’été 1989 ? Plusieurs personnes me connaissent sans port de tête, sans “cou” pour parler familièrement. Mais j’étais comme vous, j’en avais un.
En septembre 1988 en rentrant chez nous dans le Var, ma mère et moi avons eu un accident de voiture au retour de mon inscription dans cette maudite fac de droit dans laquelle on m’avait inscrite. Oui je sais, les plus proches me connaissent comme étant diplômée en Histoire de l’Art. Avant, j’ai du m’inscrire en Droit pour faire plaisir. Certains plaisirs coûtent peut-être une vie. Un autre jour, une autre heure, en m’inscrivant avec mes amis en Lettres, le destin aurait-il été ? …
Et si ça avait été autrement?…
Là n’est pas le sujet : le sujet est pourquoi n’ai-je pas été soignée comme dans les années précédentes puisque j’ai demandé évidemment de rejoindre mon hôpital, une pointure en chirurgie osseuse ?
J’avais été suivie ici à la presqu’île de Giens, durant 9 ans, de mon enfance à l’adolescence. Trois chirurgies osseuses, dont la première, une greffe de l’Axis-C2 (le pivot du cou pour ceux qui ne savent…) Vous voyez le jeu du Bilboquet ? Bon ben moi je suis née sans le pivot, C2. Vous comprenez la suite: vous pouvez devenir un légume à la moindre chute… Bref, opération vitale en 79.
Les deux autres toutes aussi vitales à l’été 83 pour stopper la courbe de la colonne entrainant l’écrasement des poumons, accélérée durant mon début d’adolescence et donc fixer une capacité respiratoire vitale minimale – j’ai un 1/4 de vous, actuellement ma vie est suspendue au bon vouloir d’un virus qui pénétrera ou pas chez moi….
Qu’est ce qu’on se marre lorsqu’on a deux organes vitaux amochés et invisibles pour l’extérieur!
Donc oui, je suis une “fausse petite” comme les copains disaient au lycée, 20 centimètres sont pliés… à l’intérieur.
Bref, revenons à nos moutons, j’arrive ce jour de septembre dont la date et l’heure sont gravées avec mon cou qui pendouille, à mon hosto. Je vous passe les débuts, puis danse du ventre du service car : « La greffe a tenu ! La greffe a tenu ! « . Et va-Z-y que ça défile, tous ceux que j’ai connus les années précédentes ! Sauf mon … sauveur, le professeur prenant ses congés après l’été, puisqu’il opère non stop pendant que le monde occidental hémisphère Nord, nage et patauge avec les Naïades.
Ok d’accord, parfait la greffe a tenu, évidemment abrutis sinon je serais paralysée de la tête aux pieds! Mais que comptez vous faire pour mon cou que je ne tiens plus? Minerve? Collier? Quoi? Aucune de mes cervicales n’est terminée et je n’ai jamais, jamais musclé mon cou comme vous avez pu le faire depuis que vous êtes nés car j’ai porté des plâtres et des corsets à minerve durant près de 9 ans, de 7 à 16 ans. Le “cou du lapin” que j’ai subi a provoqué dans mes muscles une projection inouïe d’avant en arrière.
Je suis généreuse, je vous passe le fait que tout cela se passe avant la loi de 95 sur la douleur de B. Kouchner. Que ce soit chirurgie ou accident, dans ce beau pays catholique, vous deviez alors mordre la poussière enfant, comme adulte : et aujourd’hui lorsque j’entends parler de « poire à morphine » …. je souris intérieurement lorsqu’on me parle de douleur. Heureux tous ceux qui n’ont pas connu « l’avant 95 ».
Je reviens au couperet de ma vie : la tête, le crâne, forment un des ensembles les plus lourds de notre corps. Compte tenu de mon passé, mon passif, il m’est impossible de le porter après l’accident, je n’ai pas assez de muscles.
Chers oiseaux de passage,
De mon hôpital où j’avais passé tant de séjours, où ma confiance était totale, entière, énorme, gigantesque, comme avec des parents – j’ai mis les pieds là bas vers 4 ans pour la première consultation avant de commencer les plâtres à 7- et bien je sortis avec autour du cou un carton entouré d’un feutre puis recouvert d’un jersey: mais oui un simple bout de carton découpé entouré de feutre pour ne pas être blessée. Naturellement avec le poids énorme du crâne… Plouf. Voilà.
D’abord vous êtes piquée (injection vers le haut de l’omoplate chaque jour ) à la vitamine B12 pour aider, soit disant, les muscles du cou. Puis êtes shootée à la Codéïne car la douleur est non-stop et vous ne dormez plus, vous n’avez droit à aucun calmant, qui aujourd’hui sont prescrits aisément. Intérieurement vous comparez votre douleur aux peintures des artistes flamands exprimant les saints écorchés, mais vous devez vous taire car vos parents partent en morceaux.
Le trio pense à la même chose : ma sortie du dernier plâtre et corset a alors exactement 4 ans, quatre ans ?! Comment retomber si vite en enfer ? Alors se taire. Ensuite au bout de six mois lorsque vous acceptez de sortir, allez chez votre généraliste et qu’il vous mesure vous avez perdu 3 centimètres. J’ai bien dit 3 cm. Un tassement de vertèbres, peut pour un accident se compter en millimètres, mais atteindre 3 centimètres c’était du “ jamais vu”.
Entre ma sortie de l’hôpital et la vitamine B12 en injection, je suis retournée là bas « dans mon hôpital », deux fois avec ma mère rentrée elle même du sien, mais rien n’y fit. Et le couperet tomba : « Tu sais bien que foutue comme tu es, il t’en faut une sur mesure de minerve ».
J’allais avoir 20 ans, trois mois après, je n’ai jamais eu 20 ans. J’avais mon caractère déjà bien trempé, mais cet accident avait eu raison de moi. J’étais comme assommée, vidée. Je n’ai rien répondu ; elle m’avait connu enfant, elle se permettait cette familiarité. « C’était il y a 4 ans ? » Quatre ans de liberté et “on ” me la reprenait ? Nous irons à Garches un an pile après l’accident : pour rien évidemment.
J’ai longtemps, très longtemps, après avoir remonté la pente, repris une goulée d’air, pensé à une « erreur médicale ». Une erreur médicale avait brisé ma vie après avoir donné 9 ans pour vivre comme vous. Les décennies sont passées… Et j’ai entendu parler du Lean management dans la Santé… Et tout s’est éclairci. J’étais l’une des toutes premières victimes de cette monstruosité née à la fin des années 80.
Je hais le mot défiscalisation, je hais le mot profit, dividendes, actionnariat, fonds de pension … Je hais ces tiques qui vivent sur notre dos et changent de victimes au fur et à mesure qu’elles disparaissent.
Je n’ai pas attendu comme certains d’avoir besoin d’être « sauvé(e) » pour connaitre les miracles de l’Hôpital français et le Service Public. Mais, autrefois il faisait son boulot pour tous. Depuis 30 ans, un peu moins. Et aujourd’hui il n’arrive plus du tout à le faire face au monstre des » 20 % fragiles », appelé comme une bière.
Depuis le confinement j’ouvre moins l’ordi, un moral de crotte m’empêche d’avoir envie de me connecter, de plus ma mère est là – venue me calmer le mois dernier, elle est restée coincée. On a décidé de ne plus écouter les infos car cela me rend malade.
Ce billet est aussi pour l’auteur de « On l’aime grâce à toi ce confinement !». Pauvre type ! Accrochez vous ça va durer. Ne taquinez pas le Destin, il s’en charge très bien.
Clara
« Je n’ai rien dit »
par Paul Machto, psychiatre et psychanalyste
Quand ils nous ont dit : La loi du 31 juillet 1991 instaure la maîtrise des dépenses hospitalières.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas économiste.
Quand Claude Evin a parlé d’hôpital-entreprise à la fin des années 80.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas entrepreneur.
Quand les gouvernants ont mis en œuvre la gestion-comptable en 90, pour les hôpitaux.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas dirigeant.
Quand Sarkozy et Bachelot ont mis en œuvre la loi H.P.S.T qui a donné le pouvoir au "patron" de l’hôpital, le directeur et rendu une administration toute-puissante.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas administratif.
Quand la gestionnite bureaucratique s’est mise en place.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas gestionnaire.
Quand Hollande et Marisol Touraine, ont supprimé 17500 sites de santé et supprimé 17500 lits.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas comptable.
Quand quelque trois milliards d'euros d'économies furent prévues, dont 860 millions issus de la "maîtrise de la masse salariale", c’est à dire la suppression de 22.000 postes, soit 2% des effectifs.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas fonctionnaire.
Quand les salariés de l'hôpital psychiatrique du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), ont fait la grève de la faim en 2018.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand les services d’urgences se sont mis en grève en 2019.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas urgentiste.
Quand Macron et Buzyn se sont moqués du mouvement des soignants au cours des dix derniers mois.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas soignant,
Quand les sbires de Castaner sont venus réprimer les manifestants des hôpitaux, je n’ai rien dit, je n’étais pas hospitalier. Quand Macron a supprimé en 3 ans 4172 lits dans 3000 services de santé publique.
Je n’ai rien dit, je n’étais pas hospitalisé.
Mais quand le coronaromachin, le Covid 19, est arrivé, qu’il nous est tombé dessus.
Là, j’ai paniqué :
- Il n’y avait plus assez de lits pour les hospitalisations, plus assez de places en réanimation,
- Il n’y avait plus assez de soignants pour nous soigner.
- Il n’y avait pas assez de masques pour protéger les soignants.
Face à la pénurie organisée depuis trente ans par ces gouvernants irresponsables appliquant la même politique néolibérale,
- ils ont commencé à trier les malades à soigner,
- à laisser de côté les malades et les soignants en psychiatrie,
- à isoler les personnes âgées dans les EPHAD, à les oublier.
Alors j’ai commencé à applaudir les soignants le soir à 20h, sans honte de n’avoir rien dit pendant toutes ces années.
J’ai donné le titre de "héros" à ces soignants, que je n’ai pas soutenus pendant ces onze mois. J’ai réalisé que le service public c’est très important, indispensable, dans notre pays,
Mais…
Quand est-ce qu’enfin vais-je dire ou hurler quelque chose ? Quand sera-t-il possible de commencer à se révolter vraiment ? Quand sera-t-il possible de commencer à construire un autre monde ?
Quand sera-t-il possible d’inventer un nouveau système alternatif à la déshumanisation néolibérale et au chacun pour soi ? Quand sera-t-il possible de mettre en œuvre une société où le collectif et le partage aillent de pair avec l’individu et le singulier ?
Quand y aura-t-il assez de monde pour se lever et être tous ensemble pour protéger la planète, instaurer la décroissance, une démocratie citoyenne à échelle humaine, privilégier l’humain sur la machine et sur l’économie, développer de nouvelles solidarités, de prendre le temps de vivre, de penser, de lire, ... d'aimer ?
Ce texte de Paul a été écrit sur le blog de Médiapart à la façon de Martin Niemöller
https://blogs.mediapart.fr/paul-machto/blog/230320/je-nai-rien-dit).
Pasteur luthérien allemand et théologien(1892–1984), Martin Niemöller a écrit un poème sur la lâcheté des intellectuels allemands au moment de l'accession des nazis au pouvoir et des purges qui ont alors visé leurs ennemis, un groupe après l'autre. Niemöller était anti-communiste et a initialement soutenu l'accession au pouvoir d'Adolf Hitler. Il se désillusionne avec les propos de Hitler sur la suprématie de l'État sur la religion, et finit par diriger un groupe de religieux opposants au régime. En 1937 il est arrêté et enfermé aux camps de concentration de Oranienburg-Sachsenhausen et Dachau. Il est libéré en 1945 par les Alliés.