On aimerait mieux ne songer qu’aux vacances scolaires, aux promesses de liberté retrouvée l’espace de quelques semaines, pour les élèves, les parents et les professeurs. Et pourtant, la grève inédite de la surveillance des épreuves du Bac, la rétention des notes de la part d’enseignants en lutte contre les lois Blanquer sonnent comme un rappel douloureux au réel. Ces modes d’action, souvent mal compris ou peu soutenus, ne sont pas LE problème mais bien la réponse à un problème.
« Ce n’est pas simplement parce qu’on n’est pas content qu’on peut prendre en otage le système » a osé dire le ministre de l’Education nationale, qui, comme les autres gouvernants et les journalistes alignés sur le pouvoir, adore employer le mot « otages » au moindre conflit social. Le président de la République, Emmanuel Macron, volant au secours de « son » ministre, ne pouvait pas être en reste : « je respecte la liberté d’opinion, la liberté syndicale, mais à la fin des fins, on ne peut pas prendre nos enfants et leurs familles en otage ».
A croire que toutes ces belles âmes ignorent totalement le sens du mot « otage »… à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté de dramatisation à des fins bassement politiciennes. Le ministre de l’Education est même allé beaucoup plus loin, qualifiant les enseignants grévistes de « saboteurs », et leur promettant des « sanctions ». Pour « l’école de la confiance », c’est bien parti…
Fronts simultanés
Si cette année scolaire qui s’achève a été marquée par autant de mouvements, d’enseignants du primaire comme du secondaire, c’est bien peut-être parce tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes éducatif, non ? On peut même avancer l’idée que « l’école de la confiance » (le projet de Jean-Michel Blanquer pour l’école primaire qui concerne aussi indirectement le collège), la réforme du lycée et Parcoursup forment un triptyque à la redoutable cohérence. « Pour les mobilisés, l’esprit des lois Blanquer vise des impératifs économiques au détriment de la pédagogie et instaure un système concurrentiel et sélectif dès la maternelle, qui profitera aux plus favorisés » écrit la journaliste Ingrid Merckx dans l’hebdomadaire Politis (1). Là aussi, l’inflation de « réformes » (comprendre : de régressions) peut donner le tournis et compliquer la riposte, même si le président de l’Association des professeurs de philosophie, Frédéric Le Plaine, considère que « Parcoursup paraît le point le plus dommageable en terme de reproduction sociale et pose un problème démocratique du fait de l’opacité de l’algorithme qui gère les inscriptions à l’Université » ( 2)
Reste que l’ouverture de nombreux fronts simultanés (en la matière le gouvernement actuel n’est certes pas le premier mais il est probablement le plus zélé) complique la tâche des syndicats d’enseignants, même s’ils ont fait preuve d’un réflexe unitaire assez rare. « Les revendications sont multiples et donc difficiles à faire passer pour remporter la bataille d’opinion » (3) souligne Frédéric Le Plaine.
Réforme du lycée : Chronique d’une catastrophe annoncée ?
La « réforme » du lycée et du Bac semble la pierre angulaire de cette vaste entreprise de remodelage « libéral-compétitif » de l’Education nationale. Dès 2021, dans le cadre du Bac, seules deux épreuves auront lieu en juin : le « grand oral » (c’est nouveau, ça vient de sortir et ça vous a un air de « grandes écoles », « ma chère je ne vous dis que ça ») et la philosophie. Laquelle, en raison de la disparition des filières actuelles (L, ES, S) est prévue en tronc commun en Terminale à raison de quatre heures par semaine pour la voie générale et deux heures seulement pour la voie technologique. En Terminale, les élèves devront choisir deux « spécialités » parmi les trois suivies en Première. « En principe, le choix leur appartient. Dans les faits, il existe de grandes disparités d’un établissement à l’autre dans les spécialités proposées et dans la connaissance qu’ont les familles des choix stratégiques à faire en prévision des études envisagées » explique le « professeur de philo » (4). Le message d’alerte est similaire chez Emmanuelle Bayamack-Tam, professeur de français dans le Val de Marne et écrivaine (prix du livre Inter), « c’est l’un des plus gros problèmes que pose la réforme du lycée : elle contraint les adolescents à des choix irréversibles dès la seconde ». (5)
En d’autres termes, chaque lycéen-ne, dès l’âge de 15-16 ans, deviendra l’auto-entrepreneur de son parcours. Une liberté formelle qui se paiera de bien des dégâts personnels et collectifs. Et malheur aux vaincus : plus de place pour les hésitations, les bifurcations et autres états d’âme pour celles et ceux qui ne seraient pas sûr(e)s de leur voie. Mais il est vrai que tout le monde n’a pas eu la chance d’être élève au Lycée La Providence à Amiens (6)…
Morgan G.
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Politis du 27 juin au 3 juillet
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Politis du 27 juin au 3 juillet
(5) L’Humanité du vendredi 21 juin
(6) François Ruffin : « Ce pays que tu ne connais pas », Les Arènes, 2019