Vingt ONG font part de leurs profondes inquiétudes au sujet du nouveau décret italien « Piantedosi », validé par le président de la République, qui entrave les opérations de sauvetage en mer Méditerranée centrale.


 

Avec l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et de la Première ministre Giorgia Meloni, les décrets « sécurité » initiés par le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi sont actuellement en cours de validation en Italie.

Entre autres mesures, un nouveau texte, validé le 2 janvier par Sergio Mattarella, président de la République italienne, s’attaque aux règles d’accueil et d’asile des migrants par le biais des ONG : « Le décret cible les ONG SAR, mais le prix sera payé par les personnes en situation de détresse », alertent-elles.

Dans une déclaration publiée le 25 janvier 2023, 20 ONG de recherche et de sauvetage (Sea-Watch, Médecins Sans Frontières, SOS Méditerranée, Proactiva Open Arms…) expriment leurs « plus graves préoccupations » à ce sujet. Plusieurs représentants de ces organisations civiles ont par ailleurs été entendus sur ce point à la Chambre des députés italienne le 16 janvier.

 

L’UNCLO, Le HCR et les ONG SAR entravés

 

Le décret impose, après chaque sauvetage, aux navires des ONG SAR1 de se diriger immédiatement vers le port italien fixé par les autorités, sans dévier leur course. Ce qui empêchent les poursuites des opérations qui s’enchaînent parfois sur plusieurs jours pour secourir le plus de personnes possibles en cas d’alerte dans la zone. Pour les ONG, l’obligation du capitaine de prêter une assistance immédiate aux personnes en difficulté en mer, telle qu’énoncée dans l’UNCLOS (Convention des Nations Unies sur le droit de la mer), est dès lors contredite. « Cet élément du décret est aggravé par la récente politique du gouvernement italien consistant à attribuer plus fréquemment des ports éloignés, ce qui peut représenter jusqu’à quatre jours de navigation à partir de l’emplacement actuel d’un navire », explique le communiqué. Ces deux facteurs sont conçus pour maintenir les navires SAR hors de la zone de sauvetage pendant des périodes prolongées et réduire leur capacité à aider les personnes en détresse : « Les ONG sont déjà débordées en raison de l’absence d’opération SAR gérée par l’État, et la diminution de la présence de navires de sauvetage entraînera inévitablement davantage de personnes se noyant tragiquement en mer. »

Ainsi, la Méditerranée centrale — l’une des routes migratoires les plus meurtrières au monde — deviendra encore plus dangereuse.

Premier tête-à-tête discret entre Emmanuel Macron et Giorgia Meloni en octobre dernier. Photo Reuter

Le décret oblige également la collecte des données à bord des navires de sauvetage auprès des survivants, s’opposant ainsi à la recommandation du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR)2 : « les demandes d’asile doivent être traitées uniquement sur la terre ferme, après le débarquement dans un lieu sûr, et seulement une fois que les besoins immédiats sont couverts », souligne le communiqué.

Pour Giorgia Meloni, qui a échangé le 17 janvier avec Emmanuel Macron en vue du sommet européen du 9 février sur « les questions migratoires » et l’investissement en Europe, ces mesures s’inscrivent plus largement dans une perspective européenne de « contrôle efficace des frontières extérieures de l’Union européenne », chaque pays européen devant « assumer ses propres responsabilités ».

Le droit étatique tente une fois de plus de supplanter le droit international pour limiter l’afflux de réfugiés et de migrants. La bataille juridique, déclenchée contre les ONG, se joue malgré les tragédies en mer qui se succèdent en ce début d’année.

Pourtant, la sauvegarde de la vie et de la dignité sont des principes fondamentaux qui prévalent sur toute autre discussion, comme l’a pourtant rappelé Filippo Grandi, haut-commissaire aux Nations Unies pour les réfugiés : « Sauver des vies en mer n’est pas un choix, ni un sujet de débat politique, mais une obligation séculaire. »

Les ONG demandent à la Commission européenne et au Parlement européen d’intervenir pour que l’Italie retire ce texte qui va à l’encontre du droit maritime international.

Le 25 janvier, le Geo Barents, navire humanitaire de Médecins Sans Frontières (MSF) a dévié sa course pour aller secourir deux autres embarcations en détresse, recueillant 237 migrants à son bord, dont 73 mineurs non accompagnés. « En l’absence d’autres situations dangereuses à proximité du navire, le Geo Barents a repris sa route vers le nord, comme indiqué par les autorités italiennes », jusqu’au port désigné, La Spezia, où les réfugiés ont été accueillis.

L’ONG MSF risque de fortes sanctions, notamment une amende pouvant aller de 10 à 50 000 euros et 2 mois de placement sous séquestre du navire.

Sasha Verlei

Notes:

  1. ONG SAR : ONG qui interviennent dans les zones définies par la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritime SAR (Search And rescue)
  2. Le Haut-commissariat aux réfugiés, créé en 1950 pour quelques mois, a fêté ses 70 ans le 14 décembre 2020. Le haut-commissaire, qui s’est exprimé à cette triste occasion dans une tribune du Monde publiée le 18 décembre 2020, estime que la prolongation de l’existence de cette agence démontre que « ce monde, qui s’était juré de maintenir la paix, est plus apte à créer des conflits qu’à les résoudre ».
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.